Retour au bercail
Le gouvernement organise depuis janvier, en partenariat avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le rapatriement et la réinsertion de milliers de Négro-Mauritaniens exilés au Sénégal depuis 1989. Un pas de géant sur la voie de
« La Mauritanie accueille à bras ouverts ses filles et ses fils qui ont regagné leur pays et attend impatiemment le retour de ceux qui demeurent à l’extérieur de la patrie. » Ces propos fédérateurs ont été tenus par le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi alors qu’il rencontrait, le 6 mai, les premiers rapatriés négro-mauritaniens sur la route de Rosso, celle-là même qu’ils avaient massivement empruntée il y a dix-neuf ans, en 1989, pour fuir les exactions et les vexations dont ils étaient victimes (retrait des papiers d’identité, exclusion de la fonction publique, confiscation des biens, violences en tout genreÂ). Entre 50 000 et 80 000 d’entre eux se réfugièrent ainsi au Sénégal et au Mali voisins.
La nécessité d’éponger ce « passif humanitaire » sera au coeur de tous les discours du candidat et futur chef de l’État Sidi Ould Cheikh Abdallahi : « La Mauritanie ne se réconciliera jamais avec elle-même tant qu’une partie de ses fils continuera à souffrir d’injustice. La Mauritanie appartient à tous les Mauritaniens, qu’ils soient noirs ou blancs, maures, soninkés, wolofs, bambaras ou poulars. Alors, tous devront se retrouver sous le même toit, pour bâtir une nation forte. » De ces propos émanent une profonde conviction et la promesse de venir à bout de tout ce qui pourrait miner ou altérer l’unité du peuple mauritanien. Une fois élu, au printemps 2007, Sidi Ould Cheikh Abdallahi lance le train des réformes. Des cellules interministérielles planchent sur les urgences. Parmi elles, la mise en place d’une structure spéciale pour s’occuper du retour des déportés et réfugiés. Le 2 janvier 2008, l’Agence nationale d’appui et d’insertion des réfugiés (Anair) voit le jour par décret présidentiel. Dotée d’un budget de 2 milliards d’ouguiyas (5,5 millions d’euros), elle est confiée à Moussa Fall, un homme dont la moralité est saluée par toute la classe politique.
Un suivi quotidien
L’Anair suit au quotidien l’évolution de la situation et rend compte directement au président de la République : « Notre mission générale, explique Moussa Fall, est d’assurer l’insertion des réfugiés une fois qu’ils sont sur le territoire mauritanien. Nous accordons notre appui aux administrations et aux commissions en charge de l’identification des sites d’accueil. Dès leur retour et leur installation, nous nous employons à faciliter leur insertion dans le tissu économique et social de leurs zones d’établissement. » C’est la commission tripartite, composée des gouvernements de Mauritanie et du Sénégal ainsi que du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui, dès novembre dernier, a décidé d’organiser le rapatriement volontaire et la réintégration des réfugiés. Cependant, si la mesure est saluée en ce qu’elle permet le retour au pays de milliers de Mauritaniens, la stratégie divise. « Pour nous, dit Tabara Bâ, secrétaire aux droits de l’homme de l’Alliance pour la justice et la démocratie (AJD/MR), cette volonté d’organiser les choses entre États avec quelques officines nous semble très suspecte. Nous trouvions notamment inadmissible qu’on veuille résoudre le problème des réfugiés sans y associer les principaux concernés. Du coup, la sensibilisation concernant le retour a eu une portée limitée : étant dans leur quasi-totalité des nomades, les déportés n’ont pas suffisamment été touchés, et ceux qu’on a approchés n’ont eu aucune information quant à leurs conditions d’installation une fois rentrés. » Et la question du retour des exilés de tourner à nouveau au débat politique. Mais une chose est sûre, c’est que beaucoup d’entre eux n’aspirent qu’à regagner leur patrie.
