Un nouveau far west

Sur ce territoire hostile et excentré ne vit que 2 % de la population marocaine. Pourtant, les provinces du Sud connaissent un certain dynamisme. État des lieux.

Publié le 24 octobre 2006 Lecture : 4 minutes.

C’est le pays de l’immensité. Un territoire couvrant 58 % de la superficie du pays et peuplé de seulement 700 000 personnes (soit 2 % de la population nationale). S’étendant sur plus de 400 000 km2, les neuf provinces du Sud du royaume affichent une densité inférieure à 1,7 habitant au km2. Pourtant, malgré l’hostilité de l’environnement, les villes sahariennes affichent un certain dynamisme. Il est vrai que l’activité s’est focalisée autour des agglomérations, dans une zone caractérisée par une très forte urbanisation : dans la wilaya de Laayoune-Boujdour-Sakia el-Hamra, plus de 96 % de la population vit en milieu urbain.
Autre caractéristique, l’aménagement des provinces du Sud est relativement récent, spécialement dans les zones libérées de la tutelle coloniale espagnole. Certes, l’implantation ibérique remonte au XIXe siècle, avec la fondation de Villa Cisneros par les Espagnols en 1884, à l’embouchure du Rio de Oro. Aujourd’hui rebaptisée Dakhla, la ville, à l’instar de Laayoune ou Boujdour, ne garde que peu de traces de son passé, puisqu’elle se compose essentiellement d’immeubles récents que côtoient quelques bidonvilles en voie de disparition, et qui lui donnent un drôle d’air de far west arabe.
Le développement des provinces méridionales a longtemps été freiné par le contentieux qui oppose toujours le royaume chérifien au Front Polisario à propos des 266 000 km2 de « zone contestée ». Sur ces ex-colonies espagnoles du Rio de Oro (au sud) et du Sakia el-Hamra (au nord) évacuées par Madrid en 1976, Rabat exerce pleinement son autorité depuis 1979. Mais, depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 6 septembre 1991 et le déploiement de Casques bleus de la Minurso, la zone connaît une nouvelle dynamique.
Il est vrai que le pouvoir central n’a pas lésiné sur les moyens. En trente ans, l’État marocain a investi pas moins de 20 milliards de DH (1,8 milliard d’euros) pour doter les provinces du Sud d’infrastructures de base. Au cours des dix dernières années, les trois régions concernées ont ont comblé une partie de leur retard lors de leur décolonisation. Par exemple, le taux d’accès à l’eau potable, qui s’établissait à 15 % en 1995, dépasse 80 % aujourd’hui. Et les services du ministère de l’Équipement continuent, en partenariat avec l’Agence du Sud et les collectivités locales, le désenclavement de la zone. Ainsi, la région d’Oued Eddahab-Lagouira compte actuellement 785 kilomètres de routes goudronnées, contre 67 kilomètres à l’indépendance.
En matière d’aménagement urbain, la collaboration entre les collectivités territoriales et l’Agence du Sud commence à porter ses fruits. À Dakhla, 20 millions de DH ont été consacrés à la réhabilitation de la voirie, et 95 millions vont être affectés à l’extension du réseau d’assainissement de l’agglomération. Autre priorité, l’éradication de l’habitat précaire. La forte croissance démographique et la concentration de la population dans les villes ont conduit à l’émergence de bidonvilles que les autorités s’emploient à résorber. Alors que l’on recense près de 23 000 ménages vivant dans un logement insalubre, un programme du ministère de l’Habitat vise à reloger les populations concernées.
Enfin, les grands travaux ne concernent pas que les zones urbaines. Sur la façade atlantique du Sahara marocain, l’Agence du Sud accompagne le formidable essor de la pêche en finançant la construction et l’aménagement de dix pôles de développement. Infrastructures portuaires, équipements sociaux, logements le plan de développement de la pêche au Sahara devrait mobiliser 1 milliard de DH d’investissements publics. Sur certains sites, comme à Tarouma, à 50 kilomètres au sud de Laayoune, les travaux ont déjà commencé.
Très sensible au sort des provinces du Sud, le roi Mohammed VI multiplie les déplacements dans la zone. Parallèlement, il a redonné vie au Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (Corcas), qui a joué un rôle central dans l’élaboration du projet d’autonomie interne du Sahara occidental. Reste que la sollicitude de Rabat ne réglera pas tout, loin de là. La zone demeure confrontée à de sérieux problèmes économiques que la pêche, activité en forte croissance, ne saurait suffire à juguler. Le Sahara manque d’investisseurs privés, qui ne cachent pas leur inquiétude face à la persistance du contentieux. La population sahraouie, elle, s’est habituée à cette avalanche de subsides, se contentant souvent de percevoir les aides sociales au détriment de l’initiative privée. Alors que, dans le même temps, les Marocains venus du Nord devenaient de plus en plus influents dans le tissu économique local, notamment dans le secteur le plus rémunérateur, celui de la pêche. Sans susciter de conflits ouverts entre autochtones et allogènes, cette disparité grandissante a tout de même provoqué certains malaises au sein de cette population hétérogène. Les ressentiments devraient toutefois s’estomper. Trente ans après la fracture de 1975, le temps commence à faire son uvre. Si les communautés se distinguent assez clairement les unes des autres, le fossé se comble progressivement au niveau des jeunes générations. Qu’ils soient originaires de Boujdour ou de Tarfaya, de Marrakech ou de Casablanca, les adolescents de Laayoune fréquentent les mêmes lycées, s’habillent avec les mêmes marques de vêtement et écoutent les mêmes variétés internationales. Reste à percer définitivement l’abcès séparatiste. Alors que certaines familles vivent séparées depuis trois décennies, beaucoup ne croient plus dans la viabilité d’un État sahraoui. Entre les slogans d’indépendance des uns et les velléités d’intégration des autres, ils privilégient une troisième voie. Ils veulent juste qu’on leur garantisse une certaine autonomie. Et surtout que l’on détruise le mur de sable qui balafre leur désert sur plus de 2 000 kilomètres pour enfin retrouver les leurs.

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