Un chantier titanesque

Rénovation du centre, aménagement de nouveaux quartiers, modernisation du port… D’ici peu, les Doualais ne reconnaîtront plus leur ville.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 7 minutes.

De 1853 à 1870, le baron Georges-Eugène Haussmann, préfet de la Seine, transforma radicalement Paris, perçant en son centre de larges avenues et rattachant à la ville une partie notable de sa banlieue d’alors. Est-ce à ce grand commis du Second Empire français que songe le colonel Édouard Etonde Ekoto quand, de la fenêtre de son salon, il voit des centaines d’ouvriers remodeler à la pelle l’avenue qui s’ouvre devant lui ? Délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Douala, Etonde peut compter sur l’argent public pour transformer la ville. De fait, les subsides de l’initiative de réduction de la dette en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) se sont déversés dans les rues défoncées de la cité, dans ses caniveaux obstrués, dans ses ruelles obscures…
Le carnet de commandes est impressionnant : une quinzaine de grandes rues, réparties sur cinq arrondissements, sont en cours de réhabilitation, chaussée et caniveaux. Les deux zones industrielles seront bientôt désenclavées grâce à la rénovation et au doublement des voies des boulevards qui les desservent. Coût : 145 millions d’euros. Trois grandes artères ont été refaites à neuf, une trentaine d’autres doivent être rénovées en urgence, pour un montant d’environ 60 millions d’euros. Au total, quelque 210 millions d’euros seront consacrés au mieux-être des Doualais, continentaux et insulaires, l’île de Manoka, le sixième arrondissement de la ville, ayant été pourvue d’un groupe électrogène. Mais les projets titanesques de Douala ne se limitent pas à la voirie. Pour le réaménagement total de l’agglomération, le budget nécessaire est estimé à 6 milliards de dollars ! Soit plus que le montant de la dette camerounaise annulée par les institutions de Bretton Woods et les créanciers publics du Club de Paris, estimée à environ 4 milliards de dollars.
Le pari est effectivement haussmannien : rénovation du centre-ville, création de nouveaux quartiers et d’une rocade de délestage, triplement des ponts sur le fleuve Wouri, extension du port jusqu’à Limbé (à 20 km de Douala)… Même les transports en commun font l’objet d’études de modernisation, impliquant moyens fluviaux et ferroviaires ! Pour certains projets, le feu vert des administrations de tutelle se fait attendre. Mais trois chantiers sont d’ores et déjà lancés.
Centre-ville. L’idée est de le reconstruire en densifiant l’habitat. Vestige de l’implantation des Allemands sur le plateau, on y retrouve aujourd’hui de nombreuses administrations abritées par des bâtiments de style colonial au beau milieu d’hectares de verdure. La Communauté urbaine a négocié avec l’État et les autres propriétaires, dont l’évêché, pour récupérer certains terrains. Parmi les projets annoncés, on parle d’un établissement de standing géré par une chaîne internationale, « comprenant 600 chambres de grand luxe qui tireront l’hôtellerie locale vers le haut », précise Jean-Jacques Pin, membre du cabinet allemand Philipp Holzmann chargé de trouver des investisseurs. De grandes firmes devraient également construire leurs bureaux dans le centre, telle la Cameroon’s Oil Transportation Company (Cotco), qui a fait la demande d’un terrain dans le périmètre, ou Total, qui dispose déjà du sien. Suivront, selon le principe du BOT (Build, Operate and Transfer), la construction d’un stade de 40 000 places conçu par Claude Constantini, l’homme qui a réalisé le Stade de France, ainsi que la transformation de l’évêché et de ses écoles.
Sawa Beach. C’est le premier quartier neuf qui verra le jour en contrebas du plateau, au sud du port. Une langue de 1 000 hectares et longue de 12 kilomètres comprenant un canal reliant entre eux plusieurs petits lacs artificiels bordés d’espaces verts, un centre urbain et d’affaires, et plus de 800 000 m2 de logements. Le principe est de restaurer l’accès à la mer, chère aux Doualais, qui furent progressivement séparés de la côte par la construction du port.
Nouveaux quartiers. D’autres quartiers, de moindre ambition, sont prévus. Le premier d’entre eux, La Grande Trame, a été viabilisé à la périphérie ouest de la ville. La centaine d’hectares n’attendent plus que la concrétisation des projets immobiliers. La Société d’aménagement de Douala (SAD), société d’économie mixte dont la Communauté urbaine détient 55 %, a réussi à dégager des titres de propriétés en bonne et due forme de terrains autrefois détenus par des communautés villageoises, c’est-à-dire par tout le monde et personne. Ces terrains ont été viabilisés sur financement de la Coopération française, leur vente devant permettre de répéter l’opération sur d’autres sites. « Je les cherche déjà », explique Manfred Mbassa, directeur général de la SAD. Il sait qu’en amont l’Agence de développement de Douala (ADD) a déjà trouvé ces nouveaux sites. On parle de 125 hectares à la sortie est de la ville. Une centaine d’autres pourraient également être viabilisés à l’ouest tandis qu’une grosse opération de 500 hectares est à l’étude au nord-est, sur la route d’Edéa. « Nous avons promis 5 000 hectares à la SAD, elle les aura, confirme Georges Edimo Mongory, patron de l’ADD. Notre problème est que l’argent rentre moins vite que les projets ne sortent… »
