Reconquête économique des territoires

Traditionnellement attachés aux zones urbaines du littoral, les investisseurs s’en éloignent pour s’implanter à l’intérieur du pays. Avec à la clé la création de milliers d’emplois.

Publié le 23 juin 2008 Lecture : 5 minutes.

Le mouvement amorcé depuis quelques années s’intensifie. Pour les quatre premiers mois de 2008, les investissements déclarés dans les régions de l’intérieur ont fait un bond de 88 % dans l’industrie et de 98 % dans les services par rapport à la même période en 2007. « Une dynamique est en train de se développer, et l’année 2007 marque un vrai démarrage de la migration des investissements directs étrangers (IDE) vers les régions de l’intérieur, nous confirme Mongia Khemiri, directrice générale de l’Agence de promotion de l’investissement extérieur (Fipa). Depuis quatre ans, nous avons enregistré un intérêt accru des investisseurs et, aujourd’hui, les entreprises porteuses de projets d’IDE dans ces régions déclarent un total de 17 000 nouveaux emplois. »
Depuis la fin de 2007, les exemples de projets initiés par de grands groupes internationaux spécialisés dans le câblage pour le secteur automobile se multiplient dans les zones de développement régional. Surtout dans les régions traditionnellement agricoles du Nord-Ouest. L’allemand Koroplast a choisi Le Kef pour y implanter une nouvelle câblerie de 17 millions d’euros, avec à la clé 2 000 nouveaux emplois. Le câbleur japonais Yazaki vient, quant à lui, de signer pour la création d’une usine, prévoyant la création de 1 900 postes de travail en 2009. Un peu plus au nord, à Jendouba, son compatriote et concurrent Sumitomo est également à pied d’Âuvre pour l’implantation d’une unité : un investissement de 20 millions d’euros, qui devrait générer 3 500 emplois. À Béja, le câbleur allemand Kromberg & Schubert prépare lui aussi son installation, avec un investissement de 20 millions d’euros et la création de 5 000 emplois. Les activités de câblage pour le secteur automobile gagnent également Kairouan où, au début de novembre 2007, le groupe sud-coréen Yura Corporation a ouvert une usine, pour un montant investi de 15 millions d’euros et 700 emplois créés au démarrage – 3 000 prévus à moyen terme.
« Signe de satisfaction et d’une volonté de pérennisation », ainsi que s’en réjouit Mongia Khemiri, d’autres groupes, implantés depuis de nombreuses années sur le littoral tunisien, sont en train d’ouvrir de nouveaux sites dans les zones de développement régional. L’exemple le plus significatif est celui de Benetton, spécialiste mondial du textile et du prêt-à-porter, implanté à Monastir depuis 1995, où il a créé 400 emplois directs et 7 000 indirects. L’an dernier, la production de Benetton en Tunisie a contribué à hauteur de 25 % au chiffre d’affaires mondial du groupe. En mars 2008, afin d’accroître ses capacités de production, il a créé une plate-forme à Kasserine, l’une des régions les plus pauvres dans l’arrière-pays : la nouvelle unité, qui s’étend sur 15 000 m2 et emploie 55 personnes, représente un investissement de quelque 20 millions d’euros. Fait encore plus original : depuis 2006, le groupe a développé un partenariat avec de jeunes promoteurs tunisiens, qui a permis à ces derniers de créer 23 unités de production à Kasserine, représentant 2 400 nouveaux emplois, pour un investissement total de 4,5 millions de dinars (2,5 millions d’euros). Benetton a financé 50 % de l’investissement réalisé pour chacune des 23 unités, sous forme d’un crédit à taux d’intérêt zéro. Autre exemple, autre région, autre activité : à Ennadhour, dans le gouvernorat de Zaghouan, la société suisse Chama (groupe Rieker) a démarré la fabrication de chaussures pour un investissement de 11 millions de dinars (6 millions d’euros), créant 160 emplois.

Un maillage plus équilibré des infrastructures
Comment expliquer cette attractivité plutôt soudaine ? Jusqu’à présent, 88 % des 2 840 entreprises étrangères opérant en Tunisie avaient choisi, pour des raisons évidentes, de s’implanter dans les régions proches du littoral, où se concentraient les infrastructures adéquates pour leurs activités. Mais les investisseurs recherchent toujours des conditions plus favorables à leurs activités et savent repérer à temps les opportunités, qui peuvent les inciter à changer de stratégie d’implantation. C’est le cas en Tunisie. D’abord, les infrastructures de télécommunications, notamment les nouvelles technologies en matière de téléphonie de nouvelle génération et d’Internet haut débit, ont radicalement changé la donne : une entreprise peut désormais communiquer en temps réel et d’une manière autonome avec le monde extérieur, où qu’elle soit dans le pays, et même dans les régions les plus reculées. Ensuite, pour la logistique, les infrastructures de transport terrestre, aérien et maritime se sont considérablement développées. Le réseau routier a été modernisé et étendu avec, notamment, la mise en service de nouveaux tronçons d’autoroutes et l’amélioration des routes nationales. Les infra­structures aéroportuaires et portuaires se sont multipliées, facilitant la desserte des régions de l’intérieur, ce d’autant que la largeur du pays n’est, à son maximum, que de 300 km.
Un autre facteur de cette nouvelle attractivité tient aux ressources humaines des régions, qui apparaissent désormais clairement pour les investisseurs comme des réservoirs de main-d’oeuvre et de techniciens supérieurs. Le système éducatif couvre en effet l’ensemble du pays, jusque dans les coins les plus reculés, et s’est considérablement renforcé ces dernières années avec l’implantation d’universités dans toutes les régions, la présence d’instituts supérieurs technologiques dans tous les gouvernorats (préfectures), et des centres de formation professionnelle dans la quasi-totalité des agglomérations du pays.

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Opération séduction
Ces évolutions sont aussi le résultat d’une politique gouvernementale qui ne cesse d’encourager les investisseurs, nationaux et étrangers, à s’implanter dans les zones prioritaires de développement régional, souligne Mongia Khemiri. Elle rappelle qu’« assurer un développement équilibré dans toutes les régions est l’une des grandes orientations des plans de développement économique et social ». Certes, chaque région a ses spécificités. Le tourisme est plutôt balnéaire et, donc, concentré sur le littoral est, les régions du Nord-Ouest ont jusqu’alors développé leur économie autour de l’agriculture, alors que le Sahel est plus traditionnellement tourné vers le textile. Désormais, l’accent est mis sur les régions de l’ouest du pays, du nord au sud, qui n’ont jusqu’à présent pas eu autant de chances que celles du littoral, pour que leur économie se renforce et se diversifie. « Dans cet effort, rappelle Mongia Khemiri, les IDE viennent en complément de l’effort national en matière d’investissement. Pour notre part, à la Fipa, nous nous attelons à encourager les investisseurs étrangers à aller vers l’intérieur du pays, en valorisant les spécificités et les atouts des zones de développement régional et, surtout, en faisant valoir les nombreux avantages, notamment fiscaux, accordés par l’État aux investissements dans ces zones prioritaires. Et, comme on dit, la mayonnaise a pris. »

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