À la recherche de la lumière perdue

Trente ans après ses débuts, le « couple aveugle du Mali » connaît enfin un succès mondial. Alors qu’ils entament une nouvelle tournée internationale, Amadou et Mariam reviennent sur leur parcours dans une autobiographie à leur image, simple et attachante

Publié le 23 juin 2008 Lecture : 4 minutes.

Lorsqu’on leur demande si le surnom de « couple aveugle du Mali » (qui leur a longtemps collé à la peau) ne les gêne pas, ils se mettent à rire de bon coeur. « Avec le temps, on nous appelle moins souvent comme ça », répond Amadou Bagayoko, tranquillement installé en compagnie de sa femme Mariam dans une salle du Studio Davout, en plein 20e arrondissement de Paris. « Il faut dire aussi qu’on s’est habitué, poursuit-il. Dans un milieu très cosmopolite, celui de la Côte d’Ivoire des années 1980, c’était un moyen comme un autre pour nous reconnaître plus facilement ! »
La reconnaissance, justement, n’aura pas été si facile. Depuis leur première rencontre en 1975 à l’Institut des jeunes aveugles (IJA) de Bamako – il y a plus de trente ans -, Amadou et Mariam l’ont poursuivie sans relâche, avec une détermination enfin récompensée, en 1998, par le succès international de leur premier album CD, Sou ni Tilé (« La Nuit et le Jour », en bambara, comportant le tube « Je pense à toi » et vendu à plus de 100 000 exemplaires) ; puis, en 2004, par celui de l’album Dimanche à Bamako (produit par Manu Chao et vendu à plus de 500 000 exemplaires). Une réussite patiemment construite qu’ils relatent aujourd’hui dans une autobiographie intitulée À part la lumière du jour, aux éditions Michel Lafon.
« Nous prenions des notes en braille depuis longtemps, confie Amadou. Mais c’est la rencontre en 2006 avec Idrissa Keïta, musicien et auteur malien vivant en Allemagne, qui a fait aboutir ce projet. »
À partir de nombreux entretiens, souvent téléphoniques, Keïta rédige un récit de vie, prenant Amadou pour narrateur et usant d’un style simple et naïf qui fait écho aux chansons du couple malien. L’enfance, le handicap, la première carrière d’Amadou comme guitariste professionnel dans les orchestres maliens, l’histoire du couple et de son long cheminement vers le succès, de Bamako à Paris en passant par Abidjan, Ouagadougou, Londres ou Rio de Janeiro, sont évoqués avec moult détails qui raviront les fans.
L’hommage à la vie d’artiste s’enrichit également d’une description vivante de la société malienne, dont le système de valeurs traditionnelles est évoqué avec respect et pédagogie. Ce qui n’empêche pas le narrateur d’en épingler les aspects les plus conservateurs, notamment le fait que le métier de musicien soit souvent déconsidéré et traditionnellement réservé aux familles de griots, ce qui freine l’éclosion de nombreuses vocations. Sauf à bénéficier, comme Amadou, de « la chance d’avoir un père libéral »
Car personne, dans la famille d’Amadou, ne s’est opposé à ce qu’il exprime sa passion précoce pour la musique. Envoûté dès l’âge de 2 ans par le son du djembé lors d’une cérémonie de mariage, il découvre sa vocation – clin d’Âil du destin ! – un dimanche, à Bamako Puis il apprend les percussions, la flûte, l’harmonica : Amadou est déjà un musicien averti lorsqu’il perd la vue vers l’âge de 12 ans (à cause d’une cataracte congénitale suivie d’un trachome inopérable). Il comprend alors que son art peut se transformer en « piscine dans laquelle il peut noyer ses malheurs ». L’image n’est pas anodine : peu de temps auparavant, un de ses frères s’est noyé à côté de lui sans qu’il ne puisse rien faire pour le sauver – un drame qui ressemble à celui de Ray Charles. Et, comme son aîné américain, Amadou rêve de vivre de sa musique.
Un de ses oncles l’y encourage. Il lui fait découvrir la guitare et l’introduit auprès de grands musiciens maliens comme Kanté Manfila et Tidiani Koné. Séduits par le talent et la voix du jeune homme, ceux-ci l’invitent à chanter sur scène « El Manisero », une chanson cubaine. Âgé d’à peine 14 ans, il fait un véritable tabac et entame progressivement une carrière professionnelle.
Quand Amadou et Mariam se rencontrent en 1975, celle-ci dirige la troupe artistique de l’IJA. Elle a commencé à chanter dans les fêtes de mariage et de baptême depuis qu’elle a perdu, à l’âge de 5 ans, 98 % de sa vision des suites d’une rougeole. Ils commencent à collaborer ensemble au sein de l’orchestre de l’IJA et, très vite, le respect qu’ils nourrissent l’un envers l’autre se transforme en amour. Ils se marient en 1980, se lancent dans une carrière en duo, tentent de percer en se rendant en Côte d’Ivoire entre 1986 et 1991, mais n’accèdent vraiment à la reconnaissance internationale qu’après leur rencontre, en 1996, avec Marc-Antoine Moreau, directeur artistique chez Polygram. Un passionné de musique malienne qui les aide à réaliser Sou ni Tilé, avant de quitter son travail pour devenir leur manager et producteur attitré.
La foi et le travail, d’abord ; la chance, ensuite Depuis 1998, les réussites artistiques et commerciales d’Amadou et Mariam s’enchaînent, qu’elles soient le fruit de leur duo ou de leurs collaborations avec des artistes comme Manu Chao (qui sort bientôt un album avec un des trois enfants d’Amadou et Mariam, Samou, et son groupe de rap Smod), mais aussi Mathieu Chedid (M), Cheick Tidiane Seck, Sergent Garcia Avec 700 000 albums vendus dans le monde, le couple malien est plus que jamais dans la lumière. Et compte bien y rester.
« Ils ont de très bons contacts en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, avec un public en forte expansion », assure Marc-Antoine. De fait, Amadou et Mariam partent à la conquête d’un nouveau public – en majorité anglo-saxon -, avec leur cinquième album, dont ils veulent effectuer la prépromotion lors d’une tournée qui va les mener de Zagreb à New York, en passant par Montréal et Chicago. « Tout ce que je peux dire c’est que notre album est très rock », confirme Amadou. Tous ceux qui connaissent les sonorités blues-rock mandingue du couple malien doivent se réjouir d’avanceÂ

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