Disparition de Johnny Clegg : « Asimbonanga », l’histoire d’une chanson politique

C’est en 1986 que Johnny Clegg, alors leader de son groupe Savuka, enregistre cette chanson hommage à Mandela parue sur l’album « Third World Child ».

Johnny Clegg, lors d’un concert à Monte Carlo en septembre 2012 (archives). © REUTERS/Sebastien Nogier

Johnny Clegg, lors d’un concert à Monte Carlo en septembre 2012 (archives). © REUTERS/Sebastien Nogier

KATIA TOURE_perso

Publié le 17 juillet 2019 Lecture : 3 minutes.

« Nous ne l’avons pas vu ». C’est ce que signifie, en français, le titre de la chanson en zoulou, Asimbonanga, dédiée à Nelson Mandela, alors futur premier président noir de l’Afrique du Sud. Tube de l’été 1988 dans moult pays du monde, le titre est frappé d’interdiction en Afrique du Sud.

C’est qu’à l’époque où le « Zoulou blanc » enregistre ce morceau politiquement engagé – qui lui fera accéder à une notoriété internationale -, Nelson Mandela est toujours emprisonné sur l’île de Robben Island, au large du Cap. Et toute évocation du chef du Congrès national africain (ANC) est interdite. C’est d’ailleurs le sens du morceau : personne ne sait à quoi ressemble la figure historique de la lutte contre l’apartheid.

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Quant à Johnny Clegg, fervent opposant à l’apartheid et dont les groupes successifs, Juluka et Savuka, sont composés de musiciens noirs et blancs, est considéré comme un artiste subversif dans son pays. Au cours des années 1980, la police sud-africaine interdit certains de ses concerts, l’arrête à plusieurs reprises et l’accuse de violer les lois sur la ségrégation raciale. Sans compter que ce Sud-Africain blanc d’origine anglaise puise son inspiration dans la culture et tradition zouloues.

Il est une figure du mbaqanga, musique pop reprenant des rythmes traditionnels zoulous, et n’hésite pas à chanter à la fois en zoulou et en anglais. D’ailleurs, si le refrain d’« Asimbonanga » est en zoulou, les couplets sont, eux, en anglais.

« Asimbonanga

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Asimbonang’ umandela thina

Laph’ekhona

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Laph’ehleli khona »

(« Nous ne l’avons pas vu

Nous n’avons pas vu Mandela

Dans l’endroit où il est

Dans l’endroit où il est détenu »)

Aussi, Johnny Clegg fait plusieurs fois référence à l’île de Robben Island :

« Oh the sea is cold and the sky is grey,

Look across the island into the bay

We are all islands till comes the day

We cross the burning water »

(« Oh la mer est froide et le ciel est gris

Regarde de l’autre côté de l’île dans la Baie

Nous sommes tous des îles jusqu’à ce qu’arrive le jour

Où nous traverserons la mer en flammes »)

La phrase « We are all islands » renvoie à une œuvre du poète britannique John Donne (1573 – 1631) intitulée « No man is an island ».

Dans Asibomnanga, Johnny Clegg rend aussi hommage à trois autres militants anti-apartheid : l’initiateur du Mouvement de la conscience noire, Steve Biko ; le médecin et syndicaliste blanc, Neil Agget – tous deux morts en prison dans des conditions suspectes – ainsi qu’à l’avocate Victoria Mxenge, assassinée à l’âge de 43 ans par deux membres de la police sud-africaine.

L’album Third World Child (« Enfant du tiers-monde ») paraît en 1987 en France où il s’écoule à plus d’un million d’exemplaires. On y retrouve aussi Scatterlings of Africa, un autre des titres phare de la carrière de l’homme aux plus de cinq millions d’albums vendus dans le monde. Il s’agit aussi du premier album enregistré avec Savuka, après la dissolution de Juluka, que Clegg fonda en 1976 avec son ami d’enfance noir, le guitariste Sipho Mchunu.

JOHNNY CLEGG THIRD WORLD CHILD

JOHNNY CLEGG THIRD WORLD CHILD

En juin 1988, JA interrogeait Johnny Clegg sur la possibilité de chanter son ode à Nelson Mandela en Afrique du Sud sans être inquiété. Voici ce que répondait l’artiste : « Peut-être. Le gouvernement parle beaucoup de réformes et tient à accréditer son ouverture d’esprit. À mon avis, l’enjeu n’est plus le même. Les Noirs ne se battent plus tellement contre l’apartheid mais plutôt pour le transfert du pouvoir politique, car l’apartheid visible, la ségrégation culturelle et sociale est relativement facile à surmonter. »

Quelques années après la fin de l’apartheid, Clegg et Mandela, auteur et héros de la chanson se retrouvent sur scène à Francfort, en 1997, au cours d’un concert à l’image de l’effet que ce tube provoquait sur les foules : public debout, mer de briquets allumés, émotion à son paroxysme, etc. Johnny Clegg avait raconté son souvenir de ce concert à l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur (aujourd’hui L’Obs) : « J’ai aperçu du coin de l’œil quelqu’un derrière moi qui était en train de monter sur la scène, en dansant (…). C’était Mandela ! Ça a été un choc. Je ne savais même pas qu’il était là. (…) A la fin de la chanson, Mandela avait lancé de sa voix posée, au micro : ‘C’est la musique et la danse qui me mettent en paix avec le monde’. »

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