Vaccins Pfizer : le scandale
L’affaire du laboratoire américain accusé d’avoir effectué clandestinement des tests pharmaceutiques sur des enfants alimente la controverse au centre d’un procès qui se veut exemplaire. Et éclaire d’un nouveau jour des pratiques présentes ailleurs sur le
Pfizer contre Nigeria. Deux fois reporté, le combat entre les deux géants devait avoir lieu le 20 juillet à Abuja, dans l’enceinte de la Cour fédérale En jeu, la responsabilité d’un scandale macabre qui a pour cadre le Nigeria de 1996, alors dirigé par le général Sani Abacha. Parmi les protagonistes : l’américain Pfizer, numéro un mondial de l’industrie pharmaceutique ; les dirigeants et les habitants de Kano, État musulman du nord du Nigeria, le plus peuplé et l’un des plus pauvres de la Fédération ; et le gouvernement d’Abuja. Au cur de l’intrigue : une épidémie de méningite, qui, à partir de mars 1996, sévit dans le nord du pays avec une rare intensité.
Prétendant venir en aide aux centaines de patients qui affluent quotidiennement à l’Infection Diseases Hospital de Kano, Pfizer réalise sur deux cents enfants les tests d’un antibiotique soignant notamment la méningite, le Trovan. Le médicament est alors dans sa « dernière phase de développement clinique », c’est-à-dire juste avant que le laboratoire formule une demande aux autorités américaines pour la commercialisation du médicament. Onze enfants meurent dans la foulée de ces essais, effectués entre mars et avril. Les années passent sans que l’affaire fasse parler d’elle. Jusqu’à ce qu’un journaliste du Washington Post dénonce, en 2000, les agissements de Pfizer à Kano. Ne s’estimant pas compétent, un tribunal américain rejette, en 2001, une plainte déposée par une association de victimes. Six ans plus tard, le 4 juin 2007, le gouvernement fédéral nigérian remet le couvert. Abuja accuse le laboratoire d’être responsable des onze décès et lui réclame 7 milliards de dollars d’indemnités. Deux semaines auparavant, les autorités de Kano intentaient, pour les mêmes raisons, un procès contre Pfizer devant la Haute Cour de l’État, exigeant 2,75 milliards de dollars d’indemnités.
Pourquoi Abuja et Kano ont-ils attendu onze ans avant d’enclencher la machine judiciaire ? Les enfants sont-ils morts à cause du Trovan ou des suites de la méningite ? Pfizer avait-il l’autorisation d’effectuer ces tests ? Les parents savaient-ils que leurs enfants servaient de cobayes ? Les versions de l’histoire sont aussi nombreuses que ses parties prenantes.
En 1996, Ismaël, natif de Kano, est infirmier à l’Infection Diseases Hospital. Aujourd’hui, il se souvient y avoir vu « quatre médecins blancs de Pfizer, une femme et trois hommes ». « La femme allait de tente en tente, où étaient disposés les lits des patients, raconte-t-il. Elle attribuait un numéro à chaque enfant et disait à leurs parents ou aux infirmiers de les emmener dans une pièce isolée. Je n’y suis jamais entré, mais un jour, j’ai regardé par la fenêtre. L’un des médecins, barbu, injectait un produit à une petite fille. Ensuite, quelqu’un l’a ramenée dans la tente. »
Pfizer voit l’épisode d’une tout autre manière. Conformément à un protocole scientifique, le Trovan a été administré à cent enfants, pas un de plus, pas un de moins. Pendant ce temps, cent autres recevaient le traitement standard pour permettre la comparaison. Le médicament était administré par voie orale – c’est d’ailleurs l’une de ses qualités -, les enfants étant souvent trop maigres pour recevoir des piqûres. Les médecins qui effectuaient les tests étaient des Nigérians et non des « Blancs », poursuit la compagnie. Et les parents savaient que leurs enfants allaient faire l’objet de tests et donnaient leur consentement oral, des interprètes leur expliquant le processus en haoussa – parlé dans le nord du Nigeria – s’il y avait lieu, ajoute-t-elle. « Les parents n’étaient pas informés, on ne leur expliquait rien, rétorque Ismaël. Ils respectaient les instructions. Comment voulez-vous faire autrement quand vous avez un enfant malade ? »
L’épidémie a également frappé le petit frère d’Ismaël, alors âgé de 6 ans. « Pfizer lui a fait une injection, raconte-t-il. Ensuite, il ne pouvait plus marcher, il est devenu sourd, il a eu de graves problèmes. » L’enfant s’est éteint en 1999. « Je suis sûr que Pfizer est responsable de sa mort », martèle à plusieurs reprises le grand frère. Nombreuses sont les familles de victimes qui relatent aujourd’hui des histoires semblables. Pour Mustapha, habitant de Kano, c’est le Trovan qui a entraîné la mort de ses deux petites filles, à trois heures d’intervalle, en 1996.
