Sur les pas du Petit Prince

La traversée des territoires sahariens est aujourd’hui une formalité. À la découverte de cette terre chargée d’histoire et de ces paysages envoûtants.

Publié le 24 octobre 2006 Lecture : 6 minutes.

« Nom, prénom, nationalité, date et lieu de naissance, adresse, profession, numéro de passeport » L’officier zélé égrène les questions devant le poste de la gendarmerie royale de Tarfaya, rappelant que la petite ville côtière située à proximité du cap Juby fait l’objet d’une constante surveillance, comme le reste des provinces sahariennes. Les rues alentour sont désertes en ce milieu d’après-midi d’octobre. En pleine période de ramadan, la population se repose en attendant la rupture du jeûne. Le soleil couché, les habitants et les voyageurs s’attablent devant la Maison de la pêche et aux terrasses voisines pour déguster un tajine ou un thé.
Non loin de la plage, les enfants jouent à proximité d’un biplan miniature en métal oxydé. Une stèle qui rappelle que l’aviateur et écrivain Antoine de Saint-Exupéry résida ici. L’aventurier français y fut nommé chef d’escale en 1927 alors que la ville était une étape sur les lignes de l’Aéropostale. Il y resta dix-huit mois, négocia la libération des pilotes prisonniers avec les tribus maures insoumises et y écrivit son premier roman, Courrier Sud. C’est aussi là qu’il eut l’inspiration du Petit Prince. L’association Mémoire d’Aéropostale a ouvert un musée en septembre 2004 pour entretenir le souvenir de ces pionniers du ciel reliant l’Europe à la cordillère des Andes via Dakar.
Le bâtiment le plus authentique de Tarfaya reste sans nul doute la Casamar, abréviation de Casa del mar (« la maison de la mer »). Contrairement à ce que semble indiquer son nom, cet ancien comptoir commercial a été installé en 1883 par les Britanniques de la Northern African Company et demeure l’unique vestige de l’éphémère présence des hommes d’affaires de Sa Majesté britannique. Mais la bâtisse, construite les pieds dans l’eau et battue par les vents de l’Atlantique, est complètement laissée à l’abandon faute de moyens pour la restaurer.
Rares souvenirs d’une époque fastueuse Aujourd’hui, Tarfaya compte près de 7 000 habitants et vit essentiellement de la pêche au chalut. Au port, les hommes en combinaisons vert olive débarquent leurs prises sous le regard intéressé des mouettes, prêtes à toutes les audaces pour chaparder leur repas du jour.
La route menant à Laayoune est jalonnée de cabanes de pêcheurs juchées sur les falaises. De temps à autre, on traverse un oued avant d’arriver à Tah, village ô combien symbolique pour les Marocains. Le 6 novembre 1975, 350 000 civils, venus des quatre coins du royaume à l’appel d’Hassan II, entament une marche pacifique à partir de Tan-Tan à destination de Laayoune. Ils n’atteindront jamais la cité promise, mais ils franchiront le poste frontière de la ville de Tah.
Franco est alors sur son lit de mort. Et pour éviter une confrontation sanglante, un compromis ingénieux est élaboré. Les troupes espagnoles reculent de quelques kilomètres. Les marcheurs marocains, franchissent la frontière, accomplissent leurs dévotions, puis se retirent. Une semaine plus tard, l’Accord de Madrid permet à Rabat d’hériter de « l’administration » du territoire. Ce qui laisse ouverte la question de la souveraineté.
Actuellement, les provinces sahariennes restent encadrées par d’importantes forces militaires et policières. On parle de plus de 50 000 hommes, sans compter les troupes de la Minurso déployées dans la région. À Laayoune (200 000 habitants), ces derniers ne passent pas inaperçus au volant de leurs véhicules 4×4 frappés du sigle de l’ONU. Ils contribuent à l’activité économique locale, notamment l’hôtellerie et la restauration. Initialement hameau composé de petites constructions rustiques de style saharien, la ville dispose aujourd’hui de larges voies rectilignes, de grandes places éclairées par des réverbères, d’un jardin ornithologique, de quelques grands hôtels, de nombreuses mosquées et d’une résidence royale. Quelques bâtiments administratifs et la cathédrale constituent les derniers témoignages de la présence ibérique. Les pères blancs espagnols qui vivent là officient presque exclusivement pour les soldats de la Minurso. Comme toute ville possédant de fortes garnisons, Laayoune connaît un essor de la prostitution. Une prostitution feutrée, mais bien réelle. « Certaines serveuses dans les bars vendent aussi leurs corps aux clients », chuchote un habitué.
