Édouard Glissant

Poète et écrivain martiniquais

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 2 minutes.

« Je suis profondément scandalisé par la proposition faite par les autorités françaises d’avoir recours à des moyens génétiques pour séparer les bons immigrés des mauvais, comme si les étrangers souhaitant vivre en France étaient des veaux ou des moutons qu’on devait tatouer pour les identifier. Cette nouvelle loi autorisant les tests ADN pour déterminer si on a droit d’immigrer en France ou non, érige l’administration française en une autorité supérieure à qui incomberait la tâche de faire le tri parmi des êtres considérés comme inférieurs.
Tout cela est abject et va à l’encontre des règles normales de respect mutuel qui doivent régir les relations entre pays. Je crois que les pays africains dont les populations sont visées par cette loi doivent protester violemment, comme d’ailleurs le gouvernement français l’aurait fait si ses ressortissants étaient soumis à de telles pratiques par un pays tiers.
Enfin, chose importante dont les parlementaires français doivent tenir compte, c’est que ces tests ADN servant à déterminer la filiation ne sont pas adaptés à la situation des pays africains où les familles sont souvent constituées d’enfants adoptifs. Par exemple, lorsqu’un père meurt, ses enfants sont pris en charge par la famille proche. Au lieu de consolider les liens à l’intérieur de la famille agrandie, la nouvelle loi va contribuer à les diviser. Donc, cette loi est non seulement humainement inacceptable, elle est aussi inadaptée.
Pour ce qui est de la Martinique, île dont je suis issu et où il y a aussi une très forte immigration venant des pays limitrophes, j’ose penser que mes compatriotes martiniquais n’accepteront jamais d’appliquer cette loi sur leur territoire car il existe une solidarité caribéenne entre les divers peuples de la région. Cette solidarité est réelle et sans doute beaucoup plus forte que les liens qui existent entre la France et les Antilles. Je me sentirais personnellement diminué si des Haïtiens, des Guyanais ou d’autres Caribéens qui fuient leur pays étaient soumis à ce dispositif pour venir à la Martinique. J’interviendrais avec mes dernières forces pour qu’on n’en arrive pas là.
Au-delà de la question des tests ADN, j’aimerais souligner que cette batterie de lois que la France est en train de mettre en place pour maîtriser l’immigration a très peu de chances de réussir dans un monde actuel basé sur le principe de la circulation des biens et des êtres. L’immigration devient un problème dans les pays l’identité reste une question brûlante. À une époque pas si lointaine, la France faisait venir par charters entiers des travailleurs étrangers pour faire marcher ses usines. L’Angleterre a fait de même après la Seconde Guerre mondiale. La présence des étrangers ne menaçait pas, alors, l’identité française, elle ne la menace pas plus aujourd’hui. En fait, les mesures restrictives prises dans ce domaine n’ont pas pour objectif de stopper l’immigration, car la France en a besoin. Ces mesures ont avant tout des visées idéologiques : elles sont racistes et ont été conçues pour conforter une certaine idée de la France. »

La Matinale.

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