Les 100 jours d’Abdallahi

Le 19 avril, il est officiellement devenu président de la République, mettant fin à près de trente ans de régime militaire. Trois mois après, l’euphorie est déjà retombée

Publié le 23 juillet 2007 Lecture : 6 minutes.

Depuis son investiture, le 19 avril, les ennuis s’accumulent pour Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Il y a d’abord eu, le 3 mai, la saisie de 600 kg de cocaïne et la mise en évidence des carences de l’État dans la répression du trafic de drogue. Puis une série de meurtres à Nouakchott, suivis d’une mutinerie à la prison centrale, les 9 et 10 juillet. Par une sorte de fatalité, la pluie s’obstine à ne pas tomber, les prix augmentent, et la grogne des consommateurs avec. Et puis il y a ces exaspérantes coupures d’eau et d’électricité à répétition Pour un ex-candidat qui avait pris une ampoule électrique pour emblème de sa campagne électorale, c’est ennuyeux.

Les plus superstitieux voient dans cette série noire un fort mauvais augure. Quoi qu’il en soit, elle met à mal le scénario idyllique dont Cheikh Abdallahi était censé être le héros. Élu en toute transparence à la tête de l’État après vingt-neuf ans de pouvoir militaire, il avait pour mission d’installer la démocratie et de bâtir l’unité nationale Trois mois après, l’euphorie des débuts a fait place à la morosité. Les Mauritaniens continuent d’attendre en vain cette ère nouvelle que le « candidat du changement » leur avait promise.
Issu d’une famille maraboutique tidjane du Brakna (Sud), « Sidi » (69 ans) a la réputation d’être un sage. En tout cas, il prend son temps pour régler les problèmes de la vie quotidienne de ses compatriotes. Loin de tout populisme, il réfléchit, consulte, cherche avec ses ministres des solutions durables.
Les délestages qui, parfois, plongent dans le noir certains quartiers de Nouakchott pendant soixante-douze heures ? « L’électricité met en jeu une offre et une demande, explique-t-il doctement. La demande est prévisible, nous devons nous efforcer de planifier l’offre. Pour cela, il nous faut construire des installations, ce qui prend beaucoup de temps. »
La hausse des prix des produits de première nécessité, lait en poudre, riz ou blé ? « Nous sommes dans un système libéral, argue l’ancien ministre de l’Économie de Moktar Ould Daddah. Notre marge de manuvre sur les prix est réduite, mais nous essayons d’agir sur d’autres facteurs. » La leçon d’économie a peu de chances de convaincre les Mauritaniens. À en croire les Nations unies, 46 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté. « Sans doute en raison de ses origines sociales, Sidi a un rythme lent, commente un observateur. Mais la Mauritanie d’aujourd’hui ne vit plus à ce rythme-là : 43 % de la population a moins de 25 ans ! » Dans la rue, la lassitude gagne du terrain. Ibrahima, un gardien d’hôtel, fait semblant de croire que « le changement est encore possible », mais, à l’évidence, le cur n’y est plus vraiment.
Pourtant, des amorces de changement, il y en a. Hélas, elles ne se voient guère. Prudent calcul ou manque de sens politique ? Cheikh Abdallahi a commencé par réorganiser les institutions. Après avoir nommé Zeine Ould Zeidane à la primature – conformément à un accord conclu entre les deux tours de la présidentielle -, il lui a, le 29 mai, remis une « lettre de mission » le chargeant, entre autres, d’impulser la croissance et de consolider l’unité nationale. Un partage des rôles très inhabituel dans un pays où, traditionnellement, tous les leviers de commande sont détenus par un seul homme.

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Les membres du gouvernement, eux aussi, ont eu droit à leur missive. À partir de 2008, les budgets de leurs ministères respectifs seront fonction de leurs objectifs. Et, surtout, de leurs résultats. « Il n’y aura plus de budget acquis une fois pour toutes, commente Ould Zeidane. Je veux créer une pression permanente sur nos services publics pour les contraindre à améliorer leurs performances. » En clair, il s’agit de responsabiliser les hauts fonctionnaires et de veiller à la bonne utilisation des deniers publics. C’est absolument sans précédent.
Mais c’est dans le secret des administrations – ou de l’Assemblée nationale – que se jouent ces subtils ajustements. Le 10 juillet, par exemple, les députés ont adopté un projet de loi sur la transparence financière qui contraint les hauts fonctionnaires à déclarer leur patrimoine. Le chef de l’État, le Premier ministre et l’ensemble du gouvernement avaient déjà montré l’exemple. La mesure est sans nul doute salutaire, mais l’ennui est que, pendant ce temps-là, le président reste invisible. « Il n’a encore fait aucune tournée à l’intérieur du pays, déplore un habitant de Nouakchott. D’ailleurs, il ne connaît plus la Mauritanie, il est resté absent trop longtemps [Cheikh Abdallahi a passé une quinzaine d’années au Koweït et au Niger, NDLR]. » « Ici, renchérit le patron d’un organe de presse, on a besoin d’un chef fort. Par naïveté, Sidi refuse de céder à cette demande. » Discrétion, sobriété, simplicité : les Mauritaniens sont déconcertés par le style Cheikh Abdallahi (voir encadré page précédente).

