Moshe Katsav

Accusé de harcèlement sexuel, de viol et d’écoutes illégales, le président d’Israël pourrait faire l’objet d’une procédure d’impeachment, qui conduirait à la levée de son immunité. Et à son inculpation.

Publié le 24 octobre 2006 Lecture : 6 minutes.

Coup de tonnerre en Israël : le président Moshe Katsav se serait rendu coupable de harcèlement sexuel et de viol, de pratique illégale d’écoutes téléphoniques et d’attribution frauduleuse de grâces présidentielles à des détenus. Telles sont, en tout cas, les conclusions de l’enquête de police diligentée par le procureur de l’État, Menahem Mazouz. D’ici à un mois, ce dernier devrait prononcer – ou non – l’inculpation du président.
Depuis quatre mois, les nuages s’amoncelaient au-dessus de Moshe Katsav. Dès juillet, le quotidien de gauche Haaretz s’était emparé de l’affaire au moment où la guerre du Liban occupait tous les esprits. Peut-être est-ce d’ailleurs parce que les feux de l’actualité étaient braqués sur le Premier ministre, Ehoud Olmert, qui occupe le devant de la scène politique, que le président, dont le rôle n’est que protocolaire, a réagi avec une certaine arrogance aux rumeurs le mettant en cause.
Moshe Katsav est un homme qui plaît : 60 ans, portant beau, sourire avenant, cheveux argentés, pattes d’oie riantes, regard clair, sourire charmeur Né en Iran, il a émigré en Israël avec sa famille à l’âge de 5 ans. L’image du séducteur policé et cultivé que lui renvoie son entourage, notamment féminin, l’a toujours ravi. On dirait même qu’elle le rassure. Mais elle a ruiné celle de l’homme d’État, marié, père de cinq enfants, censé incarner l’autorité morale et le consensus dans une société israélienne politiquement morcelée.
Haaretz a ouvert le feu en révélant qu’une jeune femme, employée à la résidence présidentielle, avait été victime de harcèlement sexuel. Katsav lui aurait proposé 200 000 dollars pour qu’elle se taise. Mais c’est une tout autre version que le président a présentée, le 11 juillet, à Menahem Mazouz. Selon lui, il était l’objet d’une tentative d’extorsion de fonds de la part d’une employée licenciée. Le procureur de l’État ouvre alors une information judiciaire et demande à la police d’enquêter. Surprise, celle-ci recueille bientôt plusieurs témoignages qui viennent corroborer le harcèlement. De suspecte, l’employée devient victime. C’est le scandale.
Les associations de défense des droits des femmes restent muettes, mais la presse fait de l’affaire ses choux gras et abonde en détails sordides. Devant ce soutien médiatique inattendu, celle qu’on identifie désormais par l’initiale « A » s’enhardit, prend un avocat, Me Kinneret Barashi, et dépose une plainte pour viol. Dans le même temps, elle obtient un soutien plus politique en la personne de la députée travailliste Shelly Yachimovich, également – et surtout – journaliste vedette de la télévision.
L’affaire fait boule de neige. Plusieurs autres victimes se font connaître, toutes ex-collaboratrices de Katsav quand il était ministre ou à la présidence. Que disent-elles ? À peu près la même chose : d’un patron aux manières courtoises, il serait passé à des propos familiers et indécents avant de tenter de façon plus explicite d’obtenir leurs faveurs. Devant leur refus, il aurait repris ses distances, puis les aurait sanctionnées en les écartant de toute responsabilité. L’une d’entre elles, qui travaillait avec lui lorsqu’il était ministre des Transports entre 1988 et 1992, porte plainte pour viol. Les accusatrices sont soumises l’une après l’autre au détecteur de mensonges : il semble bien qu’elles disent la vérité.
Katsav nie en bloc. Il conteste la fiabilité des témoignages, affirme que l’une des femmes est la maîtresse d’un opposant politique qui la manipule. Il crie au complot. Le 21 août, la police perquisitionne la résidence présidentielle, s’attarde à son bureau privé et saisit les ordinateurs. Deux jours plus tard, à son domicile de Jérusalem, Katsav est entendu « sous serment » par les policiers, ce qui signifie qu’il est désormais considéré comme suspect. Ses avocats soutiennent que leur client est victime d’une « machination » et qu’il est disposé à coopérer pour que toute la lumière soit faite.
