Idir chante la France multicolore

Après une longue absence, le chanteur algérien revient avec un nouvel album en compagnie d’artistes de toutes origines, mais unis dans la diversité.

Publié le 23 juillet 2007 Lecture : 9 minutes.

Il y a belle lurette que le chanteur algérien Idir n’est plus à ranger dans la case « chanteur kabyle ». Huit ans après son album Identités – dans lequel le Français Maxime Le Forestier, l’Écossaise Karen Matheson, le Breton Dan Arbraz ou l’Ougandais Geoffrey Oryema revisitaient ses grands succès -, notre artiste revient avec un disque inattendu et déroutant : La France des couleurs. Ses fans attendaient une livraison 100 % kabyle (son dernier opus intitulé Les Chasseurs de lumière étant sorti en 1993), voilà qu’Idir les surprend avec un album oscillant entre rap, slam, hip-hop et reggae.
« Au début, j’étais kabyle, raconte-t-il de sa voix posée. En sortant de mon village, puis de l’Algérie, je me suis rendu compte que j’y vivais comme un exilé dans son propre pays. En France, j’ai non seulement découvert la liberté mais LES libertés d’expression. La France des couleurs est donc, en quelque sorte, une mosaïque qui reflète la richesse des hommes et des femmes qui composent la France. »
Fidèle à sa philosophie de tolérance et d’ouverture, Idir réunit ainsi une belle brochette de jeunes artistes pour chanter une France métissée, épicée et décomplexée. Autour de lui chantent notamment Nâdiya, Diziz La Peste, Tiken Jah Fakoly, Noa, Grand Corps Malade, Féfé et Leeroy, du groupe Saïan Supa Crew. « Au moment où l’on mêle immigration et identité nationale, où certains proposent de mettre des drapeaux pour affirmer que l’on est français, j’essaie de faire passer l’idée que la France d’aujourd’hui, dans sa diversité, est un acquis irréversible », ajoute-t-il. Idée généreuse et séduisante.
JEUNE AFRIQUE : Pourquoi un album intitulé La France des couleurs ?
Idir : Ce disque est né au hasard d’une discussion avec ma productrice, qui m’a suggéré de faire un album avec la nouvelle génération de chanteurs et de musiciens français issus de la scène rap et hip-hop. Plutôt étranger à cet univers musical et accaparé par la préparation de mon nouvel album en Kabylie, j’étais loin de m’imaginer capable de m’engager dans cette expérience originale. Après mûre réflexion, j’ai finalement donné mon accord.
En élaborant l’album avec Akhenaton (du groupe IAM), Grand Corps Malade, Diziz La Peste et autres Sinik, je me suis rendu compte qu’on tournait toujours autour des mêmes sujets : banlieue, exclusion, racisme, intégration. Quand bien même je reste sensible à ces thèmes, je ne me sentais pas à ma place dans cet univers. Il me fallait donc imaginer un autre concept. C’est là que l’idée d’une France des couleurs a jailli. Le projet initial devait s’appeler Génération plurielle, mais le titre « La France des couleurs défendra les couleurs de la France » s’est vite imposé. Ce leitmotiv m’a permis d’élargir le champ musical à d’autres artistes comme Jean-Jacques Goldman, Pascal Obispo et Yannick Noah, qui sont venus défendre le slogan et enrichir l’album.

« La France des couleurs défendra les couleurs de la France » sonne comme un slogan de campagne électorale
L’album se veut un reflet aussi fidèle que possible de la France d’aujourd’hui, qui est une mosaïque de couleurs. Bien sûr, certaines sont plus représentées que d’autres. En travaillant sur les thèmes des chansons, je me suis rendu compte que ce que nous proposions s’apparente à un programme politique. Le disque devait sortir le 22 avril 2007, c’est-à-dire entre les deux tours de l’élection présidentielle française. En raison du contenu de l’album sa parution devenait de fait un sujet très sensible. Pour éviter les mauvaises interprétations, nous avons retardé sa sortie pour le mois de juin, loin du tumulte électoral. Je ne voulais pas que le concept soit récupéré par les hommes politiques, de quelque bord qu’ils soient.

