Les palmeraies contre le désert

Sur les contreforts sud de l’Anti-Atlas, là où l’influence du Sahara se fait sentir, les oasis constituent un défi lancé à l’aridité.

Publié le 24 octobre 2006 Lecture : 4 minutes.

A un peu moins de 300 km au sud-est d’Agadir, Tata est une petite ville de 16 000 habitants, perchée sur les contreforts sud de l’Anti-Atlas. Le Sahara n’est pas encore arrivé jusque-là, mais déjà son influence se fait sentir. Arganiers, amandiers et acacias, pourtant robustes, ont disparu du paysage. Les précipitations insuffisantes ont eu raison de leur défi lancé à l’aridité. Avant de disparaître complètement dans les sables, la végétation subsiste toutefois. Elle prend la forme d’un chapelet de palmeraies luxuriantes. Vues d’avion, elles dessinent un croissant de verdure de près de 1 000 km de long, entre Figuig, au Nord-Est, et Guelmim, à l’Ouest. Elles constituent aussi un ultime rempart à la marche forcée du désert vers le nord, dont la préservation prend tout son sens
« L’existence de Tata est indéfectiblement liée à celle de sa palmeraie. C’est une richesse qu’il nous faut absolument sauvegarder », explique Hassan Mouradi, chef de projets à l’Association pour la lutte contre l’érosion, la sécheresse et la désertification au Maroc (Alcesdam). « Il faudrait un véritable plan Marshall pour préserver les oasis de la région », renchérit Mohamed Khalali, chef de la Direction de l’action sociale (DAS) de la province. Pendant des siècles, les palmeraies ont permis le maintien d’une importante population dans la région. Dans un espace naturel hostile, elles ont longtemps été considérées comme le système agricole le plus abouti. Reposant sur l’étagement des cultures, il permet d’associer des productions très variées sur un périmètre restreint : luzerne, céréales et cultures fourragères au sol, arboriculture sur la strate intermédiaire, et dattes dans la partie supérieure. Mais depuis une trentaine d’années, l’existence des palmeraies est remise en question sous les effets d’un faisceau de facteurs. « Toutes les oasis sont condamnées à mort si les évolutions actuelles se poursuivent », relevait un rapport publié en 2004 dans le cadre de l’élaboration d’une Stratégie nationale de développement et d’aménagement des oasis. Depuis 1970, la superficie des palmeraies de la province de Tata, qui réalise près de 20 % de la production nationale de dattes avec 8 000 à 10 000 tonnes de fruits récoltés par an, s’est réduite de plus de 34 %. En trente-cinq ans, le nombre d’arbres producteurs est passé de 1,2 million à 800 000 seulement. Une tendance qui reflète l’évolution constatée dans l’ensemble du pays, où plus des deux tiers des pieds de palmiers-dattiers ont disparu en un siècle.
La raréfaction des précipitations et le pompage de la nappe phréatique qui en a découlé sont sans doute les premières causes de cette situation, que les experts s’accordent désormais à nommer « la crise du palmier ». Dans la province de Tata, plus du tiers de l’oasis de Foum Zguid est aujourd’hui abandonné, faute d’une ressource en eau suffisante, conjuguée à des crues toujours plus violentes et à l’ensablement des infrastructures d’irrigation. La maladie du bayoud a, en outre, fait des ravages. Le champignon a fini par décimer la majeure partie des palmiers-dattiers de la province voisine d’Assa-Zag.
Les conséquences d’une telle situation ne se sont pas fait attendre. La production de dattes, seule culture de rente de l’agriculture oasienne, a chuté, à cause du vieillissement des arbres existants et du désintérêt croissant des agriculteurs pour cet espace. Aujourd’hui, un palmier-dattier ne donne que 15 à 20 kg de fruits pour un potentiel de 100. Les populations préfèrent se tourner vers d’autres activités, plus rémunératrices, d’autant que la pression démographique dans la zone a conduit à un morcellement des parcelles au gré des successions : le périmètre agricole dans la province de Tata est actuellement réduit à moins de 1 hectare par exploitant. Ainsi, beaucoup de familles ne survivent plus que grâce à l’apport financier d’un de leurs membres parti tenter sa chance à Casablanca, Rabat ou Agadir
Pour enrayer la désertification et lutter contre l’appauvrissement des populations qui provoque leur exode, l’Agence du Sud a lancé, au mois de février dernier, le Programme oasis, en partenariat avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Quinquennal, d’un montant de 3,330 millions de dollars, il vise à la remise en ordre de marche, puis la pérennisation, d’une dizaine de palmeraies sur 12 000 hectares environ. Il est, pour la zone de Guelmim-Assa-Tata, le pendant du programme Tafilalet dans la région d’Errachidia-Tinejdad, dans le Moyen-Atlas.
« Le plan comporte deux grands aspects, explique Mohamed Houmymid, son coordonnateur. Le premier est d’ordre agro-écologique. Il s’agit de maintenir un système d’exploitation viable et écologique par la restauration de l’agrosystème oasien. Le second cherche à faire valoir la spécificité de cet espace tant au niveau local que national, par la création d’un « pays » à forte identité. » En clair, il s’agit d’abord de valoriser l’agriculture des palmeraies en incitant les agriculteurs à améliorer la fertilité des sols, économiser l’eau et diversifier les productions par l’introduction de cultures biologiques et de plantes aromatiques ou médicinales de qualité suffisante pour obtenir un label. L’idée est aussi d’apporter aux familles un complément de revenu par la promotion du tourisme (ouverture de maisons d’hôtes, mise au point de circuits) et du travail des femmes. À Tata, une unité de conditionnement des dattes a ainsi vu le jour. Dans un deuxième temps, le Programme espère mettre en place une gestion commune, transversale et concertée des différentes palmeraies de la région. Dans cette perspective, le dispositif Agenda 21, une feuille de route, elle aussi élaborée en partenariat avec le Pnud, destinée à promouvoir la gestion locale participative à travers des propositions de développement durable, devrait être retenu pour les oasis de Taghjijt et Asrir (province de Guelmim). En outre, un Conseil local de développement durable des oasis devrait voir le jour à Tata. En attendant de pouvoir, peut-être, plus tard, y voir refleurir un amandier.

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