Depuis le début du mois, certains ministres (ceux, notamment, de la Justice et de l’Éducation) s’astreignent à des points de presse réguliers pour rendre compte de leurs activités, mais il n’empêche : jusqu’à présent, la communication n’a pas été le fort de la nouvelle administration. « Le gouvernement subit la rumeur, relayée par la presse, sans riposter, s’étonne un intellectuel. On parle de déficit alimentaire, de manque de trésorerie On a l’impression que le pays est en faillite, alors que la situation n’est pas pire qu’avant. »
En comparaison, Ely Ould Mohamed Vall et ses collègues du Conseil pour la justice et la démocratie (CMJD) semblaient déborder d’activités : « La force de la transition, c’était la communication, poursuit-il. Au moindre problème, le Premier ministre s’expliquait publiquement. » « Il faut que les gens sentent que quelque chose se passe, renchérit le chef d’un parti d’opposition. Le peuple a besoin d’une boussole, mais Cheikh Abdallahi ne lui montre aucune direction. »
Est-ce pour donner l’illusion de l’action que, le 29 juin, le chef de l’État s’est, pour la première fois, adressé à ses compatriotes ? Comme pendant la campagne, il a promis de soigner les trois plaies encore vives de l’histoire mauritanienne : la déportation des Négro-Mauritaniens vers le Sénégal et le Mali ; les exactions commises dans l’armée au tournant des années 1980 ; et l’esclavage. « Au nom de la République, j’exprime ma compassion à l’égard de toutes les victimes », a-t-il déclaré. Le plus haut représentant de l’État reconnaissant le passé et s’en repentant : du jamais vu dans une Mauritanie où l’histoire officielle s’est toujours autorisée de sérieux accommodements avec la vérité.

Ce « discours du cur », selon l’expression du journaliste Mohamed Fall Ould Oumère, a visé juste. « C’est la première fois qu’un président parle de cela et s’excuse au nom de l’État », se félicite un membre du Parti républicain pour la démocratie et le renouveau (PRDR). « Il est personnellement très affecté par ce qui s’est passé », ajoute un membre du Collectif des victimes des répressions de 1986-1991 (Covir), association qui, pour la première fois en seize ans d’existence, vient d’être reçue par le chef de l’État. Un cadre bancaire tempère toutefois cet enthousiasme : « Des discours, toujours des discours », tranche-t-il.
C’est que le « président de tous les Mauritaniens » n’a pas les coudées franches. Se voulant « indépendant », il a nommé un gouvernement de technocrates plus que de politiques, se mettant ipso facto à dos les députés qui avaient soutenu son élection. En « président qui rassure » – autre slogan de campagne -, il s’efforce de ménager la chèvre et le chou. Aux auteurs des exactions commises dans les années 1990, il jure qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières, tout en promettant réparation aux familles des victimes. De même, il organise le retour des Négro-Mauritaniens déportés, tout en s’efforçant de rassurer les Maures, dont certains redoutent de se retrouver un jour en infériorité numérique (voir encadré ci-contre).
Et puis, il y a l’armée. Trois mois après l’investiture du nouveau président, le spectre du CMJD continue de planer sur le Palais ocre. Certes, Ely Ould Mohamed Vall, le principal artisan du putsch, se montre fort discret : il partage son temps entre quelques voyages à l’étranger, sa maison de Nouakchott et son ranch en Inchiri, à 150 km de la capitale. Mais le colonel Abdel Aziz reste commandant du Bataillon de la sécurité présidentielle (Basep), qui fut l’instrument du putsch du 3 août 2005, et dispose toujours d’un bureau à la présidence. Selon plusieurs témoignages, il joue un rôle nullement négligeable, quoique passablement flou, dans la marche des affaires et les nominations dans les administrations « On ne sait pas vraiment où est le pouvoir », résume un diplomate.

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