Confusion des pouvoirs

Est-il sain que des hommes politiques prennent la tête d’institutions majoritairement pilotées par des hauts fonctionnaires ?

Publié le 23 juillet 2007 Lecture : 4 minutes.

Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre socialiste français des Finances et député du Val-d’Oise, débutera dans les prochains jours une tournée électorale d’un nouveau genre, en ce qu’elle sera internationale. Il visitera, a-t-il déclaré, « les grandes capitales du Nord comme du Sud pour convaincre les différentes parties prenantes du bien-fondé de [sa] candidature » au poste de directeur général du Fonds monétaire international (FMI). Il lui faudra apaiser les susceptibilités nationales et donner des garanties à tous ceux qu’un tel « parachutage » irrite.
L’actuel titulaire, l’Espagnol Rodrigo de Rato, lui aussi ancien ministre des Finances de son pays, avait annoncé le 28 juin qu’il démissionnait pour raisons familiales et qu’il quitterait son poste fin octobre, après l’assemblée annuelle du FMI. La candidature de celui que tout le monde appelle « DSK » s’est très vite imposée.
Le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker lui a conseillé de se présenter. Le président Nicolas Sarkozy a sauté sur l’occasion de réussir un coup triple : en défendant la cause de DSK au FMI, il installe un Français à la tête d’une des organisations internationales les plus prestigieuses, il éloigne de France un rival politique et il contribue à semer la zizanie au sein du Parti socialiste (PS). Quant aux vingt-sept membres de l’Union européenne (UE), ils ont pris son parti – malgré les réticences britanniques – parce que DSK a la stature pour conserver à l’Europe ce siège qu’une règle non écrite attribue à l’un de ses ressortissants en compensation du monopole américain (lui aussi non écrit) sur la présidence de la Banque mondiale.

L’une des toutes premières destinations de Strauss-Kahn, pour l’instant seul en lice, sera le Brésil, qui a soulevé des objections, mais pas à sa personne. Certes, en lançant un appel à candidature qui court jusqu’au 31 août, le FMI a promis que son « conseil d’administration prendrait en considération le ou les candidats qui auront été choisis sur la base du profil du poste défini, sans préférences géographiques ». Cela n’a pas rassuré Guido Mantega, ministre brésilien des Finances, qui a dénoncé la complicité euro-américaine pour se partager le FMI et la Banque mondiale : « Notre pays accueillerait comme un geste d’engagement en faveur de réformes effectives du FMI la désignation de futurs directeurs de cette institution sur la base de critères de mérite, de transparence et de multilatéralisme. » Il faut dire que le Brésil n’a pas encore profité de la réévaluation de son poids au sein du FMI, comme ce fut le cas pour la Chine, le Mexique, la Corée du Sud et la Turquie en septembre 2006.
Le 14 juillet, Sarkozy s’est dit prêt à accompagner DSK à Brasília tant il partage les vues que celui-ci a exprimées sur son blog, où l’on peut lire : « La période qui vient doit être celle de l’adaptation du FMI à la nouvelle donne créée par la mondialisation financière []. Il va falloir redéfinir les missions du Fonds, ainsi que la place respective des différents partenaires, notamment en donnant aux pays émergents le rôle qui leur revient. » Cette argumentation devrait vaincre bien des réticences.
Reste la question de savoir s’il est sain que des hommes politiques investissent des institutions majoritairement pilotées par des hauts fonctionnaires. Car l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Organisation mondiale de la météorologie (OMM), l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et son pendant nucléaire (AIEA), l’Office internationale des épizooties (OIE), l’Organisation mondiale des douanes (OMD), l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) ou la Banque centrale européenne (BCE) sont dirigés par des techniciens.
En revanche, les organisations les plus prestigieuses comme l’ONU, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) ou la Banque mondiale sont le plus souvent sous la responsabilité d’hommes politiques.
Ces derniers sont plus instables que les fonctionnaires. Paul Wolfowitz, obligé de démissionner le 31 juin de la présidence de la Banque mondiale pour cause de népotisme, n’est pas le seul à ne pas avoir achevé son mandat. Horst Köhler avait lui aussi démissionné du FMI prématurément, pour accéder à la présidence de la République fédérale d’Allemagne en 2006. Rodrigo de Rato quittera le FMI deux ans avant terme.
Dominique Strauss-Kahn ira-t-il au bout des cinq ans requis ? Ne sera-t-il pas rattrapé par le virus de la politique, séduit par des appels à redresser le PS ou invité à participer à la course à l’Élysée ? « Il ne faut pas opposer les hommes politiques et les techniciens, répond Alassane Ouattara, homme politique s’il en est, puisqu’il fut Premier ministre de Côte d’Ivoire, mais aussi directeur général adjoint du FMI. Pour occuper des responsabilités internationales, il est surtout indispensable d’être polyglotte, d’être capable de prendre quatre petits déjeuners, trois déjeuners et deux dîners pour faire avancer les dossiers, d’être un bon négociateur et enfin un bon économiste. »

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Même son de cloche du côté de Michel Camdessus, haut fonctionnaire français et directeur général du FMI pendant treize ans : « Il est important que l’homme placé dans des fonctions internationales sache qu’il n’est pas Dieu le Père, analyse-t-il, c’est-à-dire qu’il doit accoucher, par le dialogue, la communauté internationale d’un vouloir commun. Pour mener à bien cette tâche, l’homme politique a une plus grande expérience. »
« En revanche, poursuit-il, l’homme politique doit avoir l’humilité d’apprendre l’extrême technicité du travail, par exemple au FMI. Donc il faut porter les deux casaques, celle du politique et celle du technicien. L’essentiel est que le responsable de l’institution n’ait pas un il tourné vers son pays d’origine et un autre sur ses fonctions mondiales qui, elles, exigent 100 % de son temps. »
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