Castagne à Lomé

Les incidents qui ont éclaté à l’issue du match contre le Mali témoignent du profond malaise que connaît le football national.

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 5 minutes.

Stade de Kégué à Lomé. Soudain, au coup de sifflet final du match Togo-Mali organisé le 12 octobre pour la phase finale de la Coupe d’Afrique des nations (qui se déroule au Ghana du 20 janvier au 10 février), c’est la confusion sur le terrain. Des dizaines de spectateurs sautent par-dessus la grille de protection et s’abattent lourdement quatre mètres plus bas, sur la piste. Joie de la victoire (0-2) face aux Togolais ? Empressement à féliciter leurs champions ? En fait, ils sont bombardés de projectiles divers par leurs hôtes mécontents de l’élimination de leur équipe, ils cèdent à la panique et, instinctivement, cherchent à se réfugier sur le terrain, où les rejoignent leurs poursuivants.

Le service d’ordre est totalement débordé. Sur la pelouse, c’est l’échauffourée, envahisseurs togolais et rescapés maliens se coursent. Le joueur malien Mamadou Diarra dira qu’il a reçu un coup de ceinturon et ne doit qu’à l’attaquant togolais Kader Coubadja de ne pas en prendre d’autres. Mamadou Sidibé affirmera, lui, qu’il a été poignardé au bras droit. En réalité, furieux d’avoir reçu un coup de poing dans l’il, il s’est blessé gravement en défonçant la porte vitrée des vestiaires. Et sera conduit à l’hôpital dans un fourgon de police, puis opéré tard dans la nuit à Bamako. Le dimanche 14 octobre, à son arrivée à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle de Paris, il portait un plâtre jusqu’au coude.
Grâce aux policiers et aux gendarmes, le Malien Frédéric Kanouté et ses coéquipiers sont escortés jusqu’aux vestiaires. Et leurs supporters regroupés, avant d’être filtrés puis évacués, via la tribune et le salon d’honneur, vers des locaux situés sous les tribunes. Les blessés souffrent de fractures et de traumatismes crâniens. Loin des quelques centaines de spectateurs qui traînent encore dans les gradins et expriment, par la parole ou le geste, leur colère. Beaucoup d’entre eux veulent « se faire du Malien », histoire, disent-ils, de se venger du « traitement » réservé à leurs favoris, un dimanche 27 mars 2005 à Bamako. D’autres s’en prennent violemment à la Confédération africaine de football (CAF), dont ils dénoncent l’hostilité envers le Togo. Curieusement, la soldatesque ne se dépêche pas de refouler tous les excités hors du stade. Certains d’entre eux parviennent pratiquement jusqu’aux portes des vestiaires, la bouche pleine de menaces. Ce sont de longs moments d’inquiétude, avant que le jet d’une grenade lacrymogène ne finisse par faire fuir les assaillants.

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Les secours peuvent s’organiser. Mohamed Ben Labat, ambassadeur du Mali à Accra et à Lomé, ainsi que le ministre des Sports Hamane Niang se démènent pour faire évacuer tout le monde vers les hôpitaux. Parlementent avec les gradés locaux pendant que les rumeurs les plus alarmistes circulent. L’émeute aurait embrasé le quartier de Kégué. Le siège de la Fédération togolaise de football (FTF) aurait été attaqué, et la route qui mène au centre-ville ne serait pas sécurisée. Pour les joueurs et accompagnateurs togolais et maliens, pour les officiels et arbitres de la CAF, pour les envoyés spéciaux, les minutes d’angoisse sont longues Jusqu’à l’intervention du général Zoumarou Gnofame, président du comité olympique togolais.
Après trois heures d’attente, les blessés, installés dans des camions de gendarmerie, sont conduits sous bonne escorte. Juste aux abords du stade, quelques pneus finissent de se consumer. Mais, pas de traces d’émeute dans les quartiers traversés. Lomé, groggy, semble avoir encaissé le coup de la défaite. La ville est retombée dans la fièvre des législatives. Dans la soirée, les Aigles regagnent, par vol spécial, Bamako, où une cellule de crise décide de faire rapatrier, par avion militaire, les supporteurs blessés.
Ces retrouvailles du 12 octobre, les quatrièmes entre le Togo et le Mali, n’ont pas échappé à la malédiction. Le 10 octobre 2004, à Lomé, à l’issue de la confrontation Éperviers-Aigles (1-0) comptant pour les éliminatoires du Mondial et de la CAN 2006, une indescriptible bousculade due à une coupure de courant fait quatre morts et plusieurs blessés. Le 27 mars 2005, à Bamako, le match retour est arrêté pendant le temps additionnel alors que le Togo menait par 2 à 1. Les supporteurs locaux en colère avaient envahi la pelouse avant de saccager les installations du stade. Au grand dam des joueurs togolais bloqués quatre heures durant dans les vestiaires, d’où les délivra Ousmane Issoufi Maïga, alors Premier ministre. Qui dut ensuite faire face à toute une nuit d’émeutes à Bamako.
Ces deux précédents n’ont pas empêché une main « innocente » de placer, pour l’édition 2008 de la CAN, le Mali et le Togo dans le même groupe (avec le Bénin et la Sierra Leone). Le 8 octobre 2006, le Mali accueille son adversaire et l’emporte (1-0) dans le temps additionnel. Une victoire saluée par un indicible déferlement de chauvinisme à Bamako. Le retour est fixé, à Lomé, pour le 8 septembre 2007. Mais la CAF, prétextant la tenue du deuxième tour de la présidentielle en Sierra Leone, reporte le match au 12 octobre, soit deux jours avant les législatives au Togo ! Le 1er octobre, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) demande, avec juste raison, au gouvernement d’obtenir de la CAF le report de la rencontre. En vain.
La colère du public togolais s’explique aussi par une trop grande exaspération. Depuis la campagne ratée du Mondial de 2006, en Allemagne, les malheurs n’épargnent pas le ballon rond au Togo. Le 3 juin 2007, le ministre des Sports togolais Atipé Kwako et plusieurs officiels de la Fédération trouvent la mort dans un accident d’hélicoptère à Freetown alors qu’ils rentrent du match de qualification Sierra Leone-Togo (0-1). Le 16 juin, les Éperviers affrontent les Écureuils du Bénin. À Cotonou, l’accueil est musclé : brimades, provocations, lapidation et défaite. La CAF ne donnera aucune suite aux incidents du stade de Kouhounou.

Le 11 juillet, en revanche, elle annonce la suspension du président de la FTF, Tata Avlessi, élu en janvier, de toutes activités sportives pour une période de huit ans et ce pour tentative de corruption d’arbitres lors du championnat d’Afrique des moins de 17 ans disputé en mars à Lomé. Accusation que l’intéressé réfute. Débute alors un rocambolesque feuilleton. La FTF éclate. Un comité provisoire est mis en place pour six mois. Le 4 septembre, le jury d’appel de la CAF prononce, à l’issue d’un « procès » sommaire et en l’absence du principal accusé, la radiation à vie de Tata Avlessi. Qui porte l’affaire devant le tribunal arbitral des Sports (TAS) à Lausanne. La colère gronde à Lomé. Et la défaite du 12 octobre face au Mali ne fut que la goutte d’eau

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