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Qu’est-ce que l’identité française pour Idir, le Kabyle algérien qui a débarqué en France le 8 septembre 1975 à 14 h 15, comme tu aimes à le préciser ?
L’identité est un concept sans cesse en mouvement. On ne peut pas la figer dès lors qu’elle s’apparente à des choses qui changent tout le temps. Je suis d’identité et de culture berbères, mais mon fils et ma fille, nés en France, ne peuvent pas se revendiquer exclusivement de l’héritage de leur père et de leur mère. Ils parlent kabyle et français, ils ont une culture berbère, mais se revendiquent français et imprégnés des valeurs de la République. Ce qui me fait dire que parler de l’identité française au sens strict du terme est un non-sens. Un Corse ou un Breton sont certes citoyens français, mais sans renier pour autant leurs racines et leurs traditions. Il n’y a pas une France mais plusieurs France.

La chanson Lettre à ma famille résulte de la rencontre improbable entre vous-même, votre fille et le chanteur « Grand corps malade ». Comment est née cette chanson ?
J’ai discuté du thème de la chanson avec Fabien [Grand Corps Malade, Ndlr] avant de lui demander d’écrire un texte sur un père de confession musulmane qui adresse à sa fille une lettre d’amour. Malgré les interdits et les clichés, malgré le voile que porte cette fille, ce père l’aime par-dessus tout. Je suis convaincu que la République est une entité qui rassemble les siens indépendamment de leur race et de leur religion. Les notions de citoyenneté et de laïcité ne sont pas négociables, mais elles peuvent aller à contre-courant de certaines croyances. Ce qui m’a intéressé dans le texte de Fabien, c’est le regard d’un Français qui décèle chez ce brave musulman des questionnements honnêtes vis-à-vis de sa fille qui porte le hijab et qui vit dans un pays où la laïcité est sacrée et consacrée par les textes fondamentaux. Il n’est jamais facile de parler de religion en chanson, mais il me semble que c’est fait de manière profondément pudique.

Dans un entretien, vous affirmiez que si l’intégration se faisait en fonction des compétences des hommes et des femmes, on n’aurait jamais eu les explosions dans les banlieues
Les politiques ne s’intéressent pas au sort des banlieues. Ils en comprennent les mécanismes et peuvent les décrire, mais personne n’a jamais eu le courage d’aller au fond des choses. Au lieu de prendre à bras-le-corps les questions de racisme, de discrimination, d’exclusion pour leur trouver des solutions, ils en font un rempart entre eux et les gens de banlieues. En dehors des échéances électorales, qui va voir ces jeunes ? Personne. La droite enlève ce que la gauche a installé. La gauche remet en cause ce que la droite a mis en place. Résultat ? Presque rien sinon des émeutes et un immense fossé.

Le président Nicolas Sarkozy a nommé au gouvernement deux femmes d’origine maghrébine : Rachida Dati et Fadela Amara. Est-ce un vrai signe d’intégration ou plutôt, comme dirait Azouz Begag (ancien membre, lui, du gouvernement Villepin), que ce ne sont que des « Arabes qui cachent la forêt » ?
S’il était l’Arabe qui cache la forêt, Azouz Begag n’aurait pas dû accepter le poste. S’il l’a accepté, c’est qu’il était convaincu d’avoir une mission à accomplir et de représenter une communauté fière de lui. Si un homme fait appel aux compétences représentant toutes les sensibilités, c’est qu’il veut faire bouger les choses. Laissons agir Sarkozy, puis nous le jugerons sur pièces. Pasteur disait : « Je ne vous demande pas quelle est votre religion ou votre race, je vous demande quel est votre mal. » L’idéal serait d’avoir des dizaines de Pasteur dans la République.

