Le cas Djibo

Le leader de l’URD s’est vu retirer le portefeuille de l’Économie maritime. Pressions du clan Wade ou punition pour sa gestion du Port de Dakar ?

Publié le 23 juillet 2007 Lecture : 6 minutes.

En 2008, Djibo Leïty Kâ aura 60 ans, et son parti, l’Union pour le renouveau démocratique (URD), soufflera ses dix bougies. Pour l’ancien challengeur d’Abdou Diouf et d’Abdoulaye Wade en 2000, qui était parvenu, à force d’alliances et de retournements politiques, à mener tranquillement sa barque au pouvoir, la fête pourrait bien être triste. La perte du ministère de l’Économie maritime, qu’il occupait depuis 2004, est concomitante des sombres affaires qui entourent le Port de Dakar et sa gestion (saisies importantes de drogue, cession du terminal à conteneurs). L’éloignement manifeste du président Wade, qui avait jusqu’alors joué les protecteurs, pourrait signer, pour Djibo Kâ, la fin d’une longue carrière dans les arcanes de l’État sénégalais.
Il se veut pourtant confiant. « Des gens prient pour que l’alliance stratégique entre notre parti, l’URD, et le Parti démocratique sénégalais [PDS, au pouvoir] s’arrête. Dieu n’exaucera jamais ces prières », a-t-il assuré le 14 juillet à Linguère, dans le Ferlo (sa région natale, au cur du Sénégal). Mais Kâ a beau avoir invité ses militants à ne pas céder à ce qu’il appelle « la provocation de la presse et des adeptes d’intrigues politiciennes », les récentes décisions de Wade à son sujet laissent de nombreuses questions en suspens.
Début juillet, alors qu’il se trouve en mission en Europe pour s’enquérir de l’état d’avancement des travaux de construction du navire Aline-Sitoë-Diatta (qui doit remplacer le Joola, naufragé le 26 septembre 2002), Djibo Kâ est « rétrogradé » de son poste de ministre de l’Économie maritime à celui de l’Environnement. Le chef de l’État Wade se contente du service minimum en l’informant par téléphone de sa décision sans au préalable solliciter son avis. Pour remplacer Kâ à la tête d’un ministère stratégique au Sénégal, puisque le port, la pêche et le transport maritime tombent sous sa responsabilité, Wade jette son dévolu sur un homme réputé proche, Souleymane Ndéné Ndiaye.

