[Tribune] Tunisie : le secteur privé n’est pas un obstacle aux réformes économiques
Suite aux propos de l’ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, Patrice Bergamini, qui accusait certains groupes privés de gripper les négociations avec l’UE, Walid Bel Hadj Amor, vice-président de l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE) et représentant de la plateforme du secteur privé pour l’Aleca-Tunise, défend le secteur privé tunisien, dont il rappelle le libéralisme et le pragmatisme.
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Walid Bel Hadj Amor
Président de la plateforme du secteur privé pour l’Aleca-Tunisie
Publié le 26 juillet 2019 Lecture : 3 minutes.
Quelle mouche a donc piqué l’ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, Patrice Bergamini, auteur d’une sortie médiatique polémique dans les colonnes du journal Le Monde Afrique (sur le site internet du quotidien français) ? Voilà la question qui agite le landerneau politique tunisien mais aussi le monde des affaires. Il faut dire que le diplomate n’a épargné presque personne, et cette sortie s’apparente à un déballage sans nuances.
Cela dérange d’autant plus que nous sommes à quelques mois seulement d’élections législatives et présidentielle cruciales pour le pays. S’agit-il là d’une appréciation personnelle ou d’une position dictée par Bruxelles, qui aurait ainsi profité de la fin de mandat de son représentant pour délivrer un message fort aux autorités tunisiennes ?
Si l’interview s’ouvre sur un diagnostic réaliste du contexte politique et de la difficulté à réformer le modèle économique de la Tunisie, en pointant l’absence de priorités stratégiques et économiques claires et un bilan social et économique négatif, l’ambassadeur s’attaque directement au chef du gouvernement, Youssef Chahed. Notons que le parti islamiste est, lui, jugé réformiste et reçoit donc au passage un satisfecit.
Le secteur privé souffre du manque de réformes
Mais au-delà du diagnostic, l’ambassadeur avance ses théories, soufflées par quelques experts en herbe, et s’en prend aux opérateurs économiques et aux groupes familiaux privés qui, selon lui, bloqueraient toute possibilité de réforme et même les négociations de l’Aleca (Accord de libre-échange complet et approfondi portant sur les biens et les services) avec l’Union européenne.
Il s’agit là d’un raccourci inacceptable, dans la mesure où le secteur privé n’a cessé de dénoncer la sclérose réglementaire et l’absence de volonté de l’État d’engager un projet de modernisation de l’économie, de supprimer les barrières administratives et de simplifier les procédures. Le secteur privé formel et organisé est le premier à souffrir des déséquilibres budgétaires, du niveau de taxation prohibitif et du secteur informel en expansion.
Il serait absurde de jeter le bébé avec l’eau du bain en s’attaquant au secteur privé organisé, oubliant chemin faisant les véritables maux
Alors oui, il y a une forme d’économie de rente en Tunisie, des ententes illicites, comme ailleurs, et le pays a effectivement besoin d’un nouveau modèle de redistribution des richesses. Mais il serait absurde de jeter le bébé avec l’eau du bain en s’attaquant au secteur privé organisé, oubliant chemin faisant les véritables maux : la contrebande et les mafias qui sévissent au grand jour.
On pointe souvent les banques, mais quelle est la part réelle de contrôle des opérateurs tunisiens et font-ils moins bien que les étrangers pour le financement de l’économie ? Le secteur privé, qui a tout intérêt à plus d’opportunités d’investissements, a toujours considéré l’Aleca comme l’une des voies vers plus d’ouverture, sans pour autant verser dans la naïveté. Le secteur privé n’a pas été ce partenaire inconditionnel tant attendu, et c’est peut-être ce qui déplaît tant à nos partenaires européens.
Prendre part aux négociations entre l’UE et la Tunisie
« Oui mais… » a été la réponse des opérateurs adressée à l’Europe, mais d’abord et surtout au gouvernement tunisien. Ces derniers ont exigé de prendre part aux négociations pour faire valoir leur vision, donner un contenu concret aux principes de progressivité et d’asymétrie et s’assurer de la capacité du pays à financer les réformes nécessaires et la mise à niveau de son infrastructure logistique, conditions clés de la réussite.
En exprimant ainsi son point de vue, l’ambassadeur a rendu le plus mauvais service à l’Aleca
En exprimant ainsi son point de vue, l’ambassadeur a rendu le plus mauvais service à l’Aleca, torpillant le seul partenaire qui préfère le pragmatisme aux postures idéologiques et populistes et qui n’a pas d’agenda politique en arrière-plan. Quant à évoquer les turbulences régionales en agitant comme un chiffon rouge le chaos qui règne en Libye, tout cela serait acceptable et compréhensible, à condition d’ignorer le rôle actif qu’ont pu jouer les pays européens dans la genèse de la situation.
Notons que pour une fois un responsable européen reconnaît explicitement les répercussions négatives de la crise libyenne sur l’économie tunisienne. On avance ! Quant à « perdre le soldat Tunisie en route », dans la bouche d’un ambassadeur anciennement homme de sécurité et de défense à Bruxelles, cela prend un sens tout particulier. Soldat de qui ? De quoi ?
L’histoire retiendra (ou pas !) que Patrice Bergamini se sera lâché le temps d’une interview.
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