En attendant la hausse des salaires…

Malgré la baisse des prix, le niveau de vie des fonctionnaires est encore trop bas. Leurs traitements stagnent depuis treize ans.

Publié le 24 octobre 2006 Lecture : 4 minutes.

Le 28 septembre dernier, Paul Biya décide par ordonnance de baisser les prix des denrées de première nécessité au Cameroun. Le chef de l’État camerounais n’aura pas attendu la session parlementaire de novembre, consacrée à l’examen du budget 2007 pour opérer une baisse des droits de douane et une exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui étaient appliqués au riz, au poisson congelé, à la farine de maïs, au sel brut et aux tourteaux de maïs. Après les efforts consentis par les Camerounais pour atteindre le point d’achèvement de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), il devenait urgent de relever leur pouvoir d’achat. « Je sais que nos compatriotes attendent un juste retour des fruits de la croissance à laquelle ils ont contribué. […] Je ne crois pas que le respect de nos engagements soit incompatible avec notre volonté d’améliorer les conditions et le niveau de vie des Camerounais », dira-t-il lors du Conseil des ministres du 29 septembre.
Écartelé entre les conditionnalités draconiennes du FMI et les attentes pressantes de la population, le gouvernement camerounais a commencé par jouer sur les prix. En attendant, peut-être, d’augmenter les salaires des fonctionnaires et agents de l’État. Dans ce dossier technique aux multiples incidences politiques, l’enjeu est d’améliorer le quotidien des populations à qui on a présenté l’atteinte du point d’achèvement comme la panacée contre la pauvreté.
Le Cameroun a-t-il les moyens de revaloriser les salaires de sa fonction publique ? Oui, à en croire les syndicats. Les partenaires sociaux se fondent sur les assurances, peut-être précipitées, que le ministre de l’Économie et des Finances, Polycarpe Abah Abah, leur a données lors d’une rencontre, le 1er décembre 2005. À la double condition, avait-il précisé toutefois, que le point d’achèvement de l’initiative PPTE soit atteint et que ses services terminent l’assainissement du « fichier solde » de la fonction publique.
Assainir le fichier de ses personnels, l’État camerounais s’y est essayé à plusieurs reprises par le passé, avec un succès relatif. Cette fois, la méthode semble plus radicale. L’opération s’est engagée depuis plusieurs mois, sous la forme de recensements de ses agents et aussi par l’informatisation et la mise à jour des « avancements » de carrière. Elle a permis de démanteler des réseaux de fraudes au sein d’une administration dont personne ne maîtrise les effectifs. Selon les chiffres réunis à mi-parcours, plus de 3 000 personnes décédées continuaient de percevoir leur pension de retraités ! Plusieurs milliers d’agents fictifs payés par bons de caisses sont progressivement débusqués. Enfin, s’agissant des agents payés par virements bancaires, sur 146 000 personnes initialement répertoriées, seules 106 000 se sont manifestées. À la date du 30 septembre 2006, l’État réaliserait une économie d’une vingtaine de milliards de F CFA par mois sur l’ensemble de la masse salariale.
À l’affût, les syndicats exigent une juste redistribution de cette manne par le rétablissement des salaires d’avant la double baisse de 70 % opérée en 1993. Le Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam) plaide lui aussi pour le relèvement des salaires dans le secteur public. Il soutient qu’il faut réduire le déséquilibre important qui existe entre les rémunérations du privé, régies par les conventions collectives et celles du secteur public qui stagnent depuis 1993. De plus, revoir à la hausse les salaires des agents de l’État, premier employeur du pays, tonifierait la consommation et, partant, relancerait une croissance qui s’est traînée au taux de 2,8 % en 2005.
Généralement opposé à ce genre de mesure au nom de la discipline budgétaire, le FMI n’a dit ni oui ni non à la proposition de hausse des salaires présentée par la partie camerounaise. Lors de sa dernière mission à Yaoundé début septembre, le Fonds s’est interrogé sur la pérennité des sources de financement d’une telle dépense et a suggéré, comme préalable, plus de clarté dans la nébuleuse de la fonction publique camerounaise. Les experts de Washington le savent : si l’indice de perception de la corruption est si élevé, le Cameroun le doit, en très grande partie, à ses fonctionnaires mal payés. Si les goulets d’étranglement minent le climat des affaires, alourdissent les formalités administratives et compromettent la sécurité des transactions, le pays le doit aux trop nombreuses brebis galeuses qui infestent son appareil administratif. S’il existe un trop grand écart entre les salaires perçus par certains agents et les signes extérieurs de prospérité qu’ils affichent, c’est bien parce que des fonds sont détournés.
Par ailleurs, dans le traitement de ses différents corps, l’appareil n’est pas avare d’incongruités et de situations cocasses : un sous-préfet (secrétaire d’administration de catégorie B) peut être moins bien rémunéré que le gendarme qui lui sert de garde du corps. Même les membres du gouvernement et assimilés ne sont pas aussi bien payés qu’on pourrait le croire, au regard du faste qui les entoure. Leur traitement mensuel de base est beaucoup trop bas pour ne pas constituer une des justifications des détournements.
Dans les conditions actuelles, il est bien difficile d’empêcher un jeune médecin généraliste payé à 160 675 F CFA (245 euros) d’émigrer en Europe, où ses compétences sont très demandées. Tout comme on ne peut pas attendre d’un instituteur, dont le traitement de base est de 102 060 F CFA (156 euros), qu’il s’acquitte convenablement de ses missions. Les prisons ne sont-elles pas l’enfer que l’on sait parce qu’un gardien de prison avec dix années d’ancienneté émarge à 52 920 F CFA (81 euros) ?
La revalorisation souhaitée semble faire l’objet d’un consensus national. L’opposition pense que le gouvernement a les moyens de la financer avec les revenus pétroliers, dont les projections pour 2006 tablent sur 515 milliards de F CFA. L’État a donc, apparemment, de la marge, même si les salaires constituent 35 % des dépenses publiques. Il ne lui reste plus qu’à agir, quitte à racler les fonds de tiroir.

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