Dans la quatrième dimension

Le peintre Épaphrodite Binamungu a ouvert une galerie près du centre-ville. Grâce à ce lieu d’exposition, cet artiste éclectique a enfin rencontré son public.

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 3 minutes.

Fin septembre 2007, premier niveau du Kigali Business Center. En vitrine du numéro B12, un tableau intitulé Maternité repose sur un chevalet. À l’intérieur, la moquette est bleue, les murs blancs. L’espace est divisé en trois compartiments. Accrochées aux cimaises, des toiles de différentes tailles sont éclairées par des spots. Un ventilateur ronronne au plafond. Le maître des lieux s’appelle Épaphrodite Binamungu, le seul peintre à posséder une galerie à Kigali.
Né en 1954 à Butare, dans le sud du pays, il a fait ses études à Bukavu, à l’est de l’ex-Zaïre. Diplômé en biochimie à l’Institut supérieur pédagogique (ISP) en 1978, il se lance dans l’enseignement. Non pas de sa discipline, mais dans l’esthétique. « Ma vocation artistique est née à l’école primaire, explique Binamungu. Je comprenais davantage les idées en les crayonnant. Comme mon père, j’ai développé un talent de dessinateur. »

En 1979, Binamungu quitte l’enseignement et décide de vivre de son pinceau. Les premiers pas sont difficiles. Les fins de mois aussi. Mais pas question de renoncer. Pour s’en sortir, l’artiste trouve une parade. Tout en continuant à peindre, il s’adonne à la photographie et au reportage vidéo afin de pouvoir nourrir les siens. Le quotidien est assuré. Parallèlement, Binamungu expose ses uvres au Centre culturel français, dans les hôtels, à Bukavu comme à Goma. Et il vend beaucoup. « C’était la belle époque, se souvient-il. Les Zaïrois avaient de l’argent. »
Retour au Rwanda en 1994. C’est la galère, la peinture n’intéresse pas grand monde. Binamungu se remet à la photographie pour survivre. Et mène un combat au service de la noble cause. « Il fallait éduquer la population pour qu’elle s’intéresse à l’art. Trois ans de lutte, de provocation, d’agression du public… » L’artiste commence à être connu dans son pays. Il organise des expositions au Centre culturel français, suscite l’intérêt des ONG et des ambassades, honore quelques commandes, crée des logos et des enseignes pour les entreprises. La persévérance finit par payer. En 2000, Binamungu peut enfin vivre de la peinture. Deux ans après, il ouvre sa propre galerie. Une prise de risques qu’il gère avec philosophie.

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Les tableaux de Binamungu, tout en reliefs, symbiose de couleurs, formes surréelles ou abstraites, ne sont pas de l’art pour l’art. Ils sont le véhicule d’un message humaniste que le peintre veut transmettre à ses contemporains. « J’exploite les formes de manière à ce qu’elles tendent vers les trois dimensions, affirme-il. Mais j’essaie d’aller au-delà en introduisant une quatrième dimension, la mienne, avec ma vie, ma valeur ajoutée. C’est pourquoi, dans ma galerie, j’aime discuter avec le public pour savoir si mon message a été bien transmis, bien reçu. » Au fil des expositions, en Afrique ou ailleurs, il s’est rendu compte que les publics avaient deux préoccupations différentes. Les Occidentaux sont frappés par la matière, le relief, les formes sur une surface, les couleurs et toute la philosophie qu’elles charrient. Ils veulent comprendre ce qu’est l’art rwandais. Quant à ses compatriotes, ils cherchent surtout à décoder le message de l’artiste.
Intarissable, Épaphrodite Binamungu utilise l’écorce de ficus mélangée à du sable, la sciure de bois sur toile, la gaze, le papier mâché, les cauris, les perles Son credo est clair : amour et fraternité pour la reconstruction du pays. L’artiste vend surtout lors des vernissages. À des « Rwandais fortunés qui marchandent » et à des expatriés. Les autres jours, quelques curieux passent, achètent. Il se peut aussi qu’il ne vende rien pendant une ou deux semaines. « Je ne me fais aucun souci. L’expérience que je vis aujourd’hui est intéressante. Je tiens bon. »

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