Mer d’abondance

Les activités restent encore peu diversifiées. Toutefois, la pêche offre de réelles perspectives de croissance.

Publié le 24 octobre 2006 Lecture : 9 minutes.

Plateaux caillouteux, massifs arides, littoral battu par les vents À première vue, les régions sahariennes ne sont pas gâtées par la nature. Au-delà des apparences, il convient de s’interroger sur la viabilité de ce territoire vaste comme les trois quarts de la France et qui aspire aujourd’hui à l’autonomie. Certes, les conditions de vie y sont rigoureuses. Toutefois, le désert marocain présente certaines spécificités qui sont considérées comme autant d’atouts pour la valorisation économique de la zone.
Concernant l’exploitation du secteur primaire, le sud du Maroc est par tradition une terre d’élevage. Dans la région d’Oued Eddahab-Lagouira, où près de 13 millions d’hectares sont consacrés aux parcours pastoraux, le cheptel camelin est estimé à 25 000 têtes. Si de nombreuses familles conservent un troupeau de chameaux, ceux-ci sont accompagnés d’un certain nombre d’ovins et de caprins qui servent de « trésorerie » en cas de nécessité. Idem dans la région de Laayoune-Sakia el-Hamra où l’élevage camelin reste prédominant, essentiellement pour la commercialisation de la viande. Toutefois, la production laitière profite du dynamisme de certains opérateurs regroupés au sein de la Coopérative laitière de Sakia el-Hamra, dont la collecte atteint désormais 8 000 litres par jour. Outre le gros élevage, l’aviculture offre également des possibilités intéressantes, notamment sur le littoral, où le climat rend cette activité plus aisée. Mais au-delà du traditionnel poulet de chair, certains pensent déjà à l’implantation d’élevages d’autruches, un oiseau dont la rusticité s’accorderait plutôt bien avec l’environnement saharien.
Jusqu’à présent, les contraintes climatiques n’ont pas permis de développer des activités agricoles intensives, l’accès aux ressources en eau étant difficile. Les périmètres irrigués se sont néanmoins multipliés depuis une dizaine d’années, notamment dans la région de Dakhla, où l’on dénombre cinq sites dans un rayon de 70 kilomètres autour de la ville. Parmi les plus performants, celui de la Société de production agricole de Tawarta. Il est équipé d’un forage artésien de 37,5 litres/seconde, d’un bassin de stockage, d’une station de dessalement d’eau de mer et d’une station de fertigation (irrigation fertilisante). Avec une soixantaine d’hectares cultivés sous ombrières, la société produit essentiellement des tomates, exportées par la route jusqu’en Europe, essentiellement en France. La zone bénéficie en outre d’atouts non négligeables sur le plan phytosanitaire. Grâce à l’absence de cératite, une mouche qui ravage les cultures fruitières en Espagne, elle a obtenu, par exemple, un agrément pour étendre ses exportations à l’Amérique du Nord.
Les possibilités de production maraîchères au Sahara ne se limitent pas à la tomate. Grâce aux cultures sous serre, on fait pousser des concombres, des courgettes et même des bananes. La Société Nagjir, qui est en train d’équiper une exploitation à proximité de Dakhla, envisage de produire du melon sur 70 hectares au cours de la campagne 2006-2007. Dotée d’un climat particulièrement favorable à la croissance des fruits et légumes (amplitude thermique modérée, ensoleillement maximal), la région se caractérise également par un régime de vents soutenus, ce qui ne pose plus de problème dès lors que les cultures sont efficacement protégées. Reste à garantir la fourniture en eau pour tous ceux qui voudront investir dans ce créneau. Et à trouver les débouchés nécessaires sur un marché où d’autres productions marocaines sont déjà bien placées. Mais l’agriculture maraîchère saharienne peut aussi jouer de sa position géographique de trait d’union entre l’Europe de l’Ouest et l’Afrique subsaharienne.
