De Gaulle, Fidel, Murdoch…

Publié le 23 juin 2008 Lecture : 5 minutes.

Je me propose de renoncer pour une fois à mes analyses habituelles d’un événement ou d’une évolution et de vous soumettre cette semaine non pas une réflexion sur l’actualité, mais plusieurs observations-anecdotes.
Comme vous le verrez, chacune d’elles éclaire un aspect de ce qui nous attend.

Ma dernière chronique (« Archaïsmes et modernité ») traitait ici même de cette excessive longévité au pouvoir, péché commis par trop de dirigeants du Tiers Monde, qui, le plus souvent, conduit leurs pays et eux-mêmes à la tragédie.
Des lecteurs vigilants (et cultivés) ont attiré mon attention sur un livre et une pièce de théâtre qui traitent avec humour du même sujet.
Le livre est de Michel Tauriac. Édité à Paris par Plon sous le titre Vivre avec de Gaulle, il connaît depuis sa parution, il y a un mois, un succès mérité.
L’auteur rapporte en près de 600 pages des témoignages sur l’homme du 18 juin 1940, fondateur de la Ve République française : une centaine d’hommes et de femmes qui ont eu le privilège de le côtoyer, de le servir, de le voir vivre et travailler, d’entendre ses propos racontent comment il était vraiment et disent son « code de conduite ».
Avec l’un d’eux, le lieutenant-colonel Pierre Tallon, qui fut son aide de camp, de Gaulle évoque les effets du grand âge :
« L’âge est un handicap pour tout le monde ; nos facultés peuvent diminuer sans que nous nous en rendions compte et, bien entendu, notre entourage demeure silencieux : souvenez-vous du maréchal Pétain et de ce pauvre Churchill.
Il murmure que si un jour il n’était plus en état de diriger le pays, personne ne l’en avertirait.
– Tenez, vous, par exemple, le feriez-vous ?
Le Général m’observe, un petit sourire au coin des lèvres. Dans ma tête, les mots se bousculent, mais je reste muet.
– Allez ! dit-il gentiment. Rassurez-vous, personne n’aurait ce courage ou cette audace. Du reste, je ne suis pas sûr que je le prendrais bien. Vous voyez, c’est un problème insoluble. »

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La pièce de théâtre est une comédie espagnole toute récente. On y voit le fantôme du général Francisco Franco, l’ancien dictateur espagnol, apostropher Fidel Castro en lui reprochant sa décision de ne pas rester au pouvoir jusqu’à la mort.
« Vous êtes une honte pour notre profession, dit Franco à Fidel. Les vrais dictateurs ne prennent pas leur retraite, ils s’accrochent jusqu’au bout.
Si j’avais pris ma retraite, pensez à tout ce qu’on aurait laissé en plan, à toutes ces condamnations à mort qui n’auraient pas été exécutées ! »
Trente-deux ans après sa mort, Franco, qui dirigea l’Espagne pendant quarante ans, est plutôt un objet de plaisanterie que de crainte ou d’admiration.
Une génération d’Espagnols a grandi sans lui. Mais le vieux dictateur fait aussi, de temps en temps, dans la vie culturelle espagnole une réapparition imprévue.

Un mot maintenant de l’étrange tandem que forment :
– G. W. Bush, qui joue devant nous le rôle du « président sur le départ ». Au cours de sa récente tournée d’adieu en Europe, il n’a nulle part entendu dire qu’on le regretterait. J’en arrive à avoir (un peu) de compassion pour un homme politique appartenant à la catégorie bien connue de politiciens qui savent se faire élire (et même réélire) mais, une fois arrivés au pouvoir, montrent qu’ils ne sont pas faits pour gouverner.
– Et Condoleezza Rice, sa secrétaire d’État depuis près de quatre ans. On la disait très ntelligente, cultivée, et l’on sait que c’est une pianiste émérite.
Sa proximité avec le président lui a donné un énorme pouvoir dont il n’est rien sorti de bon, ni pour les États-Unis ni pour le monde.
À quoi servent ses voyages mensuels au Moyen-Orient ? Que cachent ses larges sourires de commande devant les caméras ?
A-t-elle conscience de son échec ? Où est la faille ?
C’est là « une énigme enveloppée de mystère ».
Je vous livre tout de même une tentative d’explication : je pense qu’elle n’est pas taillée pour la fonction que son président a fait reposer sur ses frêles épaules.
Il a été son élève lorsque, candidat à la présidence, il lui fallait s’initier à la géographie et à la politique internationale ; élu président, il est devenu son chef. Mais c’était un mauvais élève et ce n’est pas un bon chef. Elle lui obéit cependant et fait ce qu’il lui dit de faire.
Le résultat, qui s’étale sous nos yeux, est, littéralement, une pitoyable absence de politique.

Restons si vous le voulez bien aux États-Unis, pays de toutes les surprises. Celle qui a retenu mon attention et dont je voudrais vous entretenir est de taille, mais, curieusement, la presse ne lui a pas donné l’importance qu’elle mérite.
Cette surprise est venue de Rupert Murdoch. Australien naturalisé américain, il est devenu, à 77 ans, l’homme de presse (écrite et audiovisuelle) le plus important du monde. Son empire, qui vient de s’enrichir du Wall Street Journal, s’étend notamment sur la Chine, les États-Unis et le Royaume-Uni ; dans ces deux derniers pays, son influence politique est énorme.
Murdoch est connu pour être un homme de droite, un conservateur pur sucre. Dans les années 1980, son soutien et celui de ses journaux sont allés tout naturellement à Reagan et à Thatcher ; l’on s’attendait par conséquent à ce qu’il se déclare pour John McCain, un homme de son milieu et de sa génération.
Or voici que cet industriel riche et puissant se paye le luxe de voter Barack Obama, qui n’est pas de son bord, mais dont il prévoit la victoire « par un raz-de-marée ».

De son ami McCain, Murdoch n’hésite pas à dire « c’est un patriote, certes, mais il en sait trop peu sur l’économie et encore moins sur la manière d’organiser une campagne électorale » ; « c’est un homme imprévisible », ajoute-t-il, « il aura d’énormes difficultés ».
Parlant d’Obama, « qu’il ne connaît pas encore, mais qu’il souhaite rencontrer le plus vite possible, ainsi que ceux qui travaillent pour lui », il dit qu’il est « une star, à l’origine d’un phénomène mondial, que c’est un homme fantastique et qu’il a d’énormes atouts pour accéder à la présidence des États-Unis ».

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Qui ne serait impressionné par cette analyse d’un capitaine d’industrie qu’on savait lucide, mais qu’on n’imaginait pas capable de s’enthousiasmer pour un homme si jeune qu’il pourrait être son fils et si éloigné de lui qu’il aurait pu lui apparaître comme « venu de nulle part » ?

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