Le « Guide », ses visions et… ses pétrodollars

Publié le 23 juin 2008 Lecture : 4 minutes.

Comme d’habitude, Mouammar Kadhafi a profité de la 10e édition du sommet de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad), à Cotonou, du 12 au 18 juin, pour soigner son image et s’octroyer une tribune. À sa manière très particulière, mélange d’esbroufe, de populisme et d’un sens très développé de la mise en scène. Son discours sur les États-Unis d’Afrique n’a évidemment surpris personne. Ses diatribes contre l’impérialisme occidental, non plus.
Villas construites en un temps record (six mois) pour loger les délégations ; feux d’artifice tirés depuis la plage ; concert gratuit suivi d’un meeting à la gloire du panafricanisme au stade de l’Amitié : rien n’a été négligé pour que la fête soit belle. La Libye sait se montrer généreuse D’autant qu’elle a parallèlement versé au gouvernement béninois 16 milliards de F CFA (25 millions d’euros) pour lui permettre de bitumer quelques rues, de donner un coup de jeune aux deux enceintes dans lesquelles se sont déroulés les débats, mais aussi de disposer le long des principales artères de la ville de portraits géants du « Guide » – dont la discrétion n’a jamais été la qualité première.
Sur les vingt-huit chefs d’État des pays membres de la Cen-Sad, onze (Burkina, Centrafrique, Comores, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Mauritanie, São Tomé, Sierra Leone, Togo) ont répondu à ce qui ressemblait fort à une invitation conjointe du président béninois, Boni Yayi, qui espère en tirer un profit diplomatique, et de Kadhafi, plus que jamais déterminé à étendre son influence au sud du Sahara.

Quasi mystique
Créée en 1998, la Cen-Sad fait office de guichet pour accéder aux pétrodollars libyens (voir J.A. n° 2474). Sa logique est essentiellement financière. D’un côté, un Mouammar Kadhafi en quête de respectabilité, qui s’efforce de jouer les bailleurs de fonds pour imposer sa vision quasi mystique d’un continent unifié De l’autre, des pays pressés de diversifier leurs sources de financement, mais qui prennent ainsi le risque d’une « vassalisation », comme le reconnaît volontiers un dirigeant de la régionÂ
À Cotonou, sur fond de flambée des prix et de grogne sociale, l’accent a été mis sur le développement rural et la sécurité alimentaire. Il a aussi été question de l’aménagement d’une « grande muraille verte » entre Dakar et Djibouti et de la distribution de quelque trois cents tracteurs. Le coût de l’ensemble du programme est estimé à 33,3 millions de dollars sur cinq ans. Pas sûr que cela suffise à relever le défi. Et moins encore à impressionner les bailleurs de fonds et les institutions internationales. Imperturbable, Kadhafi s’est réjoui du caractère « de plus en plus concret du travail de la Cen-Sad en faveur de l’Afrique ».
En revanche, il n’a pas ménagé l’Union africaine, incapable, selon lui, d’apporter la moindre solution aux populations. « Depuis quarante-cinq ans, ses sommets ne sont rien d’autre que des festivals dont les décisions restent invariablement lettre morte », s’est-il emporté dans son style inimitable. L’Union du Maghreb arabe (UMA) n’a pas non plus été épargnée. Morceau choisi : « Je préside une organisation qui n’existe pas. L’UMA, c’est zéro, une pure fiction. »

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« La révolution, s’il le faut »
Dénonçant ceux qui « travaillent à la destruction de l’Afrique », le « Guide » n’exclut pas de recourir à « la révolution, s’il le faut ». Bref, il ne s’est guère assagi avec les années. À la tribune, plusieurs chefs d’État ont eu quelque mal à dissimuler leur embarras derrière un sourire poli.
Pourtant, si la posture de Kadhafi est inchangée, sa stratégie a sensiblement évolué. Si les États-Unis d’Afrique restent un idéal, il s’agit dans l’immédiat de constituer un gouvernement de l’Union africaine. Le projet sera présenté lors du prochain sommet de Charm el-Cheikh, en Égypte (30 juin-1er juillet). Fort diplomatiquement, Jean Ping, le président de la Commission de l’UA, a salué le rapprochement en cours entre les « gradualistes », soucieux de ne point trop bousculer l’institution, et les « unionistes », pressés de l’enterrer au profit d’un vaste ensemble unifié doté d’un vrai poids politique.
« Kadhafi veut utiliser la Cen-Sad pour forcer la main aux autres pays. Il faudrait que quelqu’un se dévoue pour lui dire que ce n’est pas possible, même si cela doit le fâcher. La question n’est pas le contenant, mais le contenu. Ce qui prime, c’est réformer la Commission afin de lui donner une assise financière et un véritable leadership », estime un dirigeant ouest-africain.
Il reviendra à Boni Yayi, président de la Cen-Sad pour un an, de défendre à Charm el-Cheikh la vision du « Guide ». La tâche ne s’annonce pas aisée. « Personne parmi nous ne doute de l’utilité d’un gouvernement d’union en vue de l’avènement des États-Unis d’Afrique », explique-t-il. Personne, vraiment ?

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