Une si longue et si difficile transition

Depuis septembre 2001, Amara Essy s’est attaché à la mise en place des nouvelles institutions de l’organisation continentale. Le 10 juillet à Maputo, il en briguera la présidence en s’appuyant notamment sur son bilan.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 6 minutes.

Lorsqu’il prend ses fonctions de secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) à Addis-Abeba, le 17 septembre 2001, l’Ivoirien Amara Essy hérite d’une structure en piteux état. Les arriérés de contributions, dus, pour l’essentiel, à l’insolvabilité chronique d’une dizaine d’États, s’élèvent à plus de 42 millions de dollars. Durant les douze années de règne ininterrompu du Tanzanien Salim Ahmed Salim, secrétaire général de 1989 à 2001, le personnel (354 emplois au siège et dans les bureaux régionaux de New York, Genève et Bruxelles) s’est installé dans un confort facile, avec des privilèges et des émoluments certes moins importants que ceux des fonctionnaires onusiens, mais somme toute appréciables.
Vue de l’extérieur, la machine a l’air de tourner. De l’intérieur, elle est sclérosée. Beaucoup de fonctionnaires ne croient guère au combat panafricain et font ce job comme ils feraient n’importe quel autre. Certains profitent même de la proximité d’Addis-Abeba avec quelques capitales arabes du Golfe pour faire – en parallèle – des affaires. Sans, bien souvent, encourir la moindre sanction administrative. « Lorsque l’on touche à l’un d’entre eux, confie une source privilégiée, son pays d’origine s’empresse aussitôt d’intervenir. Dans la réalité, beaucoup d’agents se comportent plus comme des nationaux qu’en défenseurs de la cause africaine. » Plus grave, poursuit notre interlocuteur, certains sont même devenus des informateurs réguliers (et payés en piges ?) des chancelleries occidentales installées dans la capitale éthiopienne. « Dès qu’ils sortent des ordinateurs, les documents confidentiels se retrouvent aussitôt à l’extérieur. »
D’entrée de jeu, Essy, qui a été élu en juillet 2001 à Lusaka, ne sait à quel saint se vouer. Comment faire du neuf avec du vieux ? Comment travailler avec des agents plus préoccupés de faire carrière, plus attachés aux promotions et aux passe-droits que soucieux d’accompagner de manière efficiente le développement et l’unité du continent ? Comment se séparer des « glandus », détenteurs, pour certains, de faux PhD ? La mission, pour le moins ingrate, assignée par les chefs d’État à l’ancien ministre ivoirien des Affaires étrangères sonne comme un défi : transformer le « supermachin » bureaucratique qu’est l’OUA en une organisation dynamique et plus en phase avec les enjeux politiques, économiques et géostratégiques du monde moderne : l’Union africaine (UA).
Essy a dix mois – septembre 2001 à juillet 2002 – pour dresser l’actif et le passif de l’OUA, élaborer les textes et préparer le lancement l’UA, avec pour instruction d’accorder la priorité à quatre organes clés de la future organisation : la Conférence, le Conseil exécutif, la Commission et le Comité des représentants permanents. Pour mener à bien ses activités durant la période de transition, on lui alloue un budget de 2,5 millions de dollars.
Devant la difficulté de la tâche, le délai se révèle, comme il fallait s’y attendre, insuffisant. C’est donc tout naturellement qu’en juillet 2002, à Durban, les chefs d’État prorogent son mandat d’un an. Il troque par la même occasion son habit de secrétaire général contre celui de président intérimaire de l’Union africaine. À la veille de la conférence au sommet de l’organisation panafricaine à Maputo, on peut dire, au vu des moyens humains et financiers dont il disposait, que l’Ivoirien n’a pas démérité.
