Après le tandem, le bras de fer

L’ONU pourrait décider, le 25 octobre, de donner plus de ?pouvoirs au Premier ministre. Mais Laurent Gbagbo n’entend pas se laisser faire.

Publié le 24 octobre 2006 Lecture : 6 minutes.

Le président Laurent Gbagbo ne s’y est pas trompé. À peine était-il rentré le 18 octobre d’Addis-Abeba où venait de se tenir le sommet du Conseil paix et sécurité de l’Union africaine (UA) qu’il indiquait sans ambages qu’il ne fallait pas que la Côte d’Ivoire « compte sur l’extérieur » pour sortir de la crise. Il ne s’est pas non plus gêné pour critiquer devant les « Jeunes patriotes » venus l’accueillir « les mauvais remèdes » prescrits à son pays. « Je l’ai déjà dit, je suis toujours dans la même disposition d’esprit. Parce que ceux qui ont fait au départ les mauvaises analyses sur la Côte d’Ivoire ne sortent pas encore de leurs schémas. » Et le chef de l’État de préciser qu’il proposait de son côté un « autre remède » que les recommandations de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) entérinées par l’UA avant d’être probablement définitivement retenues le 25 octobre prochain par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Gbagbo n’en a pas dit plus, qui a lancé, sibyllin, à ses partisans : « Nous allons être plus explicites dans les prochains jours et semaines. » Le propos qui sonne comme une menace laisse redouter le pire. D’autant que dans le rapport qu’il vient de remettre au Conseil de sécurité pour examen le 25 octobre, Kofi Annan recommande une période de transition politique la plus courte possible et qui soit « la dernière », déterminée uniquement sur la base du temps nécessaire pour achever le processus en cours. « Le manque de volonté politique des dirigeants ivoiriens, indique Annan, ne doit pas être une nouvelle cause de blocage. [] S’ils échouent encore à aller aux élections, la Cedeao, l’UA et le Conseil devraient envisager la mise en place d’arrangements transitoires faisant appel à d’éminentes personnalités de la société civile, non partisanes. »
Le secrétaire général de l’ONU et le chef de l’État ivoirien sont au moins d’accord sur un point : le statu quo n’est plus possible. Mais pas pour les mêmes raisons. Le premier redoute l’humiliation des Nations unies, le second, qui a rappelé à ses pairs à Addis-Abeba qu’il était « chef d’État et non chef de faction », n’entend pas seulement se contenter de rester dans son fauteuil pour douze mois encore, il veut préserver la totalité de ses prérogatives et sauver son pouvoir. Entre les deux, le Premier ministre Charles Konan Banny, également reconduit pour un an et désormais investi « des pouvoirs et moyens nécessaires » pour mener à bien son action. À charge pour lui d’en faire bon usage, si besoin par ordonnance ou décret-loi avec « un gouvernement qui n’est responsable que devant lui », sans quémander l’accord préalable de Gbagbo. Lequel n’est pas dupe sur la volonté de « l’extérieur » de le déshabiller au profit du chef du gouvernement.
Aucun des cinq points que le chef de l’État ivoirien a soulevés à Addis-Abeba n’a été retenu : condamnation de la rébellion ; désarmement des Forces nouvelles (FN) qui occupent la moitié du pays ; suppression de la « zone de confiance » qui sépare le Gbagboland du territoire national sous contrôle des FN ; application de la Constitution ivoirienne ; reconduction du médiateur, le Sud-Africain Thabo Mbeki. Tout au plus a-t-il bénéficié sinon du soutien des anglophones présents, du moins de leur compréhension. « Je ne comprends pas, s’offusque le président malawite Bingu wa Mutharika, qu’on puisse transférer les pouvoirs d’un président de la République à un Premier ministre. Nous tous, assis ici, nous n’accepterions pas d’être dépouillés de la sorte. C’est pourquoi je demande qu’il ne soit pas donné suite à la requête de M. Konan Banny pour l’extension de ses pouvoirs. »