La ligne de défense du laboratoire est claire : dans le groupe des cent enfants soignés avec le Trovan, cinq sont morts, et dans l’autre six. Preuve serait donc faite de l’efficacité du médicament Pfizer. Et rien ne prouve que leur décès ait été causé par le traitement. Les affections décrites – surdité, cécité, paralysies – sont des séquelles classiques de la méningite. « À l’époque, nous avons fait tout notre possible pour aider le gouvernement nigérian, déclare une source interne à Pfizer, à Lagos. Nous savions que le Trovan pourrait sauver des vies, nous avions déjà réalisé des essais sur 5 000 patients en Europe et aux États-Unis. Mais comme nous n’avions pas réalisé 100 % des études, le seul moyen légal d’utiliser le Trovan au Nigeria était de faire des tests. »
L’argumentation ne convainc nullement l’État de Kano, qui accuse Pfizer d’avoir « secrètement utilisé des enfants comme cobayes dans les tests d’un médicament sous prétexte d’apporter une aide humanitaire ». La plainte de l’État fédéral est du même acabit : « Pfizer n’a jamais révélé qu’il avait eu l’intention de faire des expérimentations sur des victimes vulnérables. »
Pourtant D’après des documents officiels dont Jeune Afrique s’est procuré une copie, Pfizer disposait de plusieurs autorisations émanant du Nigeria. Un fax daté du 20 mars 1996 (voir p. 48), signé par un directeur de l’Agence nationale pour l’administration et le contrôle de l’alimentation et des médicaments (Nafdac), l’instance nigériane qui délivre les autorisations pour les tests de médicaments, certifie à la Food and Drug Administration (FDA), son équivalent américain, que les informations requises quant au médicament lui sont parvenues, qu’il sera utilisé « légalement » et « uniquement » dans le cadre d’un test. Huit jours plus tard, un fax signé par l’assistant personnel du ministre fédéral de la Santé demande à Pfizer International d’autoriser la livraison des médicaments au Nigeria. Dans un fax daté du même jour, signé de la main du ministre de la Santé cette fois-ci, ce dernier prie son homologue des Finances d’octroyer un certificat d’exemption de droits de douane à Pfizer en vue de l’acheminement des médicaments au Nigeria. « Ils avaient toutes les autorisations, reconnaît aujourd’hui, la mine dépitée, une source anonyme de la Nafdac. Mais Pfizer a exploité un système faible et corrompu. Je n’ai pas de preuves pour affirmer que des pots-de-vin ont été versés, mais vous savez », poursuit l’interlocuteur.
Si Pfizer dit avoir de quoi se défendre, sa position n’est pas pour autant exempte de failles. Le médecin nigérian mandaté par le laboratoire et censé diriger l’expérience, Abdulhamid Isa Dutse, a fabriqué et antidaté une lettre stipulant que les tests avaient été d’avance autorisés par le comité d’éthique de l’hôpital de Kano. Pourquoi agir de la sorte alors que Pfizer disposait de toutes les autorisations requises dès mars 1996 ? Et pourquoi la compagnie n’a-t-elle jamais tenté de commercialiser le Trovan en Afrique, alors qu’elle assure qu’il permet de « sauver des vies » ? Aux États-Unis, le médicament fut commercialisé dès 1997, mais, suite à l’observation répétée d’effets secondaires indésirables, son utilisation a été restreinte à certaines affections et aux adultes uniquement. Il y a un an et demi, le Trovan a tout bonnement été retiré de la vente aux États-Unis.
Côté nigérian, les points d’interrogation sont également nombreux. En 2001, un comité de médecins rédige un rapport d’enquête sur l’affaire Pfizer. Pourquoi la Nafdac, censée être l’interlocuteur principal en termes de pharmacie, n’a-t-elle pas été consultée ? Le calendrier n’est certainement pas fortuit. L’État fédéral a porté plainte en pleine transition administrative, six jours après l’investiture du nouveau président, Umaru Yar’Adua, alors que le gouvernement n’était pas encore formé. Fallait-il attendre que des personnalités officielles n’aient plus voix au chapitre, ou au contraire que d’autres, déchargées de leurs fonctions, puissent enfin délier leur langue ? Les premières audiences, au niveau fédéral, se sont tenues le 26 juin. Dans l’État de Kano, elles ont débuté le 4 juin. Certes, dans un cas comme dans l’autre, elles ont été reportées. Mais il aura tout de même suffi de moins d’un mois pour que l’affaire soit portée devant les tribunaux. Pourquoi la justice, d’ordinaire si lente, se montre-t-elle si prompte ? Dans l’un des pays les plus corrompus de la planète, l’appât du gain, qui meut le quidam comme les plus hauts dignitaires, y est certainement pour beaucoup. L’État prétend vouloir rendre justice aux victimes, mais, d’après sa plainte, sur les 7 milliards de dollars d’indemnités seulement 500 millions sont prévus pour les familles. Le reste est réparti entre l’éducation sanitaire, le ministère de la Santé et l’État fédéral, qui, en cas de victoire, empocherait 5 milliards.
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