Le chemin du retour

Dans un long éditorial-réquisitoire, le New York Times épingle l’impuissance et l’absence de vision de George W. Bush. Et se prononce pour un retrait rapide des troupes américaines.

Publié le 23 juillet 2007 Lecture : 6 minutes.

Pour les États-Unis, il est temps de quitter l’Irak, sans autre délai que celui dont l’armée aura besoin pour organiser son repli en bonne et due forme.
Comme beaucoup d’Américains, nous sommes parvenus à cette conclusion après avoir attendu en vain un signe du président George W. Bush indiquant qu’il essayait sérieusement de sortir les États-Unis de la situation désastreuse qu’il a créée en envahissant l’Irak sans raison, contre l’avis du monde entier et sans programme de stabilisation du pays une fois la victoire militaire acquise.
Dans un premier temps, nous avons cru que la destruction de l’armée, de la police, des structures économiques et du gouvernement irakiens obligerait les États-Unis à réaliser certains des objectifs que Bush disait poursuivre, notamment la construction d’un Irak stable et unifié. Quand il fut évident que le président n’avait ni la vision ni les moyens de le faire, nous nous sommes alors opposés à l’idée de fixer une date de retrait tant qu’il y avait une chance de limiter le chaos auquel il n’aurait pas manqué de conduire.
Alors que, habituellement, Bush se moque des dates butoirs, il n’a cessé d’en avancer pour promettre une amélioration de la situation : d’abord après l’organisation des élections, ensuite après l’entrée en vigueur d’une nouvelle Constitution, enfin après l’envoi de milliers de nouveaux soldats. Mais ces étapes une fois franchies n’ont jamais donné lieu à un quelconque progrès vers l’établissement d’un Irak stable et démocratique, ni préparé le terrain à un retrait américain. Aujourd’hui, le doute n’est plus possible : Bush cherche à laisser les choses en l’état jusqu’à la fin de sa mandature pour refiler la patate chaude à son successeur. Quelle que soit la cause qu’il défend, elle est perdue. En Irak, Washington soutient des leaders politiques incapables de faire passer l’intérêt du pays avant les règlements de comptes communautaires et entraîne des forces de sécurité qui se comportent davantage comme des milices partisanes. Quant aux renforts militaires envoyés par les États-Unis, ils n’ont pas réussi à changer la donne.
Il faut par conséquent cesser de sacrifier la vie des soldats américains en Irak. Cette guerre mine les alliances de l’Amérique et sa force militaire, détourne dangereusement le pays de la question vitale que représente la guerre contre le terrorisme, constitue un fardeau de plus en plus lourd à porter pour le contribuable américain et trahit un monde qui a besoin d’une application éclairée des principes de l’Amérique et d’un recours mesuré à sa puissance.
C’est un fait : le départ des États-Unis risque de déstabiliser un peu plus l’Irak, voire la région. Des représailles contre ceux qui ont travaillé avec l’Amérique, sinon un nettoyage ethnique – voire un génocide -, ne sont pas à exclure. L’arrivée massive et potentiellement déstabilisatrice de réfugiés en Jordanie et en Syrie est évoquée. L’Iran et la Turquie sont susceptibles d’étendre leur aire d’influence. Surtout, l’Irak est devenu un bastion jihadiste à partir duquel l’activité terroriste menace de se répandre. Le gouvernement et le Congrès américains, mais aussi les Nations unies et les alliés de l’Amérique doivent donc tout tenter pour limiter les dégâts. Leurs efforts peuvent certes échouer. Mais maintenir les soldats en Irak revient à laisser la situation empirer.

Lutte antiterroriste

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Quoi qu’en dise Bush, al-Qaïda n’était pas très implantée en Irak avant que les États-Unis n’envahissent le pays. Le Pentagone y a pourtant concentré ses moyens militaires, au détriment de l’Afghanistan, où il avait l’opportunité – réelle – de déloger les leaders de l’organisation terroriste. L’invasion de l’Irak a par ailleurs conduit certains alliés de l’Amérique, incontournables pour mener cette guerre contre le terrorisme, à prendre leurs distances. Elle a enfin altéré la puissance et la préparation de l’armée américaine et ouvert un nouveau front terroriste.
Pour soigner cette automutilation, l’armée va devoir maintenir plusieurs bases dans la région. La Maison Blanche a tout intérêt à déterminer le lieu de leur implantation après consultation du Congrès et des pays frontaliers de l’Irak, ce qu’elle s’est bien gardée de faire jusqu’à présent. Quant au Pentagone, il devra impérativement laisser sur place une force permanente suffisante pour conduire des opérations aériennes et terrestres efficaces contre les terroristes.