Quant à Thabo Mbeki, il a demandé, perfide, au chef du gouvernement ivoirien de « préciser les pouvoirs qu’il se plaignait de ne pas avoir et qu’il voudrait qu’on lui donne ». Réponse de Charles Konan Banny illustrée par les difficultés rencontrées dans l’organisation des audiences foraines pour l’identification des personnes, mais qui ne l’a pas satisfait : le plus important, c’est moins les pouvoirs que les moyens de les exercer. L’échange n’est pas allé plus loin, l’objet de la rencontre ayant été défini dès l’ouverture du huis clos par le Congolais Denis Sassou Nguesso, président en exercice de l’UA : « À cette réunion, nous devons proposer de nouveaux arrangements institutionnels, ce n’est pas une réunion d’évaluation, mais plutôt une réunion de décision. [] C’est une question de crédibilité pour l’Afrique. » Et, apparemment, même si le texte arrêté au siège de l’UA ne le dit pas expressément au grand dam des adversaires du camp présidentiel, la Constitution ivoirienne a été sinon suspendue, du moins mise entre parenthèses. En tout cas, les chefs d’État ont été plus clairs, voire plus hardis, que ne l’avait été la résolution 1633 du Conseil de sécurité de l’ONU, jusqu’ici feuille de route de Konan Banny.
Les arguments échangés au sommet de la Cedeao le 6 octobre et une dizaine de jours plus tard à Addis-Abeba préfiguraient une telle issue. Malgré les mises en garde du président Gbagbo : « Suspendre la Constitution, a-t-il insisté dans le huis clos du siège de l’UA, n’est pas négociable. Ce serait fermer la porte sur une crise pour l’ouvrir sur une autre. » En clair, ce serait, à ses yeux, le suspendre lui. Ce qu’il ne peut accepter et qu’il vient de rejeter à son retour à Abidjan. Pour lui, la donne n’est plus la même, surtout maintenant que Kofi Annan demande au Conseil de sécurité de l’ONU d’affirmer que « les instruments internationaux établissant les modalités de la transition [résolution de l’ONU, décisions de l’UA ou de la Cedeao] auront, en cas de doute, la prééminence sur la Constitution et les lois ivoiriennes. » On n’en est pas encore là, mais d’ores et déjà Gbagbo, qui prend la démarche de la communauté internationale pour une déclaration de guerre, envisage de changer de braquet, le tandem qu’il formait avec Konan Banny n’étant plus d’actualité.
Si ce dernier, avec la bénédiction de la Cedeao, de l’UA et du Conseil de sécurité de l’ONU, prend effectivement tout l’espace – y compris « l’autorité nécessaire » sur les forces de défense et de sécurité intégrées ainsi que le « pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires » -, le duel entre les deux hommes semble inévitable et lourd de dangers pour une Côte d’Ivoire où les milices sont toujours présentes, l’armée divisée, l’ex-rébellion accrochée à ses kalachnikovs, et l’opposition politique, pressée de débarquer le chef de l’État, prompte à la surenchère. Jusque-là, faute de consensus clair, Konan Banny s’est contenté de louvoyer, de jouer la confiance plutôt que l’affrontement pour obtenir que tout le monde « embarque dans le train de sortie de crise ». Il n’est pas sûr qu’il puisse continuer ainsi. Pas plus qu’il n’est certain que le chef de l’État, qui s’est employé à verrouiller son pouvoir, finisse par en céder tout ou partie, même s’il doit se mettre à dos l’ensemble de la communauté internationale, impatiente de sortir du bourbier ivoirien.
Mais, même adoubé et cornaqué par l’UA et l’ONU, Konan Banny II sera-t-il autre chose que Konan Banny I, un homme tout en rondeurs et affichage face à un Laurent Gbagbo dont tout le monde s’accorde à reconnaître la pugnacité et la roublardise politique ? Seule certitude : l’attelage ne peut plus fonctionner comme hier.

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