Si l’agriculture et l’élevage restent une source sûre d’activité dans le Grand Sud, le véritable boom économique de la région passe incontestablement par la pêche. Au cours des quinze dernières années, les ressources halieutiques ont connu une exploitation sans précédent, provoquant l’arrivée de milliers de Marocains venus du Nord. Alors que les Sahraouis ont longtemps tourné le dos au littoral, les populations allogènes ont très vite compris quels bénéfices elles pouvaient tirer des eaux poissonneuses de la façade océanique du Sahara. Après avoir pris racine dans les principales villes côtières (Dakhla, Boujdour, La Marsa, Tarfaya, Tan-Tan), les pêcheurs ont progressivement occupé de nouveaux sites. À tel point que les produits de la pêche sont devenus la première ressource des régions sahariennes.
La ruée vers l’or bleu a été particulièrement sensible dans la région de Dakhla où, à la fin des années 1990, des milliers de personnes pêchaient le poulpe sans retenue. Ces excès se sont naturellement traduits par l’effondrement du marché. En 2002, le prix du poulpe a chuté à moins de 15 dirhams le kilo (50 dirhams à la fin des années 1990). Les revenus des pêcheurs ont d’autant plus souffert que, simultanément, la surexploitation des réserves a brutalement manifesté ses effets. Pour juguler la crise, un plan d’aménagement a été élaboré par l’Office national des pêches (ONP). Un repos biologique a été institué pour laisser à l’espèce le temps de se renouveler. Dans le même temps, la flotte a été réduite : des 7 000 embarcations qui pratiquaient cette activité, il n’en reste plus que 3 400, qui font travailler six personnes chacune (trois en mer et trois à terre). Parallèlement, la filière a été réorganisée. La vente aux enchères des produits de la pêche a été entièrement informatisée grâce à la « criée électronique », qui a permis d’éliminer les intermédiaires tout en sécurisant les transactions.
Parallèlement à cette rationalisation de la capture des céphalopodes, les autres filières ont connu un développement très rapide. Les espèces pélagiques (sardines, maquereaux) sont désormais exploitées sur une grande échelle par des armements européens et russes, qui convoitent le fameux « stock C » (terme utilisé pour désigner les réserves des eaux sahariennes, réputées parmi les plus poissonneuses du monde). La pêche côtière et artisanale dans les régions du Sud a atteint 700 000 tonnes débarquées en 2005, pour une valeur de près de 2 milliards de DH, contre 500 millions de DH dix ans plus tôt. 97 % de ce volume était constitué d’espèces pélagiques, traitées par les conserveries, ou encore transformées en huile ou en farine. Environ 40 % des tonnages (380 000 tonnes) sont débarqués à Laayoune, où se concentre une imposante flotte de chalutiers, sardiniers et autres palangriers. Le reste se partage entre les ports de Dakhla, Boujdour et Tan-Tan ainsi que dans les villages du littoral, où les quantités débarquées sont loin d’être négligeables : rien que pour la région de Dakhla, les prises ont atteint 127 000 tonnes en 2005 pour une valeur de plus de 700 millions de dirhams. Depuis la mise en uvre du Plan d’aménagement poulpier par le ministère en charge des Pêches maritimes et la réorganisation des circuits de commercialisation, certains villages sont devenus particulièrement prospères. À cet égard, l’exemple de N’tireft, près de Dakhla, est édifiant. Avec 183 millions de DH de chiffre d’affaires en 2005, il s’est hissé au rang de premier village de pêche et de sixième site de valorisation des produits de la mer du pays, devançant même les ports traditionnels de Safi ou Tanger
Parallèlement, pour accroître la valeur ajoutée de la filière, les autorités misent sur la transformation locale. Déjà quelques conserveries sont en activité, comme celle du groupe espagnol Calvo à La Marsa. Originaire de La Corogne (Galice), il loue depuis deux ans une usine de 7 000 m2 pour une production annuelle de 7 000 tonnes de thon en conserve. « Nous avons choisi ce site pour sa situation géographique, explique Amador Beiro Fernandez, directeur de Calvo Conservas Maroc. Le thon pêché par nos navires en Atlantique-Sud est déchargé ici pour y être transformé avant d’être acheminé vers Espagne et l’Italie où il est commercialisé. » Avec un chiffre d’affaires attendu de 80 millions de dirhams en 2006, Calvo a également délocalisé une partie de ses activités à Laayoune pour ses avantages comparatifs. Les tâches de conditionnement, autrefois localisées en Espagne, sont désormais dévolues aux ouvrières marocaines, payées environ 2 000 DH par mois. Mais l’industriel n’est que locataire des installations. Pour investir durablement au Sahara, il ne cache pas qu’un règlement politique du contentieux sahraoui serait le bienvenu.
