Sinistre escalade

En 2006, les dépenses militaires mondiales ont continué de croître pour atteindre 1 204 milliards de dollars, soit près de douze fois le montant de l’aide publique au développement. Une tendance qui n’est pas près de s’inverser.

Publié le 23 juillet 2007 Lecture : 4 minutes.

La fin de la guerre froide n’y a rien fait. Bien au contraire. Année après année, les dépenses militaires mondiales ne cessent de croître, et les nouvelles menaces de conflits de se multiplier, comme le constate l’Institut international de Stockholm de la recherche sur la paix (Sipri) dans son traditionnel rapport annuel, publié le 19 juillet. Une tendance qui n’est pas près de s’inverser si l’on en juge par les 1 204 milliards de dollars (902 milliards d’euros, soit près de douze fois le montant de l’aide publique au développement) que ce commerce a générés en 2006, en hausse de 3,5 % par rapport à 2005. Au cours de la dernière décennie, l’augmentation cumulée aura été de 36 %.
Ce n’est pas une surprise : avec 528,7 milliards de dollars l’an passé (1 756 dollars par habitants), soit 46 % des dépenses mondiales, les États-Unis demeurent, et de loin, la première puissance militaire, devant le Royaume-Uni, qui n’a déboursé « que » 59,2 milliards. Une demande largement alimentée par l’invasion de l’Irak, mais aussi par l’intervention de l’Otan en Afghanistan. Dans ces deux conflits, qui menacent de se muer en déflagration régionale, des sommes colossales ont été engagées. « Entre septembre 2001 et 2006, le gouvernement américain a consacré 432 milliards de dollars en dépenses additionnelles et exceptionnelles, hors budget militaire, à ce qu’il qualifie de lutte contre le terrorisme tout en contribuant à la forte détérioration de son déficit budgétaire », écrit le Sipri, qui, d’une édition à l’autre, critique sévèrement l’invasion de l’Irak. En provoquant une insurrection généralisée, cette « opération de prévention » a rendu la communauté internationale « particulièrement vulnérable aux visées terroristes ». Selon les projections de l’institut scandinave, le coût passé et à venir de la guerre en Irak s’élèvera pour les États-Unis à 2 267 milliards de dollars.

Des dépenses toutefois contrebalancées par les ventes. Avec les quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Russie, Royaume-Uni, France et Chine), les États-Unis restent le principal fabricant et fournisseur mondial d’armements, toutes catégories confondues. « L’industrie américaine a bénéficié de manière substantielle de l’après-11 Septembre », souligne le rapport. Pas moins de quarante firmes américaines, parmi lesquelles L-3 Communications, Northrop Grumman ou General Dynamics, réalisent 63 % des ventes de matériels militaires. Viennent ensuite les entreprises européennes avec 32 sociétés pour 29 % des ventes, puis la Russie, qui ne compte que 9 sociétés pour 2 % du marché. Les États-Unis et l’Europe concentrent donc 92 % des exportations.
Cette forte concentration s’observe également pour les pays récipiendaires. Quinze pays cumulent 83 % des achats. Une course particulièrement marquée en Asie. Comme en 2005, la Chine et l’Inde sont les principaux importateurs. La militarisation de l’ex-empire du Milieu s’accélère. L’an passé et pour la première fois dans l’histoire contemporaine, Pékin a acheté plus d’armes que son voisin nippon : 49,5 milliards de dollars, contre 43,7 milliards. Ainsi, la Chine est devenue la première puissance militaire asiatique et la quatrième à l’échelle mondiale. Une tendance qui ne devrait pas remettre en cause la stratégie du Japon, engagé depuis cinq ans « dans la réduction de son budget en le portant prioritairement sur l’achat de missiles de défense ».
Les achats se stabilisent en Europe occidentale, mais ils bondissent dans les anciens pays du bloc de l’Est. Une hausse dopée par l’industrie russe. Deux pays satellites de Moscou ont vu leur demande d’armement exploser : l’Azerbaïdjan (+ 82 %) et la Biélorussie (+ 56 %). Mais « les ventes des États-Unis vers Israël et les pays de l’Union européenne, les Émirats arabes unis ou l’Arabie saoudite ont été nettement plus importantes », souligne l’institut.

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Pessimiste, parfois même alarmante, l’étude rappelle que les tensions se sont considérablement accrues sur tous les points du globe, faisant naître « un monde de risques ». Quelques années auront suffi pour modifier et déplacer les menaces. Protéiformes, celles-ci se fragmentent et se régionalisent. Loin de reposer exclusivement sur l’arsenal conventionnel, elles proviennent de tous les autres types d’armes, nucléaires, biologiques ou chimiques. Le terrorisme international appelle, selon le Sipri, « une modification des politiques militaires » de la part des gouvernements et exige d’eux « une plus grande collaboration dans le contrôle et la régulation de ce commerce ».
À côté des armements conventionnels, les stocks d’armes nucléaires continuent inéluctablement leur ascension : 26 000 ogives étaient dénombrées au début de 2007 dans les cinq États membres du Conseil de sécurité. Par ailleurs, les 1 700 tonnes d’uranium enrichi actuellement recensées à travers le monde pourraient permettre la fabrication de 100 000 bombes nucléaires supplémentaires. Et l’institut de Stockholm de dénoncer les approches unilatérales de pays comme l’Iran ou la Corée du Nord et le déficit d’informations concernant les stocks d’armes biologiques et chimiques.

Nouveaux enjeux, nouvelles menaces, notamment celles qui tournent autour des matières premières. La sécurisation des approvisionnements pousse ainsi les États à adopter des stratégies de plus en plus offensives, voire à utiliser leurs potentiels à des fins géopolitiques, à l’instar de la Russie avec le gaz ou du Venezuela avec le pétrole. Comme pour l’accès à l’eau douce, la raréfaction programmée à moyen terme de certaines de ces matières, notamment énergétiques, entraînera une « multiplication des conflits et de la violence politique dans les décennies à venir ». Au Moyen-Orient, en Amérique latine, en Asie centrale, mais aussi et surtout en Afrique, à l’exemple de la région du Delta du Niger, au Nigeria. En quelques années, cette zone a vu l’émergence de mouvements surarmés qui ont contribué, avec des dizaines d’autres à travers le monde, à l’augmentation de plus de 50 % des échanges d’armes conventionnelles observés depuis 2002.
Au moment où le président américain George W. Bush affiche sa ferme intention de poursuivre sa stratégie délétère en Irak et alors que la Russie vient de geler sa participation au traité sur les armes conventionnelles, les inquiétudes formulées par le Sipri n’en sont que plus fortes. Seule consolation : si les menaces de conflits enflent, la prévention également. Selon Stockholm, « jamais autant de personnel militaire et civil n’aura été déployé en 2006 au sein de forces multilatérales de maintien de la paix ».

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