Changement de cap

Pierre angulaire de la libéralisation du secteur, la loi sur les hydrocarbures a été profondément amendée le 14 octobre.

Publié le 24 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Elaborée en 2001, elle a fait l’objet, quatre ans durant, d’âpres controverses. Finalement adoptée par les deux Chambres du Parlement en avril 2005, puis publiée au Journal officiel deux mois plus tard, la loi sur les hydrocarbures n’a pourtant jamais été mise en uvre. Parce que le président Abdelaziz Bouteflika a refusé d’en signer les décrets d’application. Le 14 octobre, elle a subi une série d’amendements qui en modifie profondément la lettre et l’esprit. Présentée au début des années 2000 comme la stratégie du gouvernement pour financer le développement, la libéralisation du secteur pétrolier a donc été officiellement enterrée. Ce qui soulève de nombreuses questions.

Est-ce le retour du dirigisme économique ?
Un proche conseiller du chef de l’État jure qu’il n’en est rien. « C’est davantage un réajustement imposé par le marché qu’une remise en cause de l’option libérale », assure-t-il. Il est vrai que les amendements adoptés (voir encadré) concernent essentiellement deux points : 1. le relèvement de 30 % à 51 % de la participation de la Sonatrach, le groupe pétrolier public, dans toutes les opérations d’exploitation ; 2. l’augmentation du prélèvement fiscal dès que le prix du baril dépasse les 30 dollars.
La loi a été mise au point à l’époque où ledit baril valait 20 dollars et où la dette extérieure de l’Algérie culminait à 30 milliards de dollars. En ce temps-là, le gouvernement s’efforçait d’utiliser au maximum les potentialités pétrolières du pays. Or il va de soi que l’augmentation des capacités de production et l’élargissement de l’exploration nécessitent des investissements que la Sonatrach était alors dans l’incapacité de mobiliser seule. D’autant que les organismes d’assurance-crédit rechignaient à baisser le rating risque-pays de l’Algérie. L’idée était donc d’inciter les grands groupes pétroliers à investir pour augmenter le rendement des gisements du Sud et tenter de faire de nouvelles découvertes.
Et puis, le marché pétrolier a été saisi d’un violent accès de fièvre. Brusquement, le Trésor public s’est mis à engranger des recettes records. Très vite, le gouvernement a donc engagé un programme de modernisation et de mise à niveau de ses infrastructures d’un montant vertigineux : 100 milliards de dollars. Parallèlement, il a entrepris de rembourser par anticipation la majeure partie de la dette extérieure, dont le montant a été ramené à moins de 5 milliards de dollars (au 30 septembre). Plus de 2 milliards de dollars ont ainsi été épargnés au titre du service de la dette. Quant aux réserves de change, elles atteignent aujourd’hui 70 milliards de dollars, soit l’équivalent de trois années d’importations. « Les raisons qui nous avaient conduits à exploiter nos gisements tous azimuts n’existant plus, commente notre spécialiste, le président a, dans un premier temps, gelé la loi en suspendant la signature des décrets d’application, puis demandé au gouvernement d’en amender le texte. »

la suite après cette publicité

Comment les investisseurs ont-ils réagi ?
La loi sur les hydrocarbures n’ayant jamais été mise en uvre, sa modification par Chakib Khelil, le ministre de l’Énergie et des Mines, n’a pas influé sur les relations entre la Sonatrach et ses partenaires. Tous les contrats en vigueur ont été conclus avant sa promulgation. Reste l’avenir. Selon un expert pétrolier, les conséquences seront minimes. « Pour s’en convaincre, explique-t-il, il suffit d’observer avec quelle impatience le marché et les grands groupes pétroliers attendent la promulgation du septième avis d’appel d’offres. » Prévue en décembre 2005, celle-ci avait été reportée en attendant la rédaction des fameux amendements.
Cela dit, prétendre que les major companies apprécient les récents changements serait sans nul doute excessif. Pour l’instant, elles se bornent à en prendre acte. Reste à savoir si leurs futurs investissements en seront affectés. Les autorités algériennes font le pari qu’il n’en sera rien et maintiennent leurs objectifs d’exportation pour 2010 : 2 millions de barils de pétrole par jour et 85 milliards de m3 de gaz par an. Les travaux de construction de deux gazoducs – l’un vers l’Espagne, l’autre vers l’Italie – devraient être accélérés et le projet de création de trois grandes raffineries (à Adrar, Béjaïa et Tiaret) n’est nullement abandonné. Enfin, la Sonatrach envisage d’augmenter sa participation dans les terminaux de regazéification en Grande-Bretagne, en Espagne et en Italie.

Et les gouvernements étrangers ?
Les capitales occidentales se sont abstenues de tout commentaire, mais la réaction des médias est globalement négative. « L’Algérie renationalise son pétrole », peut-on lire ici ou là. Qu’en est-il vraiment ? Pour Hamid Temmar, le ministre des Participations de l’État et de la Promotion des investissements, « le changement de cap relève davantage du pragmatisme que de l’idéologie ». Quant à Chakib Khelil, il reste stoïque. « Nous sommes habitués aux analyses douteuses concernant notre politique pétrolière. Au mois d’août, nous avons conclu un mémorandum d’entente avec les Russes de Gazprom qui a provoqué une vive polémique. Pourtant, la Sonatrach a signé des accords du même type avec l’Anglo-Néerlandais Shell et le Norvégien Statoil sans émouvoir personne, à Bruxelles ou ailleurs. »

Quelles conséquences sur la politique intérieure ?
C’est de bonne guerre : les députés trotskistes (une vingtaine) ont crié victoire, ce 14 octobre. Les élus du Parti des travailleurs, que dirige Louisa Hanoune, n’ont en effet jamais cessé de dénoncer la première mouture de la loi sur les hydrocarbures, présentée comme une « opération de bradage des richesses nationales ». Absent du Parlement, le Front des forces socialistes (FFS), d’Hocine Aït Ahmed, se réjouit lui aussi de la « reculade » du gouvernement. Mais ni les trotskistes ni les socialistes ne peuvent raisonnablement se targuer d’avoir contraint le gouvernement à faire machine arrière.
Car l’idée d’amender la législation pétrolière est partie d’un constat fait par Bouteflika, au mois de juin : « Notre génération a été incapable de créer une économie alternative au secteur des hydrocarbures. Il faut donc garantir aux générations futures leurs parts dans ces richesses nationales. »
À propos de la rationalisation ?de l’exploration et de la préservation ?des richesses du sous-sol, une étude réalisée récemment par la Sonatrach montre que le niveau des réserves ?algériennes d’hydrocarbures est identique à ce qu’il était en 1971. L’année des nationalisations

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires