Difficile exercice d’équilibrisme

Le niveau de vie le plus élevé de la région, une classe moyenne en expansion, la grande précarité éradiquée… La Tunisie est sur le point d’entrer dans la cour des pays développés. Encore faut-il ne laisser personne au bord de la route.

Publié le 23 juin 2008 Lecture : 4 minutes.

C’est quelque peu inattendu, mais les chiffres sont là. Malgré le ralentissement de la croissance économique à l’échelle mondiale (3,7 % en 2008 au lieu des 4,1 % prévus), avec un prix du baril qui caracole à la hausse et une crise alimentaire alarmante, le taux de croissance affiché par la Tunisie est au beau fixe : 5,4 % en 2006, 6,5 % en 2007 et, selon les estimations, il devrait se situer à 5,8 % pour 2008. Soit une moyenne de 5,8 % sur trois ans, bien mieux que celle de 4,5 % enregistrée au cours du Xe Plan de développement (2002-2007). Et si les grands projets immobiliers que des groupes venus des pays du Golfe se proposent de financer se concrétisent, la courbe de croissance pour les prochaines années pourrait battre des records.
Il faut cependant se garder de dire que tout va pour le mieux. Car derrière ces chiffres de la croissance globale se cache une situation contrastée. Il y a ce qui marche bien, ce qui marche moins bien, mais aussi ce qui pose de sérieux problèmes.

Le pouvoir d’achat est-il menacé ?
Commençons par ce qui inquiète le plus. Même s’il est minime à l’aune des performances sectorielles en nette amélioration pour 2008, l’impact négatif des cours haussiers du pétrole et des denrées alimentaires au niveau mondial influe forcément sur la croissance du pays. Le fardeau supporté par l’État s’en trouve alourdi et ébranle donc la politique de partage de la croissance dont le volet principal est la compensation. Celle-ci consiste à subventionner le différentiel entre les coûts d’importation des produits de première nécessité et les prix publics, réajustés avec prudence pour ne pas grignoter le pouvoir d’achat des ménages. En 2008, les charges supportées par la Caisse générale de compensation des prix des produits de base (pain, semoule, pâtes, huile végétale, orge, lait, cahiers scolaires, etc.) devraient dépasser 1 milliard de dinars, soit 2,1 % du PIB, contre 1,3 % en 2007. Ce qui ne représente qu’un tiers des charges assumées par l’État, les deux tiers restants recouvrant le soutien aux prix de vente des produits énergétiques à la pompe ainsi que les subventions des prix de certains médicaments et du sucre. Au total, la facture pour l’État en 2008 serait de 3,7 milliards de dinars, soit 7 % du PIB. Sept fois plus qu’il y a quelques années. Même si les autorités sont décidées à ne pas supprimer la compensation et les subventions, elles sont confrontées à un choix difficile quant au rythme et au volume de l’ajustement des prix en fonction des cours mondiaux, sans remettre en cause la politique sociale pour ce qui est des produits alimentaires, et sans trop grever la compétitivité des entreprises grandes consommatrices d’énergie Difficile exercice de jonglage.
Les cours mondiaux des produits énergétiques, des aliments de base et des services qui leur sont liés (transport, assurances, etc.) ont en outre un impact indirect sur l’inflation : les autorités ont pu, au mois de mai, ramener son taux à 5 % en glissement annuel, mais il demeure supérieur à la moyenne de 3 % de ces dernières années. Le pouvoir d’achat des ménages s’en trouve-t-il pour autant effrité ? Les experts gouvernementaux répondent qu’il y a encore une marge positive, puisque les salaires augmentent de 5,4 % à 6,4 % chaque année. De plus, les analystes internationaux s’attendent à ce que l’inflation en Tunisie revienne à la baisse à partir de 2009.
Parmi ce qui va moins bien que ce que l’on voudrait : l’emploi des jeunes, en particulier celui des jeunes diplômés du supérieur (voir pp. 70-71). Malgré la priorité qui lui est donnée dans les programmes du gouvernement – notamment pour favoriser la création de postes et stimuler le lancement de projets d’entreprises (Fonds national de l’emploi, Banque tunisienne de solidarité, Banque des petites et moyennes entreprises, voir p. 72) -, le taux de chômage n’a été réduit que légèrement, stagnant à 14,1 % en 2007. Compte tenu du pic démographique et de la place accordée à l’éducation, les diplômés sont de plus en plus nombreux – près d’un sur deux – à être touchés par le chômage. Paradoxalement, cette masse de techniciens, d’ingénieurs et de spécialistes en quête d’emploi est en train de se transformer en atout pour l’économie tunisienne, parce qu’elle constitue un réservoir de personnel qualifié immédiatement disponible pour les investisseurs.

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Vers une nouvelle dynamique du territoire
Et l’on en vient précisément à ce qui marche bien. La Tunisie confirme en effet son attractivité pour les investissements directs étrangers (IDE) qui, hors privatisations, ont atteint un record de 2,16 milliards de dinars (1,2 milliard d’euros) en 2007, en hausse de 36 %. L’analyse sectorielle de ces flux par l’Agence de promotion de l’investissement extérieur (Fipa), signale que les IDE dans l’industrie ont progressé de 39,8 %, avec une mention spéciale pour les industries mécaniques, électriques et électroniques (IMEE), qui représentent désormais le premier secteur d’attraction des IDE, supplantant le textile (ce dernier consolidant néanmoins sa position malgré la concurrence des pays du Sud-Est asiatique et d’Europe de l’Est). La place économique tunisienne, qui allie désormais les activités de production de base à celles à forte valeur ajoutée, comme l’électronique aéronautique, semble entrer résolument dans ?une nouvelle dynamique, marquée par l’arrivée de grands groupes internationaux qui, fait quasi inédit, investissent désormais dans les régions de l’intérieur du pays (voir pp. 75-76). Il faut espérer que les entreprises privées nationales, petites et grandes, suivront le même élan.

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