En attendant l’abolition

Finalement adoptée par le Sénat, la suppression de la peine capitale entretient l’espoir parmi les condamnés à mort. Et les simples détenus. Reportage.

Publié le 23 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

Le Rwanda a tenu parole : le 11 juillet, le Sénat a voté l’abolition de la peine capitale. Une bonne nouvelle pour les quelque 600 condamnés à mort, qui verront leur peine commuée en détention à perpétuité. Mesure phare de l’effort de « réconciliation nationale », l’abolition aura également l’avantage de désencombrer les geôles du pays. Par un effet d’entraînement, de nombreux détenus purgeant une simple peine d’emprisonnement pourront bénéficier d’une libération conditionnelle. En attendant les premières mesures, la plupart des 80 000 prisonniers du pays s’interrogent sur le sort qui leur sera réservé
Il suffit d’aller à Muhima, l’une des collines de Kigali, la capitale, pour s’en rendre compte. Non loin du centre-ville, une grande concession entourée de tôles ondulées et de feuilles de palmier. À l’entrée principale, des inscriptions sur une arcade renseignent sur le lieu : 1930, Prison centrale de Kigali. Le pénitencier a pour nom la date de son ouverture. Au bout du chemin caillouteux, une sorte de château fort imposant en briques de terre cuite. Derrière les hautes murailles se terminant par des tessons de bouteille, pas moins de 5 735 prisonniers condamnés pour participation au génocide ou pour des affaires relevant du droit commun. Tous attendent l’abolition de la peine de mort, une remise de peine, un élargissement ou une révision de leur procès.

C’est le cas de Diane*, 24 ans. « J’ai été arrêtée en 2004 et condamnée à perpétuité pour infanticide. Quand j’étais enceinte, je ne suis pas allée aux consultations prénatales comme c’est exigé ici au Rwanda. J’ai accouché seule et le bébé est mort. Au procès, j’ai demandé pardon, mais le juge ne m’a pas entendue. » La jeune femme a fait appel de sa condamnation. Gustave, jeune homme élancé de 30 ans, porte une grosse croix en bois autour du cou. Il s’est battu contre le gouvernement en place. Arrêté en 1999 pour « infiltration », il a été jugé et condamné à mort. « J’ai combattu au sein de l’Armée de libération du Rwanda [Alir] qui était basée à l’est de la République démocratique du Congo, raconte-t-il. J’ai participé à des attaques contre l’armée rwandaise, mais je n’ai tué personne. Mais de toute façon, c’était la guerre ! Exilé en RDC, j’ai dû, comme tout homme qui se respecte, défendre ma vérité et mes intérêts contre un groupuscule qui venait de prendre le pouvoir. »
Gustave, qui a été agent de sécurité en prison avant de se consacrer à l’enseignement du swahili, attend la révision de son procès. Tout comme Nathalie, 63 ans, arrêtée en 1998 et condamnée à mort pour participation au génocide. Elle clame son innocence. Rose, 72 ans, emprisonnée depuis août 1994 et condamnée à la peine capitale pour génocide, affirme, quant à elle, que son accusateur est un prisonnier qui voulait être libéré et profiter d’une récompense de l’association Ibuka, chargée de la défense des intérêts des rescapés du génocide. « J’ai dit au tribunal que, pendant les massacres, j’étais sortie de chez moi, se souvient-elle. J’ai croisé sur mon chemin des Interahamwes [les miliciens extrémistes hutus, NDLR] qui entouraient une femme tutsie. J’ai pris peur et je suis rentrée à la maison où je cachais douze personnes qui sont toujours en vie. » Elle parle de dénonciation calomnieuse, de faux témoignage. « Le véritable criminel se trouve dans cette prison, affirme-t-elle. Je suis en train de réunir des preuves pour le confondre. » Elle a fait appel. « Moi, je ne connais même pas le visage de la personne que je suis censée avoir empoisonnée », s’indigne Louise, « plus de 70 ans », condamnée à mort pour empoisonnement. La Cour suprême va réexaminer son dossier. Marthe, 45 ans, a préféré plaider coupable tout en regrettant de n’avoir pu sauver de vies pendant le génocide. Arrêtée il y a trois ans, elle attend toujours son procès. Dans des conditions que certains jugent difficiles.