Fondé par les Espagnols en 1932, Laayoune se développe, depuis leur départ, à une vitesse effrénée en grande partie grâce aux subsides de l’État. De nombreux avantages fiscaux incitent les Marocains à s’y installer. Mais les activités ne sont guère diversifiées : pratique de la pêche, extraction du phosphate et petit commerce offrent l’essentiel des emplois. L’économie de la province est largement subventionnée et nombre de postes dans la fonction publique ne sont pas justifiés. Quant au développement du tourisme, il reste encore embryonnaire, en attendant un règlement pacifique de la question territoriale.
Le soir venu, les habitants déambulent nonchalamment dans les artères de la ville tandis que les jeunes s’encanaillent près de la fête foraine. Si le centre urbain respire l’aisance, la majorité des habitants vit dans des conditions modestes. La tentation de l’exil est donc grande pour la jeunesse. « Je ne veux pas croupir ici, affirme Mohamed, qui termine une formation aux métiers de l’hôtellerie. Pour moi, ce sera l’Europe ou, à défaut, Agadir ou Marrakech. »
En reprenant la route vers le sud, on atteint Boujdour. Dans la cahute faisant office de poste de police à quelques kilomètres avant l’entrée de l’agglomération, le numéro d’un camion susceptible de transporter des immigrants clandestins est affiché sur le mur blanchi à la chaux. Sur tout le littoral, nombreux sont les Marocains et les Subsahariens à tenter de rejoindre les Canaries. Certains réussissent leur coup, se lancent dans un commerce florissant entre l’archipel et le Sahara, ou poursuivent leur route vers le continent. À Boujdour, les projets ne manquent pas pour mettre en valeur la longue corniche et ses vastes plages. À terme, la ville possédera une zone hôtelière, des résidences secondaires et de nombreux restaurants. En attendant, elle constitue surtout une étape sur la route qui mène à Dakhla, capitale de la région d’Oued Eddahab. Résolument tourné vers la pêche maritime, le site connaît un développement des cultures maraîchères sous serre. Depuis quelques années, la ville accueille également des surfeurs venus du monde entier pour tester les spots exceptionnels de cette presqu’île et passer les mois d’hiver au chaud. On y pratique aussi la pêche sportive. Il n’est pas rare d’y capturer des courbines de près de 50 kg.
Dakhla ne manque pas d’infrastructures : hôpitaux, banques, aéroport. De nouveaux quartiers sont en cours d’édification ou d’assainissement. De bon matin, il est fréquent de croiser les élèves du Centre de qualification professionnelle maritime, tenue marine et blanc et casquette vissée sur la tête. Ici, on forme les marins et patrons de pêche destinés à opérer sur les chalutiers. « Un métier qui s’ouvre aux femmes, même si elles ont le plus grand mal à s’imposer dans cet univers masculin », précise Mustapha, enseignant.
Parcourir les 380 kilomètres de route qui séparent Dakhla de la frontière mauritanienne ne pose plus de problème. Depuis 2002, les convois militaires qui escortaient les voyageurs ont été supprimés. Il n’y a guère de vie dans cette vaste étendue désertique hormis quelques bergers, chameliers et pêcheurs. À El-Argoub, les autorités chérifiennes ont fait construire de nouveaux quartiers, inhabités pour le moment. Mais le royaume compte sur le plan d’autonomie des provinces du Sud pour favoriser l’essor des villes.
Sur la route, le vent balaie continuellement le sable blanc ou ocre donnant l’illusion d’une brume matinale. À Dekmar, dernière station-service avant le poste frontière marocain, les voyageurs font le plein et remplissent leurs bidons, l’essence étant détaxée dans les provinces du Sud. Le passage de la frontière se fait à Fort Guerguarat en l’absence d’une ligne de partage reconnue entre la Mauritanie et le Maroc. Gendarmerie royale, douanes, police les formalités de sortie du territoire sont moins laborieuses que par le passé. Entre quarante et cinquante véhicules passent chaque jour, essentiellement des camions de fruits et légumes qui ravitaillent Nouadhibou, quelques touristes et des Sahraouis qui vivent en territoire mauritanien. De nombreux Espagnols et Français se livrent également au trafic de voitures, la Mauritanie étant peu regardante sur les entrées de véhicules. Une fois les formalités accomplies, on s’engage sur une piste cahoteuse et non balisée sur près de 4 kilomètres. Un tronçon à parcourir en convoi ou avec un guide, des mines antipersonnel ayant été déposées durant la guerre. Bien que, des deux côtés, les autorités aient procédé à des opérations de déminage, le stress dure de longues minutes avant d’atteindre enfin le poste de douane mauritanien.

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