Dernière activité industrielle majeure, l’exploitation à ciel ouvert de la mine de Boucraâ par l’OCP (Office chérifien des phosphates). La découverte des premiers indices de minerai dans le Sahara remonte à 1947, mais ce n’est qu’en 1972 que l’exploitation du site a débuté. Interrompue en 1976 en raison du conflit sahraoui, l’activité a repris en 1982 et bénéficie depuis 1997 d’importants investissements. Extrait au moyen d’explosifs, le minerai est ensuite criblé puis épierré avant d’être acheminé par convoyeur jusqu’au port minéralier de La Marsa, situé à une centaine de kilomètres du site de production. Là, il subit un lavage à l’eau de mer et un rinçage à l’eau douce avant d’être exporté par cargos. Filiale de l’OCP, Phosboucraâ ne détiendrait que 1 % des réserves du groupe, qui sont estimées à 86 milliards de m3. Toutefois, la mine saharienne fournit pas moins de 10 % des volumes extraits par l’Office, soit près de 3 millions de tonnes de phosphate par an. « Nous avons dégagé un chiffre d’affaires de 850 millions de dirhams en 2005, explique le directeur général de Phosboucraâ, Daoud Bougazzoul. Mais l’exploitation demeure déficitaire. » Toujours est-il que la mine bénéficie d’investissements massifs : 1,46 milliard de dirhams depuis 1997, dont 776 millions pour la réhabilitation du wharf et 56 millions pour la cité minière. La direction insiste sur la redistribution de revenus dont bénéficie la région grâce à Phosboucraâ. « Le site emploie 1 740 personnes, dont la majorité est constituée d’ouvriers originaires de la province. Nous créons une cinquantaine d’emplois par an, et la sous-traitance est assurée à plus de 40 % par des entreprises locales. » Accusé par le Front Polisario de piller les richesses du Sahara, l’Office chérifien des phosphates soutient que l’exploitation de Boucraâ lui coûte plus d’argent qu’elle ne lui en rapporte.
Alors, comment doper l’activité du Grand Sud compte tenu des contraintes et des limites des filières existantes ? En faisant preuve d’imagination, soutient-on au Centre régional d’investissement (CRI). Son directeur à Dakhla, Mamay Bahiya, croit aux atouts de sa province : « Nous disposons désormais d’infrastructures performantes dans une zone qui offre d’indéniables potentialités. Et l’institution d’un guichet unique en janvier 2002 ainsi que les exonérations fiscales auxquelles peuvent prétendre les opérateurs économiques sont autant d’éléments destinés à leur faciliter la tâche. » Parallèlement à la pêche industrielle, il existe des possibilités de diversification en aquaculture ou en conchyliculture. En matière de maraîchage, on compte actuellement trois ou quatre projets de culture de primeurs. Dans le domaine minier, l’extraction de granit ou de silice fait l’objet d’études approfondies. Enfin, concernant le tourisme, les projets d’établissements hôteliers se multiplient, signe que les professionnels croient aux chances du Sahara. Mais il s’agit pour l’instant de « niches » dont la rentabilité reste à prouver. Toutefois, le Sud dispose d’une carte supplémentaire à laquelle Hassana Maoulainine, directeur du CRI de Laayoune, croit fortement : la géographie. Située à mi-chemin entre l’Europe occidentale et l’Afrique subsaharienne, la région est un maillon essentiel dans le commerce Nord-Sud. D’autant que l’axe Tanger-Dakar est désormais goudronné. Si l’on ajoute à cette position stratégique la proximité de l’archipel des Canaries, avec lequel les transferts de technologie doivent être encouragés, on obtient un ensemble de conditions favorables qu’il convient d’exploiter sans tarder. Il faut pour cela en convaincre les privés. Car, avec seulement 216 millions de dirhams d’investissements projetés en 2005, leur contribution au développement reste pour le moment symbolique comparée aux milliards d’aides publiques qu’a reçues le Grand Sud depuis 1976.

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