Guerre civile

Le fait qu’un retrait d’Irak conduirait le pays à la guerre civile est l’un des arguments avancés par Bush pour y maintenir les troupes américaines. Mais cette guerre fait déjà rage. L’Irak menace de se fragmenter en trois républiques indépendantes – l’une kurde, l’autre sunnite, la troisième chiite -, et, si tel devait être le cas, l’armée américaine n’y pourrait rien.
Bien sûr, l’annonce d’une date butoir pour un retrait des États-Unis peut conduire les leaders politiques irakiens et les gouvernements des pays voisins à regarder les choses en face. Dans l’idéal, elle devrait même les inciter à promouvoir la réconciliation nationale à travers des mesures dont ils discutent sans fin mais qu’ils ont, jusqu’à présent, refusé de mettre en uvre. Ce n’est malheureusement que naïveté que de compter sur une telle issue.
L’administration américaine serait plus avisée d’utiliser l’effet de levier que ne manquerait pas de provoquer son départ d’Irak. Elle devrait faire pression sur ses alliés et sur les pays de la région afin d’obtenir leur aide pour parvenir à une solution négociée. Car, dans tous les cas, l’armée américaine ne peut résoudre seule le problème. Les États-Unis doivent prendre la tête d’une initiative internationale en vue de parvenir à une issue politique. Washington doit donc commencer par retourner devant l’ONU, que Bush avait traitée avec mépris et tournée en ridicule avant la guerre.

Crise humanitaire

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Il y a déjà quelque deux millions de réfugiés irakiens – la plupart sont en Syrie et en Jordanie -, et près de deux millions de déplacés à l’intérieur du pays. Mais sans la coopération active des six pays frontaliers de l’Irak – Turquie, Iran, Koweït, Arabie saoudite, Jordanie et Syrie – et l’aide de plusieurs autres États, le désastre pourrait être encore plus grave. Car, au-delà des souffrances individuelles, un afflux massif de réfugiés pourrait exporter le conflit bien au-delà de l’Irak.
À ce propos d’ailleurs, les États-Unis ont une grande responsabilité à assumer. Ils doivent accueillir durablement beaucoup plus de réfugiés qu’ils n’en ont acceptés à ce jour et offrir, entre autres, l’hospitalité aux dizaines de milliers d’Irakiens courageux et volontaires – interprètes, employés d’ambassade, ouvriers – en danger de mort parce qu’ils ont coopéré avec les Américains et pris pour argent comptant les promesses qui leur ont été faites.

Les voies du dialogue

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L’une des tâches les plus rudes qui attend Washington sera d’éviter une médiation excessive des voisins de l’Irak – qu’il s’agisse d’alliés ou d’adversaires de l’Amérique. Pour qu’il en soit ainsi, Bush doit accepter de parler à la fois à l’Iran et à la Syrie. De leur côté, le Royaume-Uni, la France, la Russie et la Chine, ainsi que les autres grandes nations doivent lui venir en aide. La guerre civile en Irak est une menace pour tous, surtout si elle s’étend au-delà des frontières irakiennes.
George W. Bush et le vice-président Dick Cheney ont utilisé la démagogie et la peur pour contenir la pression de l’opinion publique, qui exige la fin du conflit. Ils ont prétendu qu’un retrait conduirait au chaos et ne ferait qu’encourager les terroristes à aller encore plus loin. Or tout cela est déjà arrivé.
Les Américains doivent donc faire un choix. Soit ils continuent d’autoriser Bush à faire traîner cette guerre qui n’a ni fin ni objectif. Soit ils insistent pour que l’armée américaine se retire aussi vite et aussi prudemment que possible – en faisant tout ce qui est en son pouvoir pour éviter que le chaos ne se répande.

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