« La concertation avec la population est une priorité »

Ahmed Hajji, directeur général de l’Agence pour la promotion et le développement économique et social des provinces du sud du royaume.

Publié le 24 octobre 2006 Lecture : 6 minutes.

A 45 ans, Ahmed Hajji est, depuis février 2003, le directeur général de l’Agence pour la promotion et le développement économique et social des provinces du sud du royaume, plus communément appelée l’Agence du Sud. Avec l’Agence du Nord et l’Agence de l’Oriental, elle fait partie des trois structures installées par Mohammed VI pour aménager de façon concertée les régions marocaines stratégiques. Diplômé de l’École des mines de Paris, Ahmed Hajji dirigeait la Société nationale d’équipement et de construction (Snec) avant sa nomination.

Jeune Afrique : L’Agence du Sud n’est pas la première agence régionale à avoir été créée au Maroc. Dans quel contexte a-t-elle vu le jour ?
Ahmed Hajji : Annoncée en mars 2002 lors de la deuxième visite de Sa Majesté à Laayoune, elle a été créée six ans après l’Agence du Nord. Lors de ses différents voyages, le souverain a constaté l’ampleur des investissements dans les provinces du Sud, mais également la nécessité de passer à la deuxième étape : faire de l’initiative privée un levier de développement. L’Agence du Sud s’est alors vu assigner une double mission : assurer la convergence des efforts des pouvoirs publics dans la zone et préparer la transition vers une économie régionale portée par le secteur privé.
En quoi l’expérience de l’Agence du Nord a-t-elle été utile ?
Nous avons capitalisé sur son expérience. Il y a beaucoup de similitudes entre les deux agences, même si, évidemment, le contexte du Sud est particulier. Nous opérons sur un terrain où les contraintes comme la rareté des ressources hydriques, l’ensablement, le vent ou l’urbanisation galopante sont très lourdes à gérer, et où les atouts restent à valoriser. Il a fallu en tenir compte.
Quels sont vos objectifs ?
À ce jour, 140 projets sont réalisés ou en cours d’exécution, pour un coût global de 3 milliards de DH. En plus des projets d’infrastructures classiques, nous nous attelons à faire émerger une deuxième génération de projets centrés sur le développement humain, l’emploi, le soutien à l’initiative privée, la formation, l’appui à la société civile et aux élus. Nous portons une attention particulière à la promotion de la culture hassanie et à la préservation de l’environnement, notamment à travers le programme de sauvegarde et de valorisation des oasis que nous menons avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).
L’Agence du Sud a fait l’objet de nombreuses critiques à ses débuts. Certains ont trouvé très long le délai entre sa création et ses premières actions sur le terrain.
Ce délai était nécessaire pour faire passer les textes législatifs et réglementaires, mettre en place la structure de l’Agence et, enfin, lever les budgets. Or, la meilleure façon d’obtenir ces derniers, c’est de mettre au point un portefeuille de projets cohérents, à partir de diagnostics précis. Ce processus s’est déroulé de février 2003 à l’été 2004. À mon sens, il a été plutôt rapide, puisque le programme représente un investissement total de 7,2 milliards de dirhams [700 millions d’euros, NDLR] pour la période 2004-2008.
N’était-il pas possible d’aller plus vite ?
La question est de savoir si l’on veut faire du développement avec ou sans l’implication des populations concernées. On n’imagine plus désormais reconduire la politique d’investissement public décidée et menée à partir du sommet de la hiérarchie administrative, sans garantie d’impact sur le terrain. Aujourd’hui, la concertation avec les bénéficiaires des programmes de développement ainsi que la participation des élus et de la société civile sont des principes qui guident notre démarche. Ce qui, forcément, prend du temps.
Certains élus locaux ont craint également que l’arrivée de l’Agence ne court-circuite les hiérarchies existantes.
Dans le Sud comme ailleurs, quand un nouvel acteur entre en scène, il y a toujours une phase d’inquiétude, de test et d’évaluation Certains ont pu craindre que l’Agence ne se substitue aux collectivités locales ou aux services déconcentrés de l’État. Mais ce n’était pas du tout notre logique et nous avons rapidement mis les points sur les « i » : l’Agence n’est là que pour fédérer et appuyer les actions des opérateurs locaux, avant qu’ils n’en prennent les rênes. Notre objectif est que les collectivités concernées, aujourd’hui partenaires de ce programme, se l’approprient complètement et en prennent le relais à l’horizon 2010.