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Achille, quadragénaire moustachu condamné à mort pour génocide, se plaint de l’« entassement dans un espace réduit ». Idi, musulman de 60 ans à la carrure de lutteur, également condamné à mort, déplore, quant à lui, la monotonie des repas. Damascène, qui purge une peine à perpétuité pour viol sur mineure, regrette de ne pas avoir les moyens de s’offrir les « petites choses » dont il a besoin. D’autant que personne ne vient jamais lui rendre visite. Angèle, qui « a pris vingt ans » pour infanticide, est dans le même cas. Et se demande pourquoi sa famille l’a abandonnée
Pour faire face à l’engorgement des prisons, le gouvernement rwandais a lancé il y a quelques années une profonde réforme de son système judiciaire. « Depuis 2003, on libère des détenus, nous confiait, en avril, Tharcisse Karugarama, le ministre de la Justice. L’emprisonnement sera parfois abandonné au profit de peines alternatives comme les travaux d’intérêt général [TIG], sans parler des libérations conditionnelles prévues par la loi. Nos priorités sont claires : moins de prisons et de prisonniers, plus de libérations, de développement et de bonne gouvernance. Nous tenons à faire baisser les tensions et à assurer l’harmonie nationale. »

Dativa Mukanyangezi, la directrice de la Prison centrale de Kigali, symbolise presque à elle seule le tournant opéré par l’administration pénitentiaire rwandaise. Malgré le poids des responsabilités qui pèsent sur ses épaules, la jeune femme, aux manières avenantes, ne se départ jamais de son air détendu. « Une directrice de prison n’est pas un bourreau. J’appartiens à la nouvelle génération et je suis plutôt du genre cool. » En ce mercredi, jour de visite, elle est arrivée à la prison à 8 h 30, à bord d’une camionnette beige et marron. « Peut-être les futures couleurs de la prison, lance-t-elle. Mais rien n’est encore officiel. »
Dans la grande cour, tout de rose vêtus, les prisonniers vont et viennent. Ici, trois hommes, un seau à la main, arrosent des plantes. Sur leur casquette bleue et rouge, on peut lire le mot « Hygiène ». Là, un homme armé d’une houe enlève les mauvaises herbes qui poussent sur le sol rocailleux. Derrière lui, un autre détenu pousse une brouette. Dehors, des groupes de visiteurs, des femmes pour la plupart, se forment dès 8 heures. Sous l’il vigilant des surveillants, l’arme au poing, ils attendent sagement l’heure des visites, les bras chargés de provisions, les yeux rivés sur la porte de la prison. De l’intérieur du bâtiment, une voix amplifiée par un haut-parleur égrène des noms. Dans un mouvement d’ensemble, les visiteurs se précipitent sur les bancs mis à leur disposition et s’asseyent face aux leurs tout juste sortis de leur cellule. Tout sourires, ils échangent quelques mots. Coup de sifflet strident : « Aux suivants ! » Le moment des retrouvailles aura été de courte durée. Les détenus, résignés, regagnent leurs quartiers après une dernière fouille. Plus loin, d’autres condamnés travaillent le plus tranquillement du monde. Ils sont soudeurs, menuisiers, tailleurs ou encore architectes. Leurs produits, commandés le plus souvent par des particuliers, leur permettent de gagner un peu d’argent. L’autre partie des gains ira dans les caisses de la prison, dont l’avenir est encore incertain. D’aucuns évoquent une éventuelle délocalisation qui coûterait 10 millions de dollars

*Les prénoms des détenus ont été changés.

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