Drôle de rupture

Tripoli (en principe), Dakar et Libreville : c’est la dernière version en date de la tournée de Nicolas Sarkozy sur le continent. Un programme sans surprise, dominé par l’étape libyenne.

Publié le 23 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.

Les journalistes devront s’y faire : le rythme des décisions, initiatives, ordres et contre-ordres de l’agenda sarkozien relève plus de l’Internet que de l’hebdomadaire. Sous Chirac, Mitterrand et les autres, les fameux voyages présidentiels ne laissaient que très peu de place aux surprises : programme communiqué bien à l’avance, briefings circonstanciés accompagnés d’un carnet de route pour les reporters, missions de précurseurs chargés de baliser le terrain, au centimètre près, dans les capitales concernées, etc.
Depuis qu’un tourbillon s’est installé à l’Élysée, ce rituel a sombré corps et biens. Et les capacités prévisionnelles des journalistes aussi. On l’a vu avec l’étape marocaine de la tournée maghrébine, abandonnée in extremis. On le vérifie à nouveau avec la tournée subsaharienne du président français, prévue pour la semaine du 23 juillet.
Jusqu’au début de ce mois, ce voyage devait mener Nicolas Sarkozy à Dakar, Pretoria et « une capitale d’Afrique centrale à déterminer ». Vers le 5 juillet, changement d’itinéraire : le chef de l’État, confie-t-on à l’Élysée, se rendra successivement à Dakar, Accra, Kinshasa et Brazzaville. Plus question d’Afrique du Sud, mais le programme demeure séduisant.
Le week-end du 14, nouveau bouleversement : ce sera Dakar toujours, puis Libreville et « une surprise » encore confidentielle. Aux dernières nouvelles (le 20 juillet, mieux vaut dater, on ne sait jamais), la « surprise » est libyenne. Du 25 au 28 juillet, donc, la caravane présidentielle devrait, dans l’ordre, faire escale sous la tente du « Guide », au Palais de l’avenue Senghor et dans celui du Bord de mer.
C’est le jeudi 19 juillet, à 16 h 30, lors d’une réunion à l’Élysée, que Sarkozy a – définitivement ? – arrêté ce programme. Contrairement aux apparences, le président français ne prend aucun plaisir particulier à désorienter les journalistes et ses collaborateurs – d’autant que ces brusques changements d’étapes ont quelque chose d’un peu vexant pour ses homologues qui s’apprêtaient à le recevoir, et qui, déjà, calculaient le bénéfice qu’ils pouvaient en espérer en termes de politique intérieure. Simplement, Sarkozy est ainsi : il n’hésite pas à s’engager dans une direction, puis à en prendre une autre dès qu’il s’aperçoit qu’elle est plus aléatoire que prévu. La réflexion se fait en marchant, l’important étant de ne pas perdre de temps.

En l’occurrence, cette tournée africaine, qui commençait à prendre une certaine allure, a souffert de l’urgence médiatico-diplomatique du moment : la Libye et l’affaire des infirmières bulgares (voir pp. 58-61). Convaincu d’avoir un rôle à jouer dans leur libération et ayant engagé sa propre épouse dans l’aventure, très conscient également de l’intérêt commercial du marché libyen, Sarkozy a promis à Kadhafi, lors de deux conversations téléphoniques, les 17 juillet et 19 juillet, de lui rendre visite. Et imposé, dans la foulée, l’ajout de Tripoli dans le programme. Résultat : « Comme nous n’avions que trois jours au maximum à consacrer à ce voyage, nous sommes allés au plus simple et au plus court », dit-on à l’Élysée.
Quitte à décevoir ceux qui rêvaient d’une « rupture » en la matière, le président français empruntera donc un itinéraire balisé par des décennies de Françafrique. Dakar, où il s’est déjà rendu en tant que ministre de l’Intérieur et où il devrait prononcer un grand discours à l’intention de la jeunesse africaine. Et Libreville, où Omar Bongo Ondimba, longtemps écarté des projets d’itinéraires, se serait montré très insistant sur le thème : « Tu ne peux pas aller chez Wade et ne pas venir chez moi, le doyen. »
Il sera donc bien difficile de faire passer la partie subsaharienne de ce voyage pour le symbole d’une nouvelle politique africaine de la France, ouverte sur le monde anglophone, la bonne gouvernance, la résolution des conflits et le « continent qui gagne ». « Le Sénégal et le Gabon, c’est à la fois l’ancienneté des relations et l’avenir », plaide-t-on à l’Élysée, où l’on avance, à titre d’illustration, le thème de la préservation de la forêt équatoriale, qui sera abordé à Libreville.
Il n’empêche : occultée par une étape libyenne à très forte valeur médiatique et dont la teneur n’a que peu de chose à voir avec les préoccupations du reste du continent (si ce n’est le problème de l’émigration clandestine et celui du Darfour), cette première tournée présidentielle aurait mérité un « casting » plus novateur. Il faudra encore attendre, sans doute. À moins que les pesanteurs continentales n’aient déjà eu raison de l’enthousiasme de Nicolas Sarkozy

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires