L’émigré, cette vache à lait

La plupart des Africains installés en Europe envoient les trois quarts de leur salaire au pays. Gaston-Paul Effa brise ce tabou dans un roman qui évoque le poids de la famille.

Publié le 23 juin 2008 Lecture : 2 minutes.

Comment se nourrir de traditions et aspirer à la liberté ? C’est la question que pose l’écrivain Gaston-Paul Effa dans son dernier ouvrage Nous, enfants de la tradition (éditions Anne Carrière). À travers le personnage principal du livre, Osele, ingénieur camerounais vivant à Paris, Effa expose l’écartèlement culturel dont sont victimes la plupart des immigrés africains vivant en Europe.
Marié à une Française, père de deux enfants, Osele se partage entre son foyer et les bureaux de Western Union d’où il envoie la quasi-totalité de son salaire à sa famille restée en Afrique. Et quelle famille ! Aîné de trente-trois enfants, il est un peu la vache à lait de toute cette parentèle. Mariage, enterrement ou problèmes de santé, il incarne le salut. L’être qui résout les maux d’argent comme les maux tout court, par la grâce des billets de banque. Et ce malgré les colères récurrentes de sa femme, Hélène, qui n’en peut plus de ces sollicitations incessantes.

Un lourd héritage
Lasse de voir le salaire de son mari aller systématiquement garnir les poches d’autres personnes au détriment du confort de ses propres enfants, elle le met un beau jour à la porte. Osele se retrouve alors entre les murs glauques d’un foyer pour immigrés où marabouts, vendeurs à la sauvette et joueurs de djembé mènent une existence de misère sous le joug de Western Union. Comme lui, ils envoient les trois quarts de leurs revenus au bled. « J’ai la sensation précise de vivre l’abandon, de tout abandonner à ma famille africaine, de tout donner. [Â] Apparemment, je suis très loin du monde, mais en réalité, dans le fond obscur de mon âme, je rêve aux mandats que je vais envoyer chez moi et à ce qu’ils vont en faire : payer les scolarités, soigner les rhumatismes, les paludismes, les diarrhées, panser les plaies, habiller les morts J’ai dans le cerveau un écheveau inépuisable dont je ne fais que tirer et dérouler le fil. »
Ces propos, qui sont ceux du héros de Gaston-Paul Effa, illustrent parfaitement l’état d’esprit de nombre d’exilés africains dont le salaire traverse les frontières pour faire vivre la tribu restée sur le continent. Ces « enfants de la tradition », qui, sans renoncer à leur culture, à la fois socle de leur équilibre et chaînes invisibles, cherchent néanmoins (en vain ?) à s’en affranchir pour s’intégrer aux sociétés européennes.
À travers le cheminement improbable de son héros qui remonte le fil de sa vie jusqu’à sa tendre enfance, Gaston-Paul Effa dénonce la perpétuation d’un lourd héritage. Les demandes, sans cesse plus pressantes, faites sur le ton à peine déguisé de la menace. « La tradition est ce qu’elle est. Mais je sais qu’elle m’a tout pris. Je sens, je pressens déjà quelque chose, sans en être tout à fait sûr : que toute parole, tout silence même sera retenu contre moi. [Â] Même l’argent que j’ai envoyé n’est rien. Il en fallait tant et plus ! Une goutte d’eau dans la mer ! » se lamente Osele. Mais que peut faire un homme seul contre la redoutable hydre de la tradition ? C’est la chronique d’un combat perdu d’avance que raconte l’écrivain franco-camerounais, lui qui s’est certainement inspiré de sa propre expérience. Fils aîné d’une fratrie de trente-trois frères et soeurs, Effa est sans nul doute un de ces « enfants de la tradition »Â

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