Rachida Dati

« Icône de l’intégration réussie », la ministre française de la Justice suscite maintes réserves au sein même de la majorité présidentielle, qui l’attend au tournant.

Publié le 23 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

Cassante, arrogante, colérique – pour ne pas dire caractérielle -, mais aussi arriviste, opportuniste Telle est l’image qu’ont de Rachida Dati ceux qu’indispose l’extraordinaire réussite de cette fille d’émigrés maghrébins propulsée à 41 ans, sans expérience politique, à la tête de l’un des principaux départements du gouvernement français, celui de la Justice.
À gauche, on s’irrite de s’être fait rafler cette « icône de l’intégration réussie » par le camp d’en face. Mais le parcours hors normes de l’ancienne porte-parole de Sarkozy suscite maintes réserves du côté de la majorité présidentielle. Sa nomination Place Vendôme a fait grincer bien des dents, à commencer par celles de Brice Hortefeux, compagnon de toujours du nouveau chef de l’État, ou de Patrick Devedjian, qui a hérité de l’UMP, mais lorgnait le portefeuille.

Forcément, on l’attendait au tournant. Lorsque, le 17 juillet, pour sa première intervention à l’Assemblée nationale, c’est d’une voix légèrement tremblante qu’elle a présenté aux députés le projet de loi sur la récidive, certains se sont frotté les mains. Pour quelqu’un qui ne s’est jamais prêté à un tel exercice, l’émotion était tout ce qu’il y a de plus compréhensible. Mais ce baptême du feu intervenait dans un contexte particulièrement difficile pour la garde des Sceaux. La démission, le 6 juillet, de son directeur de cabinet, Michel Dobkine, suivi par trois de ses collaborateurs, semblait donner foi aux accusations d’autoritarisme lancées pas ses détracteurs.
Il y avait plus grave, toutefois. Ce 17 juillet, drôle de coïncidence, de nombreuses chaînes de télévision avaient dépêché une équipe dans l’est de la France, au tribunal de Nancy, devant lequel comparaissait Jamal Dati, le frère de la ministre, pour trafic de stupéfiants. L’« événement » méritait tout au plus un entrefilet dans L’Est républicain, le quotidien régional. Mais, comme l’a écrit le correspondant du Monde, « le feuilleton médiatique dont la ministre de la Justice est l’héroïne a trouvé dans cette affaire nouvelle matière à prospérer ».

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Le parcours de Rachida Dati a en effet de quoi inspirer les journalistes, et elle se prête volontiers au jeu. Les grands hebdomadaires français lui ont tous consacré au moins une couverture – avec son accord – depuis son entrée au gouvernement ; sept biographies d’elle sont en préparation. Tout cela pour raconter l’histoire d’une Beurette des cités, fille d’un ouvrier marocain et d’une Algérienne analphabète, née en 1965 dans une petite ville de la région lyonnaise. La première chance de la gamine, deuxième d’une fratrie de douze enfants, c’est probablement d’entrer au collège des bonnes sÂurs. À partir de là, tout s’enchaîne, à commencer par les études universitaires d’économie et de droit financées par des bourses et des petits boulots, et puis, surtout, une série de rencontres, toutes provoquées par elle, et qui, fonctionnant comme un ascenseur social, vont l’amener rapidement à de hautes fonctions.
Le premier à l’aider sera Albin Chalandon, lui-même alors garde des Sceaux, qu’elle n’hésite pas à aborder lors d’une réception à l’ambassade d’Algérie en 1986. Épatée par son aplomb et sa volonté de réussite, cette figure du gaullisme lui met le pied à l’étrier en lui trouvant un emploi de comptable chez Elf Aquitaine.
Après celle de Chalandon viendront les rencontres avec Jean-Luc Lagardère, Marceau Long, alors vice-président du Conseil d’État, l’ancienne ministre Simone Veil (dont elle portera la robe de magistrate le jour de sa prestation), mais aussi Bernard Kouchner et Jacques Attali, lequel l’embauche à la BERD, à Londres.
C’est en 2002 qu’elle fait la connaissance de Nicolas Sarkozy. Une fois encore, elle a pris l’initiative en écrivant au tout nouveau ministre de l’Intérieur pour prendre rendez-vous. Le futur président voit tout de suite en elle son double féminin. Comme lui, elle n’a peur de rien, est animée d’une énergie à toute épreuve. Il la prend dans son cabinet. De l’Intérieur, elle le suivra à l’Économie. Puis devient sa porte-parole lors de la campagne pour la présidentielle d’avril-mai derniers. Mieux, Rachida se lie avec Cécilia, son épouse, qui dit d’elle aujourd’hui : « C’est plus qu’une amie, c’est ma sÂur. »
Sa vie privée ? Sur le sujet, elle observe le mutisme le plus complet. Officiellement, elle est célibataire. À ses intimes, elle parle d’un mariage malheureux, à la fin des années 1980, où « elle n’avait cessé de pleurer tout au long de la cérémonie ». Sans tomber dans la psychologie de bazar, on peut imaginer que l’indigence de sa vie sentimentale n’est pas sans lien avec l’étendue de ses ambitions professionnelles. Et avec la dureté de son caractère. Dureté apparente, qui est celle des personnalités fragiles. La ministre, en effet, a la larme facile.
Ce qui ressort de son comportement public, néanmoins, c’est la détermination. C’est en cela qu’elle est si proche de Sarkozy. Voilà deux personnages que l’on peut parer de tous les défauts. Il est une vertu qu’on ne peut leur dénier : le courage. Et la farouche volonté d’arriver au plus haut niveau. Pour ce faire, partie de très bas (contrairement à son mentor issu des beaux quartiers), Rachida Dati a dû beaucoup batailler. Dès son plus jeune âge. À 14 ans, elle faisait du porte-à-porte dans sa cité de Saône-et-Loire pour vendre des produits cosmétiques. Plus tard, pour payer ses études de gestion à la faculté de Dijon, elle a travaillé comme aide-soignante dans une clinique de la capitale bourguignonne. On comprend qu’elle ait pu être séduite par le libéralisme à la manière Sarkozy et faire sien le slogan « travailler plus pour gagner plus ».

Mais la ministre de la Justice a-t-elle encore le temps de se pencher sur ce passé qui doit lui sembler si lointain et dont d’ailleurs elle n’aime guère parler ? Le projet de loi sur la récidive, qui prévoit entre autres des peines minimales d’emprisonnement pour les délinquants récidivistes et la suppression de l’excuse de minorité pour les plus jeunes, finalement adopté par les députés le 19 juillet, n’était qu’un hors-d’Âuvre. Les chantiers judiciaires au cÂur du projet présidentiel de Sarkozy sont nombreux et, pour certains, très lourds. Une loi pénitentiaire est attendue à la fin de l’été. Au programme également, la justice des mineurs, l’informatisation des tribunaux et la révision de la carte judiciaire, obstacles sur lesquels ont buté tous les gardes des Sceaux depuis 1958.
C’est sur la façon dont seront conduites ces réformes, et non plus sur des effets de manche, que sera jugée la vraie compétence de la ministre de la Justice. Il lui reviendra également la gestion de dossiers ultrasensibles, à commencer par l’affaire Clearstream. On imagine la pression qui pèse sur ses frêles épaules. D’autant que Sarkozy a prévenu : elle n’a pas droit à l’erreur. Si Rachida Dati franchit victorieusement ces obstacles, elle aura confondu tous ceux qui doutent de ses compétences. Bien des espoirs lui seront alors permis.

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