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On devine chez vous une certaine indulgence vis-à-vis de Sarkozy. Vous êtes pourtant contre l’idée d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale
Idir reste un homme de gauche. Idir ne changera pas. Pendant des années, on a ramené des immigrés des anciennes colonies pour défendre la France. Puis on en a encore ramené pour la reconstruire Certes, il faut contrôler le flux parce que, comme dirait l’autre, « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », mais il faudrait surtout apprendre à ces gens comment pêcher le poisson plutôt qu’à bien le cuisiner. Il faudrait mettre en place des politiques de développement au profit des pays d’Afrique et d’Asie qui connaissent un fort taux d’immigration. Toutefois, cela restera insuffisant. La solution n’est pas de renvoyer des Africains ou des Asiatiques chez eux – il y en aura toujours des milliers d’autres qui viendront en France, par un moyen légal ou non. Il s’agit surtout d’arrêter de soutenir les régimes dictatoriaux qui volent les peuples et qui laissent certaines multinationales piller leurs richesses. Je ne connais pas un seul immigré qui, s’il était heureux chez lui, irait chercher la paix et la prospérité ailleurs.

Idir, le chanteur kabyle et algérien, qui chante en duo avec Noa l’Israélienne, cela procède-t-il du marketing ou d’une vraie conviction ?
C’est encore La France des couleurs. Noa chante une chanson intitulée « Ce cur venu d’ailleurs ». Le thème : un immigré dont le cur a palpité pour une fille qui n’est pas de la même culture peut-il vivre en France un amour durable ? Cet amour ne sera-t-il pas remis en question par des clichés ? J’ai d’abord choisi Noa parce qu’elle a une belle voix. Ensuite, dans ce duo, il y a un aspect auquel on ne peut échapper : un Algérien chante avec une Israélienne. Si c’est un moyen pour ouvrir les esprits, pour aller vers davantage de tolérance entre les communautés, alors j’assume totalement ce choix.

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Les artistes arabes et israéliens parviennent à chanter ensemble alors que les hommes politiques continuent de se tourner le dos. Est-ce que la paix passerait par l’art ?
L’art est une victoire lente, progressive et profonde sur les dogmes et le sacré. Galilée était un artiste dans son genre. Ils l’ont mis en prison parce qu’il avait osé contredire la croyance selon laquelle la Terre était plate. « Et pourtant, elle tourne ! » avait-il dit. L’artiste est celui qui a le courage de renverser les structures existantes. Les artistes ont toujours été à l’avant-garde parce qu’ils touchent d’abord à l’émotionnel. Les politiques obéissent à une autre démarche. Il est de la nature de l’artiste de transcender les principes rigides de religion, de race et d’idéologies politiques. Cheb Khaled a chanté avec Noa ; Smaïn, Guy Bedos et Michel Boujenah ont monté des spectacles ensemble cela n’a choqué personne.

Iras-tu chanter en Israël si on t’y invite ?
Tout dépendra dans quel cadre. Si je dois me rendre en Israël, il faudrait que j’aie la liberté de me pencher sur le problème du peuple palestinien et d’en parler librement. Je suis un homme libre et qui assume ses choix. Quand j’avais déclaré, dès le début des années 1970, qu’il faut reconnaître le droit au peuple juif d’avoir un État, je me suis fait taper sur les doigts. Le président Bouteflika s’est entretenu pendant sept minutes avec le Premier ministre Ehoud Barak lors des obsèques du roi Hassan II en juillet 1999, mais cela ne l’a pas empêché de fustiger une délégation de journalistes algériens qui s’est rendue en Israël quelques semaines plus tôt. Il faut en finir avec ces contradictions.

À quand votre prochain album en kabyle et une tournée en Algérie ?
L’album est presque prêt. Nous avons travaillé sur une dizaine de titres en kabyle, et deux chansons en français. Il sortira peut-être à la fin de 2007 ou au début de 2008. Quant à la tournée en Algérie, je ne demande qu’à aller chanter dans mon pays. La ?dernière fois que je suis monté sur la scène algérienne remonte au début des années 1980. Il me tarde d’y aller, mais on me conseille d’attendre, car la situation n’est pas encore propice pour organiser des concerts. Alors, attendons.

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