Tintin à Dakar
Dans plusieurs ouvrages, des universitaires dénoncent le regard du président français sur l’Afrique.
« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. » Cette perle, chacun s’en souvient, est extraite du désormais célèbre discours de Nicolas Sarkozy à Dakar le 26 juillet 2007. Si Jeune Afrique avait manifesté à l’époque sa stupéfaction (voir J.A. du 5 août 2007), cette homélie censée exprimer le nouveau regard de la France sur l’Afrique, mais qu’on aurait pu croire prononcée lors d’une exposition coloniale au début du XXe siècle, était passée relativement inaperçue des médias hexagonaux.
Au sud du Sahara, en revanche, cette allocution pétrie d’essentialisme a été reçue comme une insulte, et plusieurs livres s’en sont fait l’écho au début de l’année(*). Dans L’Afrique répond à Sarkozy, notamment, une pléiade d’intellectuels du continent ont passé au crible un texte qui s’apparente à une incompréhensible provocation.
Passé le temps de l’indignation, c’est à celui de la réflexion qu’invite un autre ouvrage collectif qui paraît aujourd’hui aux éditions Karthala. Cinq historiens et politologues – Jean-Pierre Chrétien, Jean-François Bayart, Achille Mbembe, Pierre Boilley et Ibrahima Thioub – s’attachent à décrypter ce qu’ils appellent un déni d’histoire. La pensée coloniale a la vie dure, rappellent-ils : avant l’arrivée des Européens, il ne se serait rien passé Même si l’humanité est née en Afrique. Même si l’archéologie montre, par exemple, que les paysages dits « naturels » ont été progressivement façonnés par l’homme depuis des millénaires. Même si de grands États se sont construits au fil des siècles, etc.
Comme le souligne Jean-Pierre Chrétien, les propos (pour ne pas dire les fadaises) de Sarkozy seraient au fond insignifiants s’ils n’étaient l’expression du racisme latent des Français. Et surtout de leur ignorance crasse des réalités de l’Afrique. Ce qui n’est guère étonnant quand l’on sait que ce continent est absent de leurs programmes scolaires. S’ils étaient mieux informés, ils sauraient que les sociétés africaines n’ont été ni plus stables ni plus « immobiles » que celles du Nord, malgré les rêves traditionalistes qui semblent hanter certain « nègre » de leur président.
* L’Afrique répond à Sarkozy. Contre le discours de Dakar, sous la direction de Makhily Gassama, éditions Philippe Rey, 480 pages, 19,80 euros.
Nicolas Sarkozy à Dakar. Débats et enjeux autour d’un discours, d’André Julien Mbem, éditions L’Harmattan, 114 pages, 11,50 euros.
L’Afrique humiliée, d’Aminata Traoré, éditions Fayard, 294 pages, 18 euros.
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