La fin de l’état de grâce ?

Le risque de sécession de l’île d’Anjouan est désormais écarté, mais le chef de l’État, Ahmed Abdallah Sambi, voit sa popularité s’éroder. Victimes de la hausse des prix, ses concitoyens attendent toujours qu’il tienne ses promesses électorales.

Publié le 23 juin 2008 Lecture : 4 minutes.

Rendu possible par le renversement, fin mars, de l’ancien homme fort de l’île, le colonel Mohamed Bacar, le premier tour de l’élection présidentielle d’Anjouan s’est déroulé sans incident le 15 juin dernier. Contrairement aux attentes, le scrutin, supervisé par 400 soldats de l’Union africaine, n’a pas mobilisé les foules. Seuls 40 % des 128 000 électeurs inscrits se sont rendus aux urnes. Avec 42,5 % des voix, Moussa Toybou, candidat soutenu par le président de l’Union des Comores, Ahmed Abdallah Sambi, devance d’une très courte tête Mohamed Djaanfari (42,3 %).
Ce résultat, qui laisse planer une incertitude quant à l’issue du second tour programmé pour le 29 juin, est assez contrariant pour le président Sambi. Adepte de la manière forte contre la rébellion anjouanaise, le chef de l’État comorien avait rallié à sa cause la Tanzanie, le Soudan, la Libye et le Sénégal. Il avait même obtenu le blanc-seing de l’UA pour une opération militaire contre Bacar. Orchestré de main de maître, après une intense séquence de guerre psychologique, appuyé par les forces aériennes des pays amis, le débarquement a viré à la promenade de santé : les troupes fidèles à Bacar s’étaient volatilisées ou s’étaient rendues sans combattre. Sambi pensait donc pouvoir aisément capitaliser sur le succès politico-militaire de la libération de Mutsamudu. Cet islamiste modéré, que ses détracteurs surnomment l’Ayatollah en raison de ses accointances avec les mollahs iraniens (il a effectué une partie de ses études théologiques dans la ville sainte de Qom), ne fait plus mystère de son envie de réviser la Constitution. Mais il a besoin pour cela d’un minimum d’appui des exécutifs insulaires. Or il s’est déjà brouillé avec les présidents de Ngazidja (Grande Comore) et de Mohéli. Si d’aventure Djaanfari venait à être élu, il n’aurait plus qu’à enterrer son projetÂ
Fruit d’un laborieux compromis avalisé par la communauté internationale, la Constitution de décembre 2001 instaure un système fédéral et une présidence tournante entre les trois îles de l’archipel : Ngazidja, Anjouan, et Mohéli. Le président de l’Union est élu pour un mandat de quatre ans, non renouvelable. Après le Grand-Comorien Azali Assoumani (2002-2006), et l’Anjouanais Sambi, dont le bail court jusqu’en 2010, c’est théoriquement un Mohélien qui devra assumer, à compter de cette date et jusqu’en 2014, la charge du pouvoir suprême. Les partisans de Sambi estiment qu’il est urgent de redéfinir une architecture institutionnelle qui s’est révélée, à l’usage, complexe et coûteuse, afin de trancher définitivement la question cruciale du partage des compétences entre les dirigeants des exécutifs insulaires et le gouvernement central. « C’est de l’habillage, rétorque un cadre de la Convention pour le renouveau des Comores (CRC), principal parti d’opposition, proche de l’ex-président Azali. Sambi veut simplement trouver un moyen de se maintenir au pouvoir. Certes, le système de la présidence tournante ressemble à une usine à gaz et n’est pas viable sur le long terme. Mais il a permis de parer au plus pressé et de pacifier le pays. Si on décidait de revenir dessus maintenant, les Mohéliens se sentiraient légitimement lésés. Et c’est une faute que l’on paiera un jour ou l’autre. Patientons encore six ans, au lieu de verser dans l’aventurisme jacobin. »
Les opposants ne sont pas les seuls à s’inquiéter de possibles risques de dérive. Début juin, des oulémas (dignitaires de l’islam sunnite) se sont émus publiquement des visées iraniennes dans l’archipel. Et ont accusé le président Sambi de favoriser en sous-main le prosélytisme chiite. Téhéran a récemment ouvert un consulat aux Comores et s’affiche aujourd’hui comme l’un des principaux alliés de Moroni. Ce sont des Iraniens qui assurent la sécurité personnelle du chef de l’État comorien. Et la Fondation Imam-Khomeiny, officiellement à vocation caritative, a installé des bureaux à Itsandra, près de Moroni, dans les bâtiments de l’ancien centre de l’artisanat. « L’Iran recherche des satellites, analyse un observateur, et les Comores sont une proie facile. C’est un pays musulman, pauvre, mais situé dans l’océan Indien : il offre des avantages stratégiques indéniables. Les Iraniens sont des gens pragmatiques, et maintiennent Sambi sous perfusion, en finançant des opérations qui lui permettent de soigner son image. Ils ne se décideront à investir massivement que s’ils sont sûrs que Sambi va rester au pouvoir. C’est-à-dire s’il réussit à réviser la Constitution. »

Des fins de mois difficiles
Les Comoriens, eux, ont des préoccupations plus terre à terre. Deux ans après l’arrivée au pouvoir de l’homme au turban vert, les promesses de changement qu’il avait fait miroiter tardent à se concrétiser. L’archipel, dépourvu de ressources naturelles, est frappé de plein fouet par la hausse des matières premières et des denrées alimentaires. Le kilo de farine a augmenté de 33 % et celui du riz de 55 %. Le prix du litre de pétrole lampant a augmenté de 87 %, et celui du ciment de 50 %. L’ambitieux « projet habitat » (construction de 100 000 logements), qui avait constitué l’engagement phare du candidat Sambi, a pris un retard considérable. La situation budgétaire, elle, est devenue franchement alarmante. Les cours des « cultures de la rente », comme la vanille, principale richesse du pays, se sont effondrés. Et l’État ne parvient plus à boucler ses fins de mois : les fonctionnaires cumulent désormais sept mois d’arriérés de salaires. Pour l’aider à passer ce cap difficile, Ahmed Abdallah Sambi, qui s’est rendu en visite officielle à Téhéran le 15 juin dernier, avant de rallier Cotonou pour participer au sommet des pays de la Cen-Sad (Communauté des États sahélo-sahariens), espère maintenant un coup de pouce financier de ses partenaires. Seule certitude en attendant : l’état de grâce du président comorien semble bel et bien terminé.

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