Faut-il bannir les prix ?

Goncourt, Renaudot, Médicis Les verdicts vont bientôt tomber. Une fois encore, le système français des récompenses littéraires sera l’objet de nombreuses critiques. Sont-elles justifiées ?

Publié le 24 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Premier roman d’un jeune écrivain d’origine américaine qui se met dans la peau d’un SS pour raconter la Seconde Guerre mondiale, Les Bienveillantes (éditions Gallimard) bat tous les records de vente en France : 200 000 exemplaires depuis sa sortie, à la fin d’août. Et ce n’est qu’un début. Le livre de Jonathan Littell est dans les sélections de tous les grands prix littéraires de l’automne. Goncourt, Médicis, Renaudot ou Femina, nul doute qu’il sera consacré par le Tout-Paris des lettres.
Il n’en est pas toujours ainsi. Chaque année, d’ordinaire, dès fin août, les supputations vont bon train. On oppose les chances de l’un à celles de l’autre. L’an dernier, La Possibilité d’une île, du sulfureux Michel Houellebecq, semblait promis au succès. Fayard, l’éditeur, avait mis au point un plan marketing d’une ampleur exceptionnelle. Malgré cela, ou à cause de cela, le Goncourt passa sous le nez de Houellebecq au profit de François Weyergans. Trois Jours chez ma mère, le roman primé, n’était certes pas un chef-d’uvre, mais son auteur est un écrivain reconnu et respecté. Consolation pour le groupe Hachette-Lagardère (propriétaire de Fayard), Grasset, l’éditeur de Weyergans, lui appartient aussi.
Si ces fameux prix d’automne déclenchent de telles passions, ce n’est pas seulement pour l’auréole de gloire qui accompagnera les lauréats. L’enjeu économique est vital pour les maisons d’édition. Le Goncourt, le plus prestigieux, ouvre le plus souvent la voie à des ventes de centaines de milliers d’exemplaires. Rouge Brésil (Gallimard) de Jean-Christophe Rufin, Goncourt 2001, s’est vendu à plus de 480 000 exemplaires. Primé en 2004, Le Soleil des Scorta (Actes Sud) de Laurent Gaudé a atteint 300 000 exemplaires, alors que Trois Jours chez ma mère a dépassé l’an dernier les 200 000.
Si l’on remonte le temps, on relève que L’Amant (Minuit) de Marguerite Duras, Goncourt 1984, a franchi la barre du million d’exemplaires, de même que Le Testament français (Mercure de France) d’Andreï Makine, lauréat 1995, tandis que Michel Tournier a vendu 2 millions d’exemplaires du Roi des Aulnes (Gallimard), couronné en 1970. Ce qui a permis à cet auteur de s’acheter le presbytère de ses rêves dans la région parisienne. Car si l’éditeur touche le jackpot avec un grand prix, l’écrivain y trouve aussi son compte. Goncourt 1987 avec La Nuit sacrée (Le Seuil), Tahar Ben Jelloun a ainsi empoché près de 1 million d’euros de droits.
Les autres prix font moins vendre, mais quand même. Grâce au Renaudot 2004, Suite française (Denoël) d’Irène Némirovsky a totalisé 280 000 exemplaires. L’année précédente, Les Âmes grises (Stock) de Philippe Claudel avaient dépassé les 240 000, alors qu’en 2000 Allah n’est pas obligé (Le Seuil) de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma créait la surprise avec plus de 200 000 exemplaires. Idem pour le Femina : 192 000 exemplaires pour Une vie française (L’Olivier) de Jean-Paul Dubois en 2004, 208 000 pour Dans ces bras-là (P.O.L.) de Camille Laurens en 2000. Tant mieux pour les bénéficiaires de ces pactoles. Mais le système français des prix fait depuis longtemps l’objet des critiques les plus vives. Quelqu’un a inventé un jour le terme Galligrasseuil pour dénoncer le fait que trois maisons (Gallimard, Grasset et Le Seuil) raflaient l’essentiel des prix. On parle désormais de Galligralbin, Albin Michel ayant supplanté Le Seuil dans le trio gagnant.
Que les jurés soient eux aussi des écrivains les rend suspects d’être inféodés aux éditeurs. Même si les affinités littéraires ou personnelles jouent autant que l’intérêt matériel immédiat, les combines sont fréquentes. Pour s’assurer le soutien d’un juré, un éditeur dispose d’un certain nombre de moyens de séduction bien connus de la profession : une préface surpayée, une campagne de publicité pour son dernier livre, la réédition d’un ouvrage qui n’a aucun avenir commercial, des avances sur droits sans commune mesure avec les ventes réelles de ses romans.
De tous les reproches, celui portant sur le mode de formation des jurys est le plus fréquent. Depuis sa création en 1903, l’académie Goncourt est constituée de dix membres nommés à vie. Plus de la moitié de l’aréopage actuel a plus de 80 ans. Du Médicis au Renaudot en passant par le Femina, les autres prix sont également attribués par des caciques indéboulonnables. Dans les autres pays, à l’exception du Strega en Italie, les jurys littéraires sont régulièrement renouvelés. Celui du Man Booker Prize, la plus haute distinction britannique, change même chaque année, et l’identité de ses membres n’est dévoilée que lors de la proclamation du prix. Quant au Pulitzer américain, l’aîné des jurés est remplacé tous les ans par un nouvel arrivant.
Et si, en France, les jurys sont constitués en général exclusivement d’écrivains, dans les autres pays, on trouve également des critiques littéraires, des universitaires et bien d’autres acteurs du monde de la culture. L’influence des maisons d’édition est ainsi beaucoup moins sensible.
Aussi critiquable soit-il, le système français des prix joue un rôle essentiel dans la diffusion du livre et contribue grandement à susciter ou entretenir le goût de la lecture chez les gens. Les livres primés sont rarement mauvais. Et, pour les recalés du Goncourt ou du Médicis, les lots de consolation ne manquent pas. Bernard Labes, auteur du Guide des prix et concours littéraires édité par le magazine Lire en a recensé pas loin de 2 000 dans l’espace francophone. Au hasard des pages, on découvre les prix décernés par la Bordelaise de lunetterie, le Crédit agricole du Centre-Loire ou encore celui des Vendanges littéraires de Rivesaltes. Il n’est pas de ville ou de société savante, voire de grande entreprise, qui n’ait le sien. Les lauréats se voient offrir ici une vache ou leur poids en cochonnailles, là un cendrier en cristal ou une sortie en mer
Passé cet inventaire à la Prévert, mention doit être faite de certains prix délivrés hors du microcosme germanopratin et qui ont acquis une réelle notoriété. C’est le cas du Prix du Livre Inter, du Grand Prix RTL-Lire ou encore du Prix des lectrices de Elle, dont les jurys, composés d’amateurs, passent pour être beaucoup plus représentatifs du pays profond.
Restent les prix à vocation plus spécifique ou moins franco-français. Du Prix des Cinq Continents de la Francophonie au Prix Tropiques de l’Agence française de développement en passant par le Prix RFI Témoin du monde et le Prix RFO du livre, plusieurs d’entre eux se sont solidement installés dans le paysage littéraire hexagonal et contribuent à donner un peu de visibilité à la production dite francophone.

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