À échéance un peu plus lointaine se profilent trois autres chantiers : l’aménagement de Manoka, tout d’abord. L’estuaire du Wouri est bordé de superbes mangroves. Manoka est la plus grande des îles-mangroves et comporte une vaste zone constructible. La Communauté urbaine de Douala a donc imaginé d’en faire « la » zone touristique de la ville et a dessiné à cet effet un avant-projet d’aménagement intégrant des aires de loisirs aux activités aquatiques (pêche, élevage de crocodiles et de crevettes). Des hommes d’affaires sud-africains seraient déjà venus repérer les lieux.
Encore plus ambitieuse est la transformation du port de Douala en « hub » sous-régional. À vrai dire, le site l’est déjà, mais pour le bois ou le coton. Il traite en effet, outre les bois camerounais, ceux de Centrafrique et ceux du Congo. Mais là s’arrête son rôle international. Car, pour le reste, le tirant d’eau du port est insuffisant : à marée haute, le chenal autorise la venue de navires tirant 7,50 mètres. « Nous pouvons creuser encore jusqu’à 10 mètres, confie Siyam Siwé, directeur général du port. Les techniciens nous déconseillent d’aller au-delà. » Si bien que le port de Douala ne pourra jamais accueillir les très gros navires de la nouvelle génération, censés abaisser notablement le coût des transports intercontinentaux.
De ce constat est venue l’idée de construire un deuxième site portuaire à Limbé (ex-Victoria), où n’existe pas de plateau continental sous-marin et donc susceptible d’accueillir des navires de fort tonnage. Le futur port comprendrait ainsi deux installations se complétant, le port de Kribi au Sud, se spécialisant en outre dans le fret minéralier et les hydrocarbures. À Limbé, le projet prévoit la construction d’un quai de 390 m de long, le dragage de 590 000 m3 de matériaux et la réalisation de 11 hectares de terre-pleins. Il permettra également de réaliser un brise-lames d’une longueur de 700 m, 3 500 m2 de bureaux et 12 000 m2 d’ateliers. Principal opérateur, le Chantier naval et industriel du Cameroun (CNIC), qui va y implanter un yard de réparation de plates-formes pétrolières, a obtenu le 3 juin dernier un prêt de 45,4 millions de dollars de la Banque africaine de développement (BAD). Cette activité devrait générer 3 000 emplois directs. Mais le débat est loin d’être clos, car le Port autonome de Douala (PAD) sort à peine d’une cure intense de modernisation et certains hésitent à relancer immédiatement d’autres travaux. Le PAD fut en effet le grand malade de l’économie camerounaise : la corruption y était reine, augmentant des délais de transit rendus déjà colossaux par le délabrement des infrastructures et la lenteur des déchargements. Quand le pays demanda à bénéficier de l’initiative PPTE, la Banque mondiale fit de la rénovation du port la priorité des priorités. C’est chose quasiment accomplie. Deux portiques permettent le déchargement rapide des navires, le parc à conteneurs a été réaménagé, les accès ont été améliorés. En matière d’équipement, il ne reste plus qu’à rénover les quais eux-mêmes. La gestion aussi reste à parfaire, via le bouclage des privatisations. L’administration a déjà créé un guichet unique : fini les multiples autorisations et vérifications. Le port peut désormais dé-douaner un conteneur en quelques heures.
Enfin, le pont sur le fleuve Wouri, qui relie Douala au sud-ouest et à l’ouest du pays, va être réhabilité pour un montant de 13 milliards de F CFA (19 millions d’euros). Selon la municipalité de Douala, 33 000 véhicules, dont un tiers de taxis, empruntent chaque jour cet ouvrage construit au début des années cinquante. Les travaux sont cofinancés par l’Agence française de développement (pour 7 milliards de F CFA) et le ministère des Travaux publics sur fonds PPTE. Le renforcement des fondations et du tablier va débuter en août et durera vingt-huit mois. La Communauté urbaine envisage par ailleurs de bâtir un deuxième pont. Réalisé là encore en BOT, celui-ci s’annonce à péage. Il est vrai que les embouteillages sur le seul pont existant sont légendaires et que beaucoup seraient prêts à payer le prix pour gagner du temps. Mais à plus long terme, certains pensent déjà à construire un troisième pont, beaucoup plus en amont, permettant de boucler un boulevard périphérique désengorgeant le centre-ville où transitent des poids lourds desservant le port. Vaste chantier donc, que le Douala des années à venir. Le colonel Etonde Ekoto fera-t-il aussi bien qu’Haussmann qui changea Paris en moins de dix-sept ans… juste avant d’être débarqué par le gouvernement car jugé trop dépensier ?

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