Beaucoup d’observateurs voient dans cette « toilette » ministérielle le début de la disgrâce du patron de l’URD. Le premier acte de défiance du Palais à l’encontre de Djibo Kâ est intervenu un mois auparavant, lors de la formation du gouvernement du Premier ministre Cheikh Hadjibou Soumaré. Alors que le parti de Kâ avait obtenu deux postes ministériels le 21 avril 2004 – date à laquelle il a quitté l’opposition pour rallier le camp présidentiel -, Wade somme son tout nouveau chef du gouvernement de ne pas reconduire Diégane Sène, issu de l’URD et titulaire du portefeuille de l’Alphabétisation, des Langues nationales et de la Francophonie. Se retrouvant seul représentant de sa formation dans la nouvelle équipe, Djibo Kâ récupère in extremis un deuxième maroquin pour sa famille politique, après une audience au cours de laquelle il convainc le chef de l’État de confier le Tourisme à Fatou Gassama. L’Artisanat, qu’il réussit quelques jours plus tard à ajouter aux attributions de ce département, conforte le leader de l’URD dans l’idée qu’il garde toute l’estime du chef de l’État.
Le malaise actuel entre les deux hommes était d’autant moins prévisible que Kâ entretenait d’excellents rapports avec Wade depuis que ce dernier l’avait sauvé d’une mort politique programmée.
C’est en avril 2004, contre l’avis de son Premier ministre d’alors, Idrissa Seck, que le chef de l’État fait entrer dans son gouvernement Djibo Leïty Kâ. Celui-là même qui, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2000, a fait faux bond à l’opposition (menée par Wade) pour appeler à voter pour le candidat au pouvoir, Abdou Diouf
Décrédibilisé par son revirement spectaculaire de la présidentielle de 2000, écrasé par la victoire de Wade et laminé aux législatives de 2001 (3 députés contre 11 en 1998, où il était la troisième force politique du pays), Kâ est au plus mal. En 2004, Wade le repêche avec le poste de ministre d’État chargé de l’Économie maritime, et en fait également un élément essentiel de son dispositif.
Djibo Kâ se rapproche de Wade, qui le consulte sur les questions les plus sensibles. Le chef de l’État ne veut pas se priver de l’expérience d’un homme qui, sous Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, a évolué dans les sphères les plus élevées de l’État. Diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), il a été, depuis 1976, conseiller technique à la présidence, directeur de cabinet de Senghor, et plusieurs fois ministre (Information, Plan et Coopération, Éducation nationale, Affaires étrangères, Intérieur).
Wade semble aller plus loin et fait de Kâ son confident. Il le reçoit pendant des heures, s’entretient avec lui de la bonne marche de l’État, mais aussi de sa conception de la vie, de la mort, de la famille, de l’héritage qu’il souhaite léguer aux Sénégalais
Proche donc du chef de l’État – trop au goût des compagnons historiques -, Djibo Kâ prend de l’assurance. Au point d’irriter les « faucons du palais » qui, de l’avis de l’un d’entre eux, ont un seul point commun avec leur ennemi juré, Idrissa Seck : l’inimitié qu’ils éprouvent pour le leader de l’URD.
Kâ agrandit le cercle de ses adversaires, heurte, par son excès d’ambition, des piliers du régime comme le Premier ministre devenu président de l’Assemblée nationale, Macky Sall.
Il ne manque pas non plus d’importuner Wade par son empressement à lui succéder à la tête de l’État : il proclame urbi et orbi qu’il sera le quatrième président de la République du Sénégal. Dès le lendemain de l’élection présidentielle du 25 février 2007, il tient une retentissante conférence de presse pour déclarer que l’URD a joué « un rôle très important » dans la réélection de Wade. Non sans ajouter qu’il ne prêcherait désormais que pour sa propre chapelle politique.
Alors que le chef de l’État entreprend, début juin, de regrouper dans une formation politique unique toutes les forces qui le soutiennent, une proche de Kâ déclare dans un journal dakarois : « Nous ne sommes pas des souteneurs, mais des alliés du président Wade et de sa formation politique. L’URD ne se fondra jamais dans le PDS. Jamais de la vie. »

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Ces petites histoires personnelles auraient pu passer inaperçues si elles n’avaient pas été accompagnées de réels enjeux politiques. La cession du terminal à conteneurs du Port autonome de Dakar, début juin, révèle la mésentente entre Kâ et Wade. Après l’attribution de la concession à Dubai Port World, l’entreprise française Bolloré, furieuse de n’avoir pas obtenu le marché, initie une procédure à l’amiable et demande une reprise de l’appel d’offres dans deux courriers adressés l’un au chef de l’État, l’autre à son ministre de l’Économie maritime. Alors que Wade réfléchit, sous la pression de la France et des 1 200 salariés de Bolloré menacés de se retrouver au chômage, Kâ envoie une fin de non-recevoir à l’entreprise française. Wade apprécie d’autant moins qu’au même moment il reçoit des protestations de haut niveau de Paris.
La méfiance se renforce après les saisies de 2,4 tonnes de cocaïne dans la région de Dakar à la fin de juin, qui font de plus en plus apparaître le Sénégal comme une plaque tournante de la drogue en Afrique de l’Ouest. Chez les autorités portuaires et maritimes, la suspicion s’installe. Et Wade fait le ménage, en commençant par remercier son ministre de l’Économie maritime.
Le « petit berger » (comme Kâ se définit dans le titre d’un ouvrage autobiographique) n’a jamais été aussi proche de la fin d’un parcours politique fait de revirements spectaculaires, d’alliances contre nature et de plans de carrière à géométrie variable. Car si le chef de l’État se sépare de Djibo Kâ, qui ne lui est plus d’aucune utilité politique depuis sa réélection de février 2007, le leader du l’URD aura bien du mal à rebondir. Kâ sans Wade redevient le chef d’un minuscule parti sans grande chance de jouer les premiers rôles.

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