Omar Ben Mahmoud « Un bond de plusieurs siècles en quinze ans »

Les zones très défavorisées seraient presque entièrement résorbées. Qui sont les pauvres aujourd’hui, où vivent-ils et quels sont leurs besoins ? Bilan et explications avec le secrétaire d’État chargé du Fonds de solidarité nationale.

Publié le 23 juin 2008 Lecture : 4 minutes.

Économiste et universitaire, Omar Ben Mahmoud a quitté le Mouvement des démocrates socialistes (MDS, opposition), dont il était l’un des dirigeants, pour se consacrer à son métier de banquier. Jusqu’à ce que le président Ben Ali l’appelle au service de l’État. Il a été notamment gouverneur de Tunis et, depuis cinq ans, il est à la tête du Fonds de solidarité nationale (FSN), alias « Fonds 26-26 ». Cheville ouvrière de l’État dans la lutte contre la pauvreté, le FSN a pour mission d’améliorer les conditions de vie dans les zones les plus démunies. De 6,2 % en 1994, le pourcentage de Tunisiens vivant en dessous du niveau de pauvreté (fixé par les standards internationaux à 1 dollar par jour) serait tombé à 3,8 % en 2008, soit 408 000 personnes ce qui est toujours 408 000 de trop. On ne peut cependant reprocher à l’État de n’être pas pleinement engagé dans le social : outre le Fonds 26-26, dont la dotation est d’environ 0,1 % du produit intérieur brut (PIB), le pays y investit en effet plus de 20 % de son PIB. Et de constater que, bénéficiant largement de ces dépenses publiques, le niveau et la qualité de vie de la majorité des Tunisiens sont désormais indéniablement plus élevés que dans les pays voisins.

Jeune Afrique : Lorsque le FSN a été créé, il avait pour mission de résorber les « zones d’ombre », celles qui ne disposaient pas des commodités de base. Qu’en est-il quinze ans après ?
Omar Ben Mahmoud : On peut dire que nous n’avons pratiquement plus de zones d’ombre. En tout cas pas telles qu’elles étaient il y a quinze ans. À l’époque, pour y accéder, il fallait parfois y aller à dos de mulet tant elles étaient isolées. Aujourd’hui, franchement, le paysage est totalement transformé, car de l’extrême Nord à l’extrême Sud, d’Est en Ouest, on ne voit plus une telle pauvreté. Les enfants mal habillés, pieds nus et avec le nez qui coule sont aujourd’hui propres, bien vêtus et ont leur chance dans la vie : aller à l’école comme les autres enfantsÂ

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Dans combien de zones le Fonds est-il intervenu et que reste-t-il à faire ?
On comptait 1 150 zones d’ombre au démarrage du FSN et nous sommes finalement intervenus dans 1 817 zones, donc plus que prévu. C’est que, au départ, l’un des critères conditionnant notre intervention était que la zone d’ombre devait regrouper au moins 26 familles. Maintenant, on est plus regardant et les besoins sont plus qualitatifs que quantitatifs. Dans les écoles, par exemple, on intervient pour créer des cantines, une salle d’informatique. Concernant l’accès à l’eau potable, il est actuellement de 92 %, et nous rapprochons un peu plus les points d’eau des 8 % restants. En matière de logement, de routes et pistes, d’électrification, d’eau potable, de sources de revenus (jusqu’en 2000), d’écoles, de centres de santé, nos interventions ont profité à plus de 250 000 familles, soit près de 1,3 million de Tunisiens, représentant environ 12,5 % de la population du pays. Nous avons par exemple remplacé l’ensemble des logements rudimentaires recensés en 2000 dans le pays. Le taux d’électrification rurale a été porté à 98,7 %, taux devenu pratiquement incompressible. Nous avons construit 4 538 km de routes et pistes. Dans les zones d’ombre, les gens vivaient en marge de la civilisation. Avec la solidarité, ils ont fait un bond de plusieurs siècles.

Quelles sont les priorités aujourd’hui ?
Pour la période 2007-2009, nous mettons l’accent sur la promotion des quartiers populaires autour de la capitale et des autres grandes villes. Bien entendu, nous agissons en complément des programmes qu’entreprennent les autres ministères en évitant le double emploi.

Qu’avez-vous fait en matière de création de sources de revenus ?
Nous en avons créé 61 499 jusqu’en 2000, année où la Banque tunisienne de solidarité (BTS) (voir p. 72), au capital de laquelle nous avons participé, a pris notre relève en ce domaine. Notre système de solidarité, outre le FSN et la BTS, comprend un autre mécanisme qui est le Fonds national de l’emploi, dit Fonds 21-21.

Combien avez-vous dépensé depuis quinze ans, d’où proviennent vos ressources et comment sont-elles gérées ?
Nous avons investi 857 millions de dinars pour nos interventions dans les 1 817 zones d’ombre. Nos ressources sont utilisées dans la transparence la plus totale et leur gestion obéit aux règles de la comptabilité publique et aux procédures de contrôle relatives à la gestion des deniers publics. Les fonds sont débloqués projet par projet auprès des conseils régionaux qui gèrent ces budgets. La passation des marchés par ces conseils est soumise à un contrôle a priori et a posteriori. Le FSN assure le suivi et la mise en Âuvre des projets.
En ce qui concerne nos ressources, de 1993 à 2007, elles provenaient à 50 % d’une subvention budgétaire et à 50 % des contributions des citoyens, collectées lors de la journée de solidarité nationale, chaque 8 décembre, en plus des concours de la coopération internationale (Luxembourg et Belgique). Désormais, toutes nos ressources proviennent des contributions volontaires des entreprises et des particuliers, et ce budget pour 2008 est de 37 millions de dinars. D’une manière générale, les deux tiers de notre budget sont investis dans les régions de l’Ouest et de l’intérieur du pays, et le tiers restant dans les régions littorales, à l’Est. Le FSN fonctionne avec un effectif de 11 personnes qui s’appuient sur les administrations régionales et locales, et aucune dépense – pas même les cafés – n’est prélevée sur les ressources collectées ou qui lui sont affectées.

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L’expérience du FSN semble intéresser d’autres paysÂ
Oui, dans le cadre de la coopération bilatérale, nous avons été sollicités pour mener les études et apporter notre appui technique et en compétences à plusieurs pays. C’est ainsi que nous avons contribué à la mise en place de fonds similaires au Mali, au Sénégal, au Burkina et à Djibouti. D’autres pays africains sont intéressés, comme l’Afrique du Sud et la République démocratique du Congo.

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