Les pièges de la témérité

L’autre affaire Ben Barka (suite)

Publié le 23 juillet 2007 Lecture : 2 minutes.

Les révélations de L’Express sur les relations pour le moins ambiguës entre Mehdi Ben Barka et les services tchécoslovaques (J.A. n° 2427) n’ont pas surpris certains de ses amis, qui connaissaient son goût du risque et son aventurisme. Patron du Haut-Commissariat au plan, Ahmed Lahlimi Alami raconte une anecdote qui illustre l’imprudence du leader de la gauche enlevé à Paris en 1965.
Vice-président de l’Union nationale des étudiants du Maroc (Unem) au début des années 1960, Lahlimi est approché par un diplomate américain en poste à Rabat, qui lui propose d’attribuer discrètement des fonds à l’organisation étudiante et lui explique que « nous le faisons déjà pour l’Union marocaine du travail (UMT) ». Le syndicaliste consulte Ben Barka qui, aussitôt, acquiesce : « Il faut seulement que l’argent transite par une université américaine, de manière à figurer dans le rapport financier présenté à votre congrès annuel. » L’affaire n’aura pas de suite, les étudiants s’étant montrés plus sages
Une autre anecdote atteste le comportement téméraire du dirigeant de l’UNFP (future USFP). En 1961, dans l’avion conduisant une délégation du parti à Moscou, où il est l’invité des Soviétiques, Ben Barka prévient Abderrahim Bouabid : « Nous risquons d’avoir des déconvenues avec nos hôtes. Je suis entré à deux reprises sur leur territoire avec les Chinois ; et ils l’ont peut-être appris. » Et de révéler à son ami interloqué qu’il entretient des relations spéciales, dans le plus grand secret, avec les dirigeants de Pékin
Le témoignage de Mohammed Harbi permet de faire une lecture plus proche des réalités de l’époque et de ne pas réduire Ben Barka à un vulgaire « agent de l’Est ». Leader de la gauche du FLN pendant les années Ben Bella (juillet 1962-juin 1965), l’historien algérien rappelle que l’opposant marocain, qu’il avait eu l’occasion de fréquenter, entretenait des relations suivies avec les responsables de l’URSS et n’avait guère besoin de l’entremise des Tchécoslovaques.
Sans mettre en cause l’authenticité des documents publiés par L’Express, il en recommande une interprétation passablement différente. Il n’exclut pas que la StB, les services tchécoslovaques, ait enjolivé leurs relations avec Ben Barka et magnifié leur rôle de manière à se faire bien voir du KGB et du grand frère soviétique. Que le leader marocain se soit intéressé à ce qui se tramait dans l’ombre et aux services spéciaux ne le surprend pas. « Il faisait, dit-il, ce que doit faire tout homme politique sérieux qui aspire au pouvoir. Le problème avec lui, c’est qu’il avait tendance à oublier qu’il n’était qu’un individu face à de puissants États. »
Plus d’une fois, Harbi a pu constater l’imprudence de son ami. En décembre 1961, par exemple, les deux hommes se trouvent à Genève. Ben Barka s’excuse auprès de lui de devoir s’absenter, lui confie qu’il doit rencontrer un homme de la CIA et ajoute, en rigolant : « Je vais le balader. » « Surtout, n’en fais rien ! répond Harbi. Si tu réussis, ils ne l’oublieront pas et te le feront payer un jour. » Ben Barka est allé à son rendez-vous. Et rien ne laisse à penser qu’il ait suivi le conseil

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