Climat : pour Salaheddine Mezouar, « les COP doivent sortir de leur cadre de “rendez-vous d’experts” »
Le président de la COP22 et patron des patrons marocains, Salaheddine Mezouar, plaide pour une plus grande inclusion des acteurs non étatiques, et notamment du secteur privé, dans la transition climatique.
Salaheddine Mezouar, président de la COP22 et de la CGEM, a assisté le 3 juillet à Varsovie à la conférence ministérielle « Peuples et climat : solidarité et transition équitable ».
Jeune Afrique : Quels ont été les objectifs de la rencontre de Varsovie ?
Salaheddine Mezouar : Cette deuxième rencontre du Conseil des présidents, initiée par Michal Kurtyka, président de la COP 24, qui a réuni six présidents de COP, a permis de fixer nos objectifs annuels pour accompagner l’agenda de la lutte contre les changements climatiques. Fort de nos expériences, nous pouvons être des facilitateurs en vue des prochaines étapes, à savoir le Sommet du secrétaire général des Nations-Unies et la COP 25, qui se tiendra au Chili.
La rue est un moment politique, mais elle ne peut représenter une solution pour régler les problématiques concrètes du climat
Les pays africains sont parmi les plus exposés aux impacts négatifs du changement climatique, et pourtant l’Afrique est le continent qui reçoit le moins de financements liés au climat. Une injustice qui perdure ?
L’Afrique est confrontée à de multiples défis climatiques. Notre continent ne contribue que pour 4 % aux émissions des GES mais 65 % de sa population est touchée par les changements climatiques. Lorsque j’échange avec les responsables gouvernementaux africains, ils font tous le même constat : « le Nord promet beaucoup, mais ne fait pas grand-chose ». Les pays africains ont besoin d’engagements fermes et sont prêts à apporter leur contribution pour trouver des solutions durables aux problématiques du continent liées à la migration, aux conflits et à l’insécurité engendrées par les changements climatiques. Tout cela ne peut se faire sans un renforcement de la solidarité active entre États et sans l’inclusion des acteurs non étatiques, notamment des ONG qui s’engagent sur le terrain.
Nous assistons depuis quelques mois à une mobilisation sans précédent de jeunes pour le climat, en Europe en particulier. La jeunesse africaine ne semble pas être mobilisée de la même manière. Comment l’expliquez-vous ?
Cela vient en partie du manque d’informations et de sensibilisation autour de cette question, mais aussi du patriarcat qui empêche les plus jeunes de s’exprimer librement. Mais il faut nuancer : il existe des ONG africaines de jeunes très actives sur ces questions, en particulier à travers les réseaux sociaux. Il faut renforcer les interactions entre elles et la Génération climat qui monte en Europe afin de favoriser l’échange d’informations et de best-practices. Ces jeunes doivent trouver des espaces de dialogue et de travail au sein des institutions et participer au processus des COP, qui doivent sortir de leur cadre de “rendez-vous d’experts”. La rue est un moment politique, mais elle ne peut représenter une solution pour régler les problématiques concrètes du climat.
Qu’est-ce qui a changé dans le secteur privé marocain en particulier depuis l’organisation de la COP 22 ?
Lors de la COP 22, j’ai souhaité inclure formellement dans le processus la participation des acteurs non-étatiques, dont le secteur privé fait naturellement partie. Le Marrakech Business Action for Climate, porté par la CGEM, a permis aux secteurs privés de nouer des partenariats globaux et de coopération internationale. La CGEM était un partenaire officiel de la COP22 et fait aujourd’hui partie des observateurs accrédités par la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques).
L’absence d’une véritable Confédération patronale africaine entrave fortement la prise en main de la question climatique par le secteur privé panafricain
Est-ce que les opérateurs marocains sont suffisamment conscients des défis climatiques et des opportunités d’investissements que cela offre ?
Au lendemain de la COP22, la CGEM a lancé l’Initiative entreprises climat Maroc (IECM), qui propose de la sensibilisation, de la formation, de l’accompagnement et du développement. Nous avons créé une véritable « Task Force Climat » qui regroupe l’ensemble des acteurs du secteur privé, aux côtés d’experts et d’acteurs associatifs, pour déployer une stratégie climat pour nos entreprises. Cela concerne les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, l’économie circulaire, la gestion de l’eau et des déchets ou encore la mobilité durable.
Existe-il une coopération Sud-Sud entre les différents secteurs privés du continent ?
La CGEM a développé plusieurs synergies sur les questions climatiques avec ses homologues dans différents pays africains. Le Marrakech Business Action for Climate a ainsi permis de constituer un réseau de secteurs privés qui échangent sur les moyens à mettre en œuvre pour aider les gouvernements à appliquer l’accord de Paris, et qui s’engagent pour promouvoir l’émergence d’une nouvelle économie à bas carbone et résiliente au changement climatique. La moitié des membres de ce réseau sont des patronats africains, mais il faut aller plus loin. Je pense que l’absence d’une véritable Confédération patronale africaine, à l’instar de Business Europe, entrave fortement la prise en main de la question climatique par le secteur privé panafricain.
Peu d’entreprises marocaines spécialisées dans les énergies renouvelables ou l’économie verte se sont installées sur le reste du continent contrairement à d’autres secteurs comme la banque ou l’immobilier. Comment l’expliquez-vous ?
Différents partenariats ont été entérinés lors des visites effectuées par le roi Mohammed VI dans les pays africains, notamment à travers Masen. L’exemple le plus emblématique pour moi reste la mobilisation du secteur privé marocain dans le projet de dépollution, de sauvegarde et de valorisation de la Baie de Cocody à Abidjan.
Le secteur privé marocain a réalisé d’importants investissements dans les énergies renouvelables dans plusieurs pays du continent, notamment les projets de Nareva en Afrique subsaharienne. Aussi, plusieurs entreprises marocaines, œuvrant dans le domaine de la gestion et de la valorisation des déchets, opèrent désormais au Mali, au Soudan, en Éthiopie, en Côte d’Ivoire ou en Guinée Conakry. Mais il faut sensibiliser davantage les entreprises marocaines quant aux opportunités immenses du continent dans les secteurs de l’économie verte et des énergies renouvelables.
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