Avant sa prise de fonctions, l’OUA n’avait qu’un représentant spécial au Burundi, un haut représentant au Sahara occidental, un envoyé spécial aux Comores, et un seul Bureau de liaison. Tout en maintenant ces derniers, il a, au gré des crises, nommé des envoyés spéciaux à Madagascar (le Nigérien André Salifou), en Côte d’Ivoire (le Santoméen Miguel Trovoada), en République centrafricaine (l’ancien secrétaire d’État tunisien aux Affaires africaines, Sadok Fayala), au Liberia (l’ex-chef de la diplomatie zambienne, Keli Walubita), au Soudan (l’ex-ministre nigérian des Affaires étrangères, Baba Gana Kingibe) et en Somalie (Muhammad Ali Foum, un ancien vice-ministre tanzanien), des représentants spéciaux en République démocratique du Congo (le Gabonais Martin Bongo) et en Côte d’Ivoire (André Salifou, déjà cité). Il a également ouvert trois nouveaux bureaux de liaison : Kinshasa, Abidjan et Bangui.
Toujours depuis son installation, Essy a oeuvré, avec ses principaux collaborateurs, à tracer les contours des différents organes de la future Union africaine, à commencer par celui qui suscite le plus de convoitises, la Commission. Pour cela, il a sollicité l’assistance du directeur général du Bureau international du travail, à Genève, qui a accepté de financer une équipe de huit consultants chargés de faire des propositions sur la structure de l’organe et ses implications financières. Selon le schéma le plus abouti, mais non encore définitif, la Commission, qui est censée remplacer l’ancien secrétariat général, sera composée de dix commissaires (cinq hommes et cinq femmes), dont un président et un vice-président, tous désignés pour quatre ans.
À la date limite du 30 mars 2003, imposée aux pays membres pour la soumission des candidatures à la présidence, l’Union africaine avait reçu les offres de service de l’ancien chef de l’État malien, Alpha Oumar Konaré, 57 ans, et de l’Ivoirien Amara Essy, 59 ans, deux hommes dont les pays – c’est un détail qui a son importance – sont à jour de leurs contributions au budget général. Deux États ont fait acte de candidature à la vice-présidence : le Rwanda et la Zambie. Et soixante-douze Africains des deux sexes briguent les huit postes restant au sein de la Commission.
Essy a par ailleurs activement oeuvré pour la mise en place des autres organes, notamment du Conseil économique et social (Ecosoc) et de la Cour africaine de justice. Il a ainsi organisé à Addis-Abeba, du 11 au 14 juin 2002, un forum international qui a fait des recommandations intéressantes sur la composition, la structure, les attributions, les domaines de compétence de l’Ecosoc, le processus de sélection des organisations de la société civile susceptibles d’y siéger, les relations de cette structure avec les autres organes de l’Union, son règlement intérieur. Concernant la Cour africaine de justice, les discussions d’experts se poursuivent. Mais, on sait d’ores et déjà que des recommandations sur la nature de la Cour, sa composition, sa compétence, les modalités de sa saisine, l’élection des juges, la durée de leur mandat, son budget et son règlement intérieur sont consignés dans un « document d’orientation » soumis aux chefs d’État.
Outre la révision de l’ensemble des traités de l’OUA, la création d’un Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, censé prendre le relais du Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits de la défunte OUA, le président intérimaire de l’Union africaine a ébauché une réflexion sur la mise en place éventuelle de la Banque centrale africaine, du Fonds monétaire africain et de la Banque africaine d’investissement. Les gouverneurs des Banques centrales africaines, qui ont étudié la question le 8 juillet 2002 à Durban, en appellent à la prudence. « Pour lancer des initiatives aussi importantes, il faut des préalables économiques et une politique de convergence monétaire, explique Amara Essy. Il faudra donc, pour le moment, se contenter de laisser les institutions existantes telles que la Banque africaine de développement jouer, éventuellement, le rôle de banque d’investissement. » Autant dire que les trois institutions financières ne verront probablement pas le jour avant une bonne… vingtaine d’années.
À condition, toutefois, de procéder à un vigoureux assainissement des économies africaines, de consolider les organes de l’Union africaine naissante, de renflouer ses comptes qui accusaient, à la mi-juin 2003, près de 60 millions de dollars d’arriérés de contributions.

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