Herman Mfuanani
Né en RD Congo, l’un des principaux pays producteurs de diamants, il a créé sa propre marque de vêtements avant d’ouvrir une joaillerie de luxe place Vendôme, à Paris.
Costume moutarde avec liseré doré le long des manches, chemise jaune aux clinquants boutons argentés, petit bob crème pour couronner le tout : Herman Mfuanani a la trentaine élégante, façon sapeur de Kinshasa.? Un brin dragueur, ce bijoutier originaire de RD Congo a le bagou d’un titi de banlieue. Mais il se sent comme chez lui au royaume de la joaillerie de luxe. Un Africain place Vendôme ! En 2006, il a fait sensation en ouvrant sa boutique W&w Joaillerie à deux pas des prestigieuses enseignes Dior, Chanel ou Van Cleef & Arpels. Parures d’or et de diamants, boucles d’oreilles, chevalières et bagues, telle cette sublime « Anaconda bleu », un saphir de six carats serti de cent vingt diamants Mfuanani a du goût. Et de l’ambition à revendre.
Pas peu fier de son coup, le jeune homme ambitionne à présent de « dépoussiérer la création française ». Présomption ? Ceux qui le connaissent y croient : « Herman a vraiment fait souffler un vent d’air frais, apporté des idées nouvelles place Vendôme », commente Crysia, un bijoutier de la place à qui Mfuanani doit beaucoup. Parti avec pour tout bagage son audace et sa persévérance, celui-ci a eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment.
Né à Kinshasa en 1975, Herman Mfuanani débarque en France à l’âge de 5 ans. Ses parents s’installent d’abord à Paris, puis déménagent régulièrement : Évreux, Rouen, Sarcelles, Corbeil À chaque fois, le garçon doit s’adapter à un nouvel environnement. Une expérience qui l’endurcit et l’aide, affirme-t-il, à aller au-devant des autres, sans préjugés. « Si aujourd’hui je suis aussi à l’aise place Vendôme qu’à Sarcelles, c’est grâce à cela. »
Son parcours n’a pas été facile pour autant. Manifestant peu de goût pour les études, il arrête les siennes rapidement. Son BEP de comptabilité en poche, il enchaîne les petits boulots : livreur de pizzas, ouvrier du bâtiment et, surtout, chauffeur-livreur dans le Marais et le Sentier, deux quartiers de Paris spécialisés dans la confection textile. Une expérience déterminante pour la suite.
En attendant, la vie d’Herman n’a rien de palpitant. Debout dès 5 heures du matin, il passe ses journées au volant de son camion, chargeant et déchargeant des palettes de tissus et de vêtements. Le travail est rude, mais il ne se décourage pas. « Un jour, je serai mon propre patron », se répète-t-il, pour se donner du cÂur à l’ouvrage.
À l’époque, la mode est aux codes vestimentaires imposés par les rappeurs américains, que relaient les jeunes de banlieues : jeans baggy, sweat-shirts larges et grosses doudounes. S’inspirant de la célèbre marque Fubu, qui vient de débarquer des États-Unis, le sulfureux Joey Starr, du groupe NTM, lance Com8. Créateurs des marques Airness et Dia, les Maliens Malamine Koné et Mohamed Dia déboulent à leur tour sur le marché. De quoi donner des idées au jeune ambitieux.
Celles-ci prennent forme en 1999. Un jour, dans une petite boutique de sérigraphie, Mfuanani fait imprimer la mention « Wechi-Wecha » sur l’une de ses casquettes. « Au départ, c’était juste pour le fun », se souvient-il. Mais la formule fait mouche. Des amis lui commandent des casquettes, puis des tee-shirts siglés Wechi-Wecha. Des inconnus l’abordent dans la rue pour lui demander où il les a achetés. Herman sent le filon et, en 2000, dépose la marque à l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi).
Grâce à ses contacts dans le milieu de la confection, il parvient à présenter son projet à plusieurs fabricants. Séduit, l’un d’eux, Etnic Blue, accepte de produire pour lui quelques articles à moindre coût. Le succès est au rendez-vous : en 2002, Wechi-Wecha est distribué dans cent cinquante boutiques en France. Déjà, Herman voit les choses en grand : lui ne fait pas du « street wear », explique-t-il très sérieusement, mais du « sport class » ! Nuance.
Reste que Mfuanani ne se contente pas de jouer sur les mots. Il a compris la nécessité de séduire une clientèle plus large – et plus aisée – que celle des aficionados du hip-hop. La preuve : sa marque se décline bientôt en Wechi Men/Women Touch, une gamme de luxe. Il crée même une collection fourrure avant d’y renoncer, devant les protestations des défenseurs des animaux.
Naturellement, ses points de vente sont choisis avec le plus grand soin. Ainsi, à l’automne prochain, c’est sur les Champs-Élysées qu’il proposera à la vente sa nouvelle collection. Hier largement inspiré de Fubu, le style d’Herman Mfuanani incline davantage aujourd’hui vers VersaceÂ
Mais le self-made man est un touche-à-tout. Pourquoi en effet se limiter à la sape ? Tout ce qui brille l’attire Grâce à sa tchatche, il finit par convaincre un bijoutier de le « brancher » avec son fabricant de « cailloux ». Ses premiers modèles en poche, Herman parcourt les salons réservés à la profession. Très vite, un joaillier habitué à travailler avec les plus grands repère son talent et lui propose une collaboration. « C’est lui qui m’a suggéré de me lancer dans le diamant. Jamais je n’aurais pensé placer la barre aussi haut », reconnaît Mfuanani.
La première collection de W&w Joaillerie sort en 2004. Mfuanani la présente à Crysia. Enthousiaste, ce dernier lui sert de caution, l’aide à ouvrir sa boutique place Vendôme et le convainc de suivre les cours de la prestigieuse École privée de la bijouterie-joaillerie, rue du Louvre, à Paris.
En attendant, Les clients affluent : touristes russes ou japonais richissimes, diplomates africains et même quelques rappeurs américains qui apprécient la french touch du Congolais. De quoi lui donner la grosse tête et attiser les jalousies ? Pas tant que ça. « Mes proches sont fiers de moi », lâche-t-il simplement.
Pour prendre « un nouvel envol », Mfuanani souhaite se débarrasser d’une image qui lui colle encore à la peau : celle du gamin des cités qui s’en est sorti. Préoccupation marketing avant tout « Surtout, ne me présentez pas comme le gars de banlieue de la place Vendôme ! C’est caricatural et pas très vendeur », finit-il par avouer.
Il travaille donc à changer son image. Dans cet objectif, il s’est entouré d’une dizaine de professionnels du secteur pour lancer, du 21 au 24 juin, le Cercle du design, un groupe de créateurs désireux de développer une joaillerie haut de gamme pour une clientèle rajeunie.
À son initiative, le Cercle a également créé une collection, African Design Jewellery, dont 30 % du chiffre d’affaires servira à fonder des écoles de joaillerie dans les pays producteurs de pierres. La première ouvrira en RD Congo.
« C’est un projet qui me tient à cÂur, commente Herman Mfuanani. Les enfants travaillent dans les mines au péril de leur vie. Il faut que les choses changent et que les pays producteurs aient leurs propres joailliers. »
Qui a dit que le bijoutier congolais avait oublié d’où il venait ?
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