L’Algérie à l’heure des hypermarchés

Malgré deux tentatives, ce marché de 35 millions de consommateurs ne disposait toujours pas de grandes surfaces modernes. Avec Uno, qui vient d’ouvrir ses portes, le premier groupe privé algérien veut mettre fin à ce paradoxe.

Publié le 23 juin 2008 Lecture : 6 minutes.

Une enseigne aux couleurs vives qui tranche avec le décor local. Sans aucune publicité, Uno, le premier supermarché 100 % algérien, a ouvert ses portes le mardi 10 juin. Succès immédiat : « Nous avons compté environ 3 000 clients les quatre premiers jours. Pas mal pour un coup d’envoi ! » se réjouit Christian Montarnal, directeur général de Numidis, la filiale du groupe Cevital spécialisée dans la grande distribution. Installé à Garridi, à quelques encablures du siège du premier groupe privé du pays, Uno propose 7 500 références et occupe 2 000 m2. Née en 2006, Numidis compte déjà 300 salariés et recrute à tour de bras. Elle est, de fait, la plus grande société de distribution en Algérie.
Car le plus important marché du Maghreb, avec près de 35 millions de consommateurs, ne dispose pas d’un réseau de grandes surfaces digne de ce nom. Une situation rarissime. En Tunisie et au Maroc, les supermarchés représentent respectivement 10 % et 15 % du commerce de détail. « Il n’y a pas de concurrence en Algérie, pas de grandes chaînes de distribution ou de discount pour imposer une vérité des prix. Si ce nouveau supermarché est réellement aux normes internationales, s’il est bien approvisionné, ce sera un vrai changement », souligne Abdennour Nouiri, consultant international et responsable de la chaire distribution à l’Institut national de commerce (INC), à Alger.
Pourtant, le potentiel du marché algérien attise les convoitises. Les initiatives se multiplient. Ou les effets d’annonce. Il ne se passe plus une semaine sans que l’arrivée d’une enseigne internationale soit annoncée. En moins d’un mois, se seraient ainsi succédé à Alger le français Casino – dont la direction « dément formellement tout projet » -, l’allemand Metro (destiné aux grossistes), et même l’américain Walmart, numéro un mondial de la distribution. Sans oublier un autre français, Auchan, dont l’intérêt pour l’Algérie revient tel un refrain. « Ils viennent, jaugent les possibilités d’implantation et repartent au vu des difficultés à résoudre », croit-on savoir au Forum des chefs d’entreprise (FCE), le patronat algérien. « Il y a beaucoup d’intox », commente Christian Montarnal.

Trois fois plus grand en 2009
Numidis vient d’ouvrir un nouveau front. Les premiers arrivés se réserveront évidemment les meilleurs emplacements. Prochaine étape, en avril 2009, à Bab Ezzouar, dans la banlieue d’Alger. C’est là que le conglomérat dirigé par Issad Rebrab sortira le grand jeu avec le premier hypermarché du pays, c’est-à-dire sur plus de 2 500 m2. Bien plus : 7 232 m2 et 20 000 à 25 000 références. Entouré d’une quinzaine de boutiques de grandes marques (Lacoste, SwatchÂÂ), il sera au cÂÂur du premier centre commercial du pays, un investissement réalisé par la Société des centres commerciaux d’Algérie (SCCA), à capitaux suisses. Son ouverture est programmée pour le 22 avril 2009, et la SCCA envisage déjà l’implantation de cinq autres centres commerciaux, notamment à Oran (lire interview p. 85).
À partir de là, le rythme s’accélérera pour Numidis, qui prévoit d’ouvrir deux hyper ou supermarchés par an pendant cinq ans, à Alger mais également à Oran, Tizi-OuzouÂÂ Les équipes du groupe ont déjà deux terrains en vue dans la métropole oranaise. Issad Rebrab a décidé de mettre les moyens. Dans une présentation de son groupe qu’il a effectuée aux États-Unis en septembre 2007, la distribution arrive en deuxième position parmi ses priorités d’investissement. Sur les 1,7 milliard d’euros qu’il a décidé d’engager entre 2005 et 2010, cette nouvelle activité représente 374 millions d’euros. Seul le projet de mégacomplexe sidérurgique de Cap-Djinet fait mieux (434 millions d’euros).
L’objectif est à la hauteur. « D’ici à quatre à cinq ans, nous serons leader sur le marché », pronostique Christian Montarnal. Arrivé en septembre 2007, le directeur général de Numidis est un transfuge du groupe français Carrefour, où il s’est occupé, entre autres, du trading international. Autour de lui s’est constituée une task force d’une dizaine de personnes, toutes passées par l’enseigne française. Comme Christophe Protat, qui a conçu le design des magasins Uno. Issad Rebrab, qui se sent suffisamment fort pour développer une solution 100 % algérienne, ne veut pas laisser le champ libre à son concurrent principal, Ardis, filiale du groupe Arcofina, dirigé par Abdelouahab Rahim, détenteur de la licence Carrefour en Algérie.
Avant la fin de l’année, Ardis devrait avoir ouvert en franchise un hypermarché de près de 7 000 m2, près du Hilton d’Alger. Le défi est important. Il faudra faire oublier le premier supermarché pilote du pays, un Carrefour de 3 000 m2 ouvert en 2006 à Hussein-Dey, dans la banlieue populaire d’Alger. Conçu sur trois niveaux, mal approvisionné, trop cher et doté d’un parking notoirement insuffisant (moins de 300 places), il attise les critiques. D’ailleurs, Abdelouahab Rahim, qui avait à l’époque annoncé en 2006 l’ouverture de 18 hypermarchés d’ici à 2012, a rallongé en 2008 le délai : ce sera bien 18 établissements, mais d’ici à 2018. À raison de 20 à 25 millions d’euros par implantation, avec une participation limitée du groupe français. La rumeur, y compris dans l’entourage de l’homme d’affaires, laisse entendre qu’il pourrait encore revoir ses ambitions à la baisse.

