Un diplôme = un boulot ?
Premières victimes du chômage : les jeunes. Parmi eux, les plus touchés sont ceux qui ont quitté l’école trop tôt, rejoints dans leur galère par le contingent des désabusés de l’enseignement supérieur. Que faire pour qu’ils puissent se mettre au travail ?
De plus en plus de jeunes poursuivent des études, et le nombre de nouveaux diplômés est passé en dix ans de 121 800 en 1997 à 336 000 en 2007, venant grossir les rangs des 60 % de demandeurs d’emploi diplômés du supérieur. En outre, quand ces derniers trouvent du travail, il s’agit souvent de postes subalternes, mal rémunérés et en contrat à durée déterminée – quand il y a contratÂ. Ce constat se vérifie dans la plupart des pays du pourtour méditerranéen, européens compris, où la quête d’une meilleure adéquation entre l’offre de formation et les besoins du marché du travail est au coeur des préoccupations. À cet égard, le diagnostic de la commission « Éducation, Formation et Emploi » nommée par les autorités tunisiennes à l’occasion de la Consultation nationale pour l’emploi – qui vient d’être lancée (voir « Repères », p.71) – ne révèle rien d’inédit. En revanche, les travaux qu’elle a d’ores et déjà menés permettent de mieux identifier les caractéristiques, les faiblesses et les besoins du secteur.
Un savoir-faire plutôt que le savoir tout court
Certes, l’éducation reste la voie royale qui mène à l’emploi, et les Tunisiens, comme beaucoup d’autres, continuaient de croire qu’un diplôme universitaire garantissait l’accès au travail. Aux efforts actuels relatifs à l’emploi des diplômés s’ajoute une volonté pressante de la part de l’opinion publique pour que la priorité soit donnée à la politique éducative, confortant l’image d’un pays qui s’est toujours enorgueilli de mieux doter son ministère de l’Éducation (20,8 % du budget de l’État) que celui de la Défense.
La corrélation diplôme-travail fut réelle jusqu’au début des années 1980, puis « les chemins respectifs du système éducatif et du marché de l’emploi ont commencé à se séparer », souligne le rapport de la commission. Cette évolution n’a fort heureusement pas remis en question la place primordiale donnée à l’éducation. Cependant, les aspirations des Tunisiens se déplaçant vers des impératifs d’emploi, les missions du système éducatif ont été redéfinies avec, pour finalité, le métier davantage que le savoir. En 1998, tenant compte de cette nouvelle hiérarchie, la Conférence sur l’emploi s’est engagée, à travers la « Déclaration nationale pour l’emploi », à multiplier les efforts pour que la problématique des débouchés se pose très tôt en amont et plus seulement en fin de cursus. Ainsi, au début des années 2000, le slogan « L’emploi pour tous prime » a mis l’accent sur les formations professionnelles, la tendance étant désormais de rapprocher le monde académique de celui de l’entreprise et du marché du travail. C’est dans cet esprit que seront lancés le Fonds 21-21, l’Observatoire national de l’emploi et des qualifications, ainsi que l’Observatoire de la jeunesse.
Aucune filière n’est épargnée
Il n’empêche. L’enquête réalisée à la fin de 2005 par le ministère de l’Emploi et la Banque mondiale montre que si les jeunes déscolarisés, dont le nombre s’élevaient à 80 000 en 2003 (59 000 ayant quitté l’école entre 12 et 16 ans), restent les plus touchés par le chômage, les diplômés de l’enseignement supérieur les talonnent désormais dans cette galère : 70 000 d’entre eux sont sans emploi, dont 40 000 issus des filières du tertiaire (économie, finances, droit), avec un taux de chômage record de 68 % pour les titulaires de maîtrise en droit. Pour les filières techniques, alors que l’agronomie et l’agroalimentaire sont en plein essor, les spécialités qui leur sont liées affichent des taux de chômage extrêmement élevés : plus de 70 % pour les techniciens et 31 % pour les ingénieurs (alors qu’il n’est que de 10 % pour le total des jeunes ingénieurs). Quant aux diplômés des filières courtes, pourtant réputées avoir une plus forte employabilité, ils sont les plus exposés.
De l’urgence d’intégrer la culture du risque
Des comparaisons internationales réalisées en 2003 et 2006 par la Banque mondiale révèlent la faiblesse du niveau des jeunes Tunisiens dans la maîtrise des langues française et anglaise (qui décourage les entreprises à les recruter comme cadres supérieurs) ainsi que le manque d’adéquation entre les connaissances acquises et les compétences requises par le monde économique. Très bien notée quant à l’alphabétisation, à l’accès à l’éducation (en particulier en matière d’égalité) et à sa qualité, la Tunisie arrive en revanche loin derrière les pays à niveau de développement similaire sur les critères d’efficacité et d’adéquation des formations avec le marché du travail.
La commission Emploi pointe également dans son rapport la peur du risque et le déficit d’esprit d’entreprise qui règne dans le milieu académique. Elle déplore le manque de passerelles entre l’université et l’entreprise, concluant, à l’instar de ses homologues du sud de l’Europe (notamment le Portugal et la France) que le problème n’est pas d’avoir trop de diplômés – car le pays en a besoin ; il est d’avoir pléthore de diplômés sans débouchés. Car, malgré leur cursus, ils ne sont pas « prêts à l’emploi »Â
Afin de combler cet écueil, le rapport préconise la formation d’experts qualifiés pour que les étudiants acquièrent une expertise professionnelle qui soit validée par des certificats reconnus mondialement. Il recommande aussi la création de passerelles entre l’université et les professionnels des différents secteurs économiques, afin d’apprendre aux diplômés la réalité des métiers auxquels ils aspirent. Une pédagogie plus opérationnelle devra être intégrée dans les cursus, et des formations construites conjointement par les universitaires et les professionnels devraient améliorer l’employabilité des diplômés et assurer une meilleure adéquation entre l’offre de formation et les besoins du marché du travail. Chaque université devrait par ailleurs adopter une stratégie de communication à l’intention des étudiants et des entreprises de façon à asseoir son identité propre et à rendre plus lisibles ses spécificités. Enfin, la commission propose que chaque région ait l’opportunité d’élaborer un « Schéma régional de développement des ressources humaines », piloté par les acteurs économiques du territoire.
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