UPM : diviser pour régner

Publié le 23 juin 2008 Lecture : 3 minutes.

En rejetant avec virulence le projet d’Union pour la Méditerranée (UPM) de Nicolas Sarkozy, le 10 juin à Tripoli, Mouammar Kadhafi a usé de termes assez peu diplomatiques. Mais s’il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère – selon le tempérament qu’on lui connaît -, ses réserves au sujet de l’UPM ont trouvé un grand écho en Afrique. D’autant plus que peu de gens savent effectivement de quoi il retourne. Et pour cause ! Même la très européenne Angela Merkel n’a pas une vision très claire du projet de son homologue français. Une chose, cependant, paraît certaine : si, par le passé, l’idée d’une union autour de la Méditerranée ne s’est jamais concrétisée, le projet d’UPM pourrait ne pas connaître le même sort que ses malchanceux prédécesseurs, grâce – il faut bien le reconnaître à la combativité et au goût pour l’innovation du président français.

Lors d’un discours au Maroc en octobre 2007, celui-ci a déclaré que son projet devrait être « le fruit de tous les Méditerranéens qui rêvent de paix, qui sont pétris de tolérance et d’humanisme ». Profession de foi d’une religion aux préceptes lénifiants et inoffensifs ? Qu’on ne s’y trompe pas ! Sous des apparences consensuelles, l’UPM dissimule un projet politique redoutable. Et si nous tardons tant à en percevoir l’essence et le bien-fondé, c’est que son idéologie est aussi diffuse que peu avouable.
Certes, Sarkozy invoque au chevet de l’UPM l’unité historique et géographique de la Méditerranée. Mais peut-on oublier que cette dernière sépare plus qu’elle ne rapproche l’Europe et l’Afrique, dont les entités ne forment pas seulement deux continents séparés ? Ce sont deux mondes distincts. L’un cultivant et codifiant le rejet ; l’autre exportant sa misère. Si l’on considère, de surcroît, que l’apôtre de l’UPM et celui de l’immigration choisie ne font qu’un, il y a fort à parier que ledit projet d’union procède davantage d’une logique d’exclusion (de l’Afrique dite subsaharienne) que d’une logique d’inclusion (de l’Afrique méditerranéenne).
Aucun esprit – même le plus naïf – ne saurait en effet se satisfaire de l’argument selon lequel il est nécessaire de fédérer des économies riveraines dans un contexte de globalisation intensive, alors que les vraies angoisses de l’Europe s’appellent Microsoft et Shanghai. Le premier dégât « collatéral » de l’UPM, si elle voit le jour, concernera inévitablement l’Afrique subsaharienne. Tôt ou tard, le projet de Sarkozy révélera sa finalité : tout en favorisant la fuite des cerveaux du Sud, il vise à constituer une sorte de grande muraille éloignant d’au moins deux mille kilomètres Ceuta et Melilla des côtes européennes. Les vagues désespérées des migrants sénégalais, maliens, nigériens, camerounais, se feront ainsi refouler manu militari sur le continent par des Africains, loin des caméras et des frontières aseptisées de l’Occident.

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Autrement dit, il ne suffit plus que le visa biométrique et le test ADN éloignent deux continents qui, malgré toutes leurs différences, partagent des monuments humains tels que Avicenne ou Averroès et ne sont séparés que par quinze petits kilomètres. Il faut maintenant que la phobie sécuritaire, déclinée en projets phares, ramène l’Union africaine en arrière, à un stade que nous croyions dépassé : celui de la simple ligue d’États noirs. L’UPM servirait ainsi à scinder l’Afrique dite noire du Maghreb. Quant à ce dernier, s’il accepte la stratégie de « containment » du reste de l’Afrique résultant de la mise en oeuvre du projet sarkozien, il ne perd rien pour attendre et sera certainement la prochaine victime de l’Europe. Les statistiques le prouvent amplement : l’immigration maghrébine en Europe dépasse largement celle des pays d’Afrique subsaharienne.
Mais, surtout, c’est l’intégration africaine que le projet d’UPM pourrait gravement mettre en péril. Or, sans elle, l’Afrique n’a pas d’avenir. Pas plus que l’Europe. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler ici la question posée par Alpha Oumar Konaré lorsqu’il était président de la Commission de l’Union africaine : « Quel visa pourrait, demain, dissuader plus de 1 milliard de jeunes ne gagnant même pas 1 dollar par jour de prendre le chemin de l’exil ? »

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