Roellinger, un étonnant voyageur

Le grand chef français remet les épices au goût du jour pour pimenter ses plats et invente une cuisine qui doit beaucoup aux autres continents.

Publié le 23 juin 2008 Lecture : 3 minutes.

Quand un cuisinier quitte ses fourneaux pour aller butiner aux quatre coins du monde, c’est que l’heure est venue d’aller se ressourcer. Olivier Roellinger sait, malgré ses trois étoiles Michelin et sa réputation de grand chef, qu’il est condamné à créer, toujours créer. Alors il quitte Cancale (en Bretagne) et ses Maisons de Bricourt, part en direction de Madagascar percer une nouvelle fois les mystères de la vanille, repart au Vietnam élucider l’élevage bien particulier des crevettes, puis au Japon vérifier si la manière de pêcher le thon n’est pas, au fond de l’assiette, la clé de sa qualité. Il revient quelque mois plus tard au Sénégal pour les mêmes raisons.
Ainsi va la vie d’Olivier Roellinger, cuisinier depuis l’âge de 24 ans, respectueux à souhait des produits de la mer et inconsolable personnage en quête constante du bonheur des autres. Mais c’est l’épicier qui ici modèle le cuisinier. Quand, dans les années 1970, il lit une thèse d’un de ses copains et qu’il y découvre l’existence d’un stock de quatorze épices entreposé à Saint-Malo, il se replonge dans l’histoire de la Compagnie des Indes puis décide qu’il sera cuisinier épicier.
Alors il fouine, tend l’oreille, lit des vieux bouquins, se laisse embarquer dans ceux de l’abbé Raynal, qui, en 1770, publie dans son ouvrage sur le commerce des Européens en Asie quelques chapitres consacrés aux épices. Le voilà littéralement envoûté par le commerce colonial et tout ce qu’il charrie de cacao, de camphre, de gingembre, de muscade, de cannelle, de poivre et de café.
Voyages et saveurs dans l’assiette, voilà son destin. De quoi rassasier le cuisinier poète et ses milliers de clients qui, depuis trente ans, accourent à l’embouchure de la Rance pour se sustenter. Pour en arriver là – savoir marier épices, poissons et crustacés -, il faut aller chercher les mystères là depuis des millénaires les hommes ont fait un pacte avec la nature. C’est sa porte d’entrée pour lire le monde autrement. « Soyons honnêtes, se plaît-il à dire, c’est la colonisation qui a réhabilité les épices. »
Depuis qu’il court les continents, Roellinger relativise. Lui qui croyait que ses copains pêcheurs bretons étaient les meilleurs, il constate qu’au Japon les mêmes respectent autrement le poisson. « On ne peut pas tuer n’importe comment la vie marine sans conséquence. Il faut aimer ce que l’on pêche, sacrifier aux rites ancestraux si besoin est. C’est le prix à payer pour tirer le meilleur et proposer une bonne cuisine. »
À Madagascar, il fuit la ville pour aller se perdre dans les campagnes. « C’est là que la vanille fomente son mystère. Quand je vois la manière dont les Malgaches échaudent les gousses, conte-t-il, les placent délicatement sous des couvertures, attendent de les voir fermenter, que les femmes aux mains expertes les lissent trente fois de suite silencieusement, je suis en lévitation. »
On le croit volontiers, tellement cet homme ne semble jamais lassé du génie de ses pairs. Sauf quand il prend conscience que le monde que nous fabriquons est aux antipodes du sien. « Comment voulez-vous que j’aille en Afrique la conscience tranquille quand le seul souci des populations est de trouver à manger ? Je fais alors de mon mieux, avec les épices, pour trouver un commerce équitable. Chacun y trouve son compte. »
Son angoisse, car il en a une : voir les multinationales de l’alimentation s’approprier le vivant et tuer les traditions par le commerce productiviste mondialisé. Mais le cuisinier de Cancale sait que la seule manière de la contrarier c’est de continuer tranquillement à cultiver sa différence, même dans l’indifférence de ceux qui le regardent de haut, ou le jalousent.

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