Dans les journaux, « l’affaire Katsav » tourne au feuilleton quotidien. Haaretz affirme que les documents saisis lors des perquisitions de la police sont tellement compromettants qu’ils vont contraindre le président à la démission. Nouveau coup de théâtre : une bande magnétique, dans laquelle « A » affirme que son chantage n’est pas lié au harcèlement sexuel, est rendue publique à la radio. Elle y parle d’amnisties de détenus que le président aurait accordées abusivement à des proches d’hommes d’affaires. Le quotidien Maariv croit savoir qu’un des plus célèbres chefs de la pègre aurait été averti de son arrestation imminente par les services présidentiels.
Katsav résiste, refuse de parler de démission, alors que les journaux avancent déjà les noms de Shimon Pérès, numéro deux du gouvernement, d’Élie Wiesel, Prix Nobel de la paix, ou encore de Nathan Chtcharanski, l’ancien dissident soviétique, pour lui succéder.
Cette affaire vient ternir un peu plus le blason de la classe politique israélienne, déjà empêtrée dans plusieurs scandales : le 20 août, le ministre de la Justice, Haïm Ramon, est inculpé pour harcèlement sexuel et contraint à la démission ; le Premier ministre Ehoud Olmert est soupçonné d’avoir bénéficié d’un demi-million de dollars de rabais sur l’achat d’un appartement en échange de marchés octroyés à un entrepreneur ; le général Dan Haloutz, chef d’état-major de Tsahal, est accusé de délit d’initié pour avoir vendu son portefeuille d’actions à la veille du déclenchement des hostilités contre le Liban et de l’effondrement de la Bourse de Tel-Aviv. Enfin, gouvernement et état-major des armées sont sous le feu des critiques en raison de leur gestion désastreuse de la guerre contre le Hezbollah.
Katsav doit faire face à sept plaintes, sans compter les femmes qui acceptent de témoigner sans encore oser porter l’affaire devant la justice. Les enquêteurs vérifient soigneusement chaque information. L’accusé se défend pied à pied, réfutant toutes les déclarations de ses accusatrices. Seulement voilà, la presse confirme que le président a ordonné que l’on écoute et que l’on enregistre toutes les conversations téléphoniques aux domiciles de ses victimes. Sa cinquième audition, le 11 septembre, est exclusivement consacrée à ces écoutes illégales ainsi que, pour la première fois, aux irrégularités dans les grâces accordées à certains détenus.
Dans ces conditions, Katsav ne peut plus remplir convenablement sa tâche présidentielle. Le 14 septembre, la juge Dorit Beinisch doit être investie dans ses nouvelles fonctions de présidente de la Cour suprême. Mais comment pourrait-elle prêter serment face à un homme sur lequel pèsent des accusations aussi infâmantes ? Les députés approuvent précipitamment, le 13, une « mise en congé » exceptionnelle de Katsav pour une durée de seize heures afin de permettre à la présidente de la Knesset, Dalia Itzik, de le suppléer.
Pourtant, s’accrochant bec et ongles à sa ligne de défense – la machination -, il va assister, deux semaines plus tard, à la prestation de serment du juge Eliezer Rivlin, vice-président de cette même Cour suprême. Mais c’est un homme tétanisé, réprimant difficilement ses tremblements, qui apparaît ce jour-là face aux caméras et sous les flashes des photographes, venus observer de près son comportement. A-t-il présumé de ses forces face au public et à la télévision ? Toujours est-il que, informé d’une possible bronca des députés, il a finalement annulé sa participation à l’ouverture de la session de la Knesset, le 16 octobre. Bien lui en a pris : plusieurs caciques de son propre parti, le Likoud, l’ont lâché, et certains parlementaires envisagent désormais une procédure d’impeachment, qui conduirait à la levée de l’immunité présidentielle.
Katsav ne serait pas le premier homme politique à « tomber » à la suite d’une affaire de murs, mais ce serait une première mondiale pour un président. Son prédécesseur, feu Ezer Weizman, avait été poussé à la démission en 2000, trois ans avant la fin de son second mandat, pour son implication dans une affaire de corruption. Katsav, lui, risque de connaître le même sort à quelques mois seulement de l’échéance de son mandat, en juillet 2007.

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