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50 % de produits importés
Pour Numidis, Ardis et tous les autres, il reste de multiples obstacles à lever. Toute une filière est à mettre en place, depuis le personnel à former aux entrepôts à construire, en passant par les équipements de froid à importer ou les fournisseurs locaux à trouver. Quelques jours après son ouverture, Uno propose 50 % de produits importés. De grandes marques (Danone, L’Oréal, HenkelÂÂ) cohabitent avec des produits locaux (jus de fruits, produits frais, yaourts, huile, riz, farine ou sucre). « Il y a peu de productions locales, surtout dans le non-alimentaire, et les importateurs ne suivent pas les gammes de produits, ils fonctionnent par coups », regrette Christian Montarnal.
Il sait aussi qu’il faut aller vite. « Une enseigne doit soutenir le rythme de plusieurs ouvertures par an si elle veut avoir une base logistique performante et alimenter ses magasins avec des produits aux prix compétitifs », souligne Abdennour Nouiri. Pour l’heure, Numidis n’a que deux petits entrepôts dans les quartiers de Hussein-Dey et de Hammadi. Mais le groupe vient d’acquérir un terrain à Boufarik, à 35 kilomètres d’Alger, près de Blida, pour y implanter une base logistique. « La clé de la réussite tient en trois points, complète le DG de Numidis. La logistique, la formation du personnel et un système d’information efficace. » Trois supérettes pilotes (500 m2 chacune) ont permis au personnel de se roder avant la première ouverture. Elles serviront à former les équipes suivantes. La société va également créer une école privée qui formera en alternance une vingtaine de personnes dès octobre. Mais le plus dur sera de s’attaquer au commerce informel, qui s’arrogerait 40 % du marché de détail dans le pays. « Nous voulons imposer une relation fournisseurs-distributeurs basée sur la confiance et le professionnalisme, lance le directeur général de Numidis. C’est-à-dire des relations commerciales suivies et partagées avec un partenariat fort et des produits facturés. » Pour n’avoir pas réussi à maîtriser tous ces facteurs, la diversification du groupe Blanky dans la distribution est un échec (lire encadré p. 84).
Reste à identifier clairement les attentes des consommateurs algériens. S’ils acceptent de soutenir la production nationale, ils tiennent aussi à trouver les mêmes produits qu’en Europe. Ils exigent de trouver des produits importés et ont été déçus de ne pas en trouver jusqu’à présent – ou si peu – dans les magasins Carrefour et Promy. Ce qui pose le problème des douanes et des règlements liés à l’importation en Algérie. Et les diffi­cultés s’additionneront dès lors qu’il s’agira d’assurer un « réassort » en flux tendus, via un circuit douanier peu réputé pour sa célérité. De tous, c’est le milliardaire Rebrab qui semble avoir saisi pleinement les enjeux. L’essentiel de ses efforts est concentré sur sa filiale de distribution Numidis et la mise en place des circuits logistiques appropriés. Les prix pratiqués chez Uno vont-ils correspondre au pouvoir d’achat des Algériens ? Réponse dans quelques moisÂÂ

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