C’est ainsi que, le 29 janvier 2008, le premier contingent de rapatriés est arrivé à Rosso (au sud du pays, près de la frontière avec le Sénégal). Fin du calvaire pour 101 personnes fêtées en véritables héros. « Je suis heureuse d’être rentrée, témoigne Aminata Bâ, 43 ans. Ma joie est grande de retrouver cette nation. Mon grand regret est que mon père et ma mère, décédés quand nous étions en exil, ne sont plus parmi nous, eux qui ne cessaient de nous murmurer Âle Sénégal n’est pas votre patrieÂ. » Plusieurs familles sont installées dans les sites de rapatriés tels que PK6, Keur Madiké et Médina Salam, où un nouveau camp est en construction. À ce jour, l’Anair a supervisé le retour d’une quinzaine de contingents. Après le Trarza (dans le Sud-Ouest), avec Rosso comme point de passage, les arrivées, qui se font désormais tous les lundis et jeudis, se sont étendues au Brakna (également dans le Sud-Ouest), où les villes de Boghé, Dar Salam et Houdallaye accueillent de nouveaux arrivants.
Mission d’inspection
Avant d’ouvrir d’autres camps dans les régions voisines du Gorgol et du Guidimakha, une mission de l’Anair, accompagnée d’une délégation de la Banque mondiale, sillonne ceux du Trarza et du Brakna depuis le 15 mai pour s’enquérir des conditions de vie des rapatriés et de la manière dont se déroule leur réinsertion dans le tissu socio-économique. La plupart d’entre eux sont soit agriculteurs soit éleveurs. Cette mission d’inspection sur les sites des rapatriés des acteurs administratifs et de la Banque mondiale doit permettre de mesurer les besoins et d’identifier les nouveaux appuis financiers nécessaires. D’autant que l’on avance vers la saison des pluies et que l’hivernage est pour bientôt.
Pour ce qui est des activités agropastorales, priorité sera donnée à l’amélioration des cultures sous pluie par l’utilisation de multiculteurs à traction asine et à la mise en place d’une clôture d’environ 100 hectares par famille. L’Anair, qui a constaté de sérieux problèmes en matière d’approvisionnement en eau potable, prévoit une enveloppe de 70 milliards d’ouguiyas (190 millions d’euros) pour y remédier. « Il est également impératif, dit un proche du dossier, de revoir les infrastructures sanitaires. Celles qui ont été installées sont loin d’être opérationnelles. Il ne s’agit pas de tirer dans les pattes du HCR, mais ses services sont loin d’être suffisants. Rations alimentaires incomplètes, bâches de fortune pour des régions de canicule, latrines hors usage » Aux dotations prévues par le HCR, l’Anair ajoute la mise à disposition de 1 vache pour tout foyer de 1 à 3 personnes, de 2 vaches pour ceux de 4 à 8 personnes et, au-delà, de 3 vaches. Elle réhabilitera aussi certains forages et fournira aux femmes du matériel de peinture et de couture.
Mais certains problèmes complexes demeurent, qui nécessitent beaucoup de diplomatie et de patience. C’est pourquoi, en arrivant le 6 mai à Rosso, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi s’est empressé de déclarer : « À nos frères et sÂurs rapatriés, je demande de régler les questions foncières de façon bilatérale avec les frères qui étaient là avant », appelant à l’indulgence de part et d’autre. « Des terres, des maisons ont été illégalement occupées ou vendues, explique Idrissa Tall. Et seul un dialogue serein permettra d’aboutir à une solution réfléchie. Il ne faudra pas refuser les bons offices de l’administration ou des sages des villages. Quand une maison ou un champ ne peuvent être récupérés parce que le nouvel occupant y a, lui aussi, investi, l’ancien propriétaire doit pouvoir prendre sur lui et admettre qu’on puisse lui offrir un autre bien en nature, un terrain de substitution, ou de l’argent. Sinon il sera difficile de s’en sortir dans certains cas. »
Entre le début de janvier et le 3 juin, 3 798 Négro-Mauritaniens étaient rentrés du Sénégal. Quant aux réfugiés vivant au Mali, c’est toujours le stand-by. Leur identification, qui devait être menée par le HCR, n’a pas encore commencéÂ
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