Le contentieux politique n’ayant pas encore été réglé, l’Agence du Sud n’a-t-elle pas été mise en place trop tôt ? Le développement du Sahara occidental sera-t-il possible tant que la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) y sera présente ?
Tout à fait. Vous avez pu remarquer qu’on y circule librement et que les opportunités d’investissement ne manquent pas. Pourquoi attendre la fin d’un conflit artificiel pour intervenir ? En fait, si les investisseurs et les touristes ne s’y intéressent pas davantage, c’est surtout par déficit d’information. Jusque-là, la région manquait de capacité hôtelière et de structures dédiées aux loisirs, ainsi que d’un véritable marketing territorial. Nous sommes en train d’y remédier.
Reste qu’aujourd’hui c’est de l’argent public que vit essentiellement la région. On a un peu l’impression qu’elle vit sous perfusion
Nous sommes là pour assurer la transition vers une économie s’appuyant sur le secteur privé. Que ce soit dans la mise à niveau urbaine, dans l’éradication de l’habitat insalubre, dans la mise en place des villages de pêche, dans l’assainissement, l’eau potable ou l’électrification, tous les efforts visent à réunir les conditions favorables au décollage économique. Comment cela pourrait-il se produire sans ces investissements publics, notamment dans les infrastructures qui sont du ressort de l’État ? Une fois levés les goulets d’étranglement, la mise en valeur des opportunités économiques et la mobilisation du secteur privé ne manqueront pas de produire leurs effets.
Le modèle de développement retenu pour la zone – l’agriculture, la pêche, le tourisme – paraît être en contradiction avec le nomadisme qui l’a longtemps marquée. Est-il viable à long terme ?
Il l’est forcément, puisque ce modèle de développement repose sur l’exploitation durable des ressources disponibles. À vrai dire, le nomadisme est aujourd’hui davantage un état d’esprit qu’un mode de vie. Savez-vous, par exemple, que le taux d’urbanisation de la wilaya de Laayoune est de 96 % ? Il s’agit de la région la plus urbaine du Maroc.
Les acteurs régionaux placent de grands espoirs dans le développement touristique. L’idée qu’il est possible de détourner une partie des visiteurs qui se rendent aux Canaries est très à la mode. Pensez-vous vraiment pouvoir proposer le même produit de masse au Sahara ?
Un schéma de développement touristique est actuellement à l’étude, en partenariat avec les collectivités locales et le département du tourisme. Il doit permettre de dégager un consensus autour de la future offre touristique saharienne et éliminer progressivement toutes les idées fausses qui circulent à ce propos.
Quel tourisme pensez-vous privilégier ?
Nous avons notre idée sur la question, mais je ne veux pas anticiper sur le résultat du processus de concertation. Une chose est sûre cependant : il s’agit d’un espace naturel exceptionnel, écologiquement très sensible. Nous nous montrerons donc très prudents, en misant sur le développement d’activités touristiques socialement responsables et respectueuses de l’environnement comme de la culture locale.
Si le contentieux au Sahara était résolu demain, les provinces du Sud seraient-elles en mesure d’accueillir les Sahraouis de Tindouf ?
Le Maroc est connu pour sa capacité à réagir promptement dans ce genre de situation. Vous pouvez être certain que toutes les dispositions seront prises pour permettre à nos concitoyens de Tindouf de réintégrer la mère patrie dans les meilleures conditions.
Le sud du Maroc est composé d’une mosaïque de populations. Combien de temps encore faudra-t-il pour mettre un terme à leurs rivalités ?
Avoir ici une population homogène, est-ce un objectif en soi ? Depuis des siècles, nous vivons dans un Maroc pluriel, dont la monarchie est le ciment fédérateur. L’une des grandes forces de notre pays, c’est la tolérance, le respect des différences. Nous sommes fortement attachés à ces valeurs et veillons à les pérenniser.
Ne craignez-vous pas que les privilèges accordés aux provinces méridionales ne suscitent la jalousie des autres régions ? Le Nord ne risque-t-il pas, un jour, d’en avoir assez de payer pour le Sud ?
Tout le Maroc est en chantier. On ne peut pas parler de focalisation exclusive sur le Sud. En outre, nous nous trouvons ici dans un espace éloigné du centre du royaume : il est donc normal que la solidarité nationale opère.

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