Sus aux subventions

Les pays d’Afrique centrale et de l’Ouest ont choisi, du 16 au 19 juin à Ouagadougou, d’unir leurs forces pour lutter contre les aides accordées par les nations riches à leurs producteurs.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 6 minutes.

Les pays d’Afrique de l’Ouest lancent une offensive généralisée. Objectif : défendre leur coton malmené par les subventions des pays riches à leurs propres producteurs. La capitale burkinabè, Ouagadougou, a accueilli, du 16 au 19 juin, une réunion de concertation régionale sur la filière, à l’initiative de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Les ministres concernés sont entrés dans le bal le 18 juin, après que les experts du secteur eurent déblayé le terrain les 16 et 17 juin. Une semaine plus tôt, le 10 juin, le président burkinabè Blaise Compaoré s’était rendu en Suisse, au siège de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pour se faire l’avocat des pays producteurs de coton d’Afrique de l’Ouest et centrale. Cette visite spectaculaire d’un chef d’État dans les bureaux de l’organisation qui fixe les règles du commerce international venait en appui de l’initiative sectorielle en faveur du coton pour la réduction de la pauvreté, une proposition déposée le 30 avril dernier par le Bénin, le Burkina, le Mali et le Tchad (voir encadré).
Plutôt timorés lorsqu’il s’agit de défendre activement leurs intérêts, les Africains se sont, cette fois-ci, mobilisés au plus haut niveau sur la question du coton, au point de ne pas exclure un recours juridique auprès de l’Organe de règlement des différends de l’OMC contre les puissants États-Unis et la non moins puissante Union européenne. Il y a « le feu dans la maison ». Les délégués présents dans la salle de conférences du complexe Ouaga 2000 ont tiré la sonnette d’alarme. « Les pays d’Afrique de l’Ouest et centrale ont consenti d’importants sacrifices pour s’ajuster aux objectifs de libéralisation du commerce définis par l’OMC. Cependant, ces efforts sont aujourd’hui annihilés par le maintien dans certains pays membres puissants de l’OMC des mesures de soutien qui produisent des effets de distorsion importants sur les cours mondiaux du coton. Et cela en contradiction avec les objectifs fondamentaux de cette organisation. Face à cette situation, des voies et des moyens doivent être mis en oeuvre pour supprimer des subventions qui détruisent nos économies et les moyens de subsistance de plusieurs millions d’habitants », a déclaré, dans son discours d’ouverture, le président de la Commission de l’UEMOA Moussa Touré.
Du côté des producteurs de coton, les choses sont dites sans fioritures : « Les subventions peuvent faire disparaître en deux ans le coton dans la région. La seule solution est de les supprimer. Pour gagner, il ne s’agit pas de faire semblant, il faut une vraie union. Si on n’y parvient pas, l’UEMOA aura failli à sa mission », avertit François Traoré, le remuant président de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina. Élaborer une stratégie commune à tous les grands pays producteurs de la région, avant la conférence de l’OMC à Cancún (Mexique), du 10 au 14 septembre prochain, c’est bien la condition pour donner une petite chance de succès au bras de fer engagé par les Africains contre les pays riches.
Le rôle primordial joué par la production et l’exportation de coton dans les économies peu diversifiées de l’Afrique de l’Ouest a été souligné par tous les intervenants. Au Bénin, au Burkina, au Mali, au Tchad et au Togo, la production de coton représente 5 % à 10 % du Produit intérieur brut (PIB), et près de douze millions de personnes dépendent directement de cette filière. Les exportations de coton sont aussi des sources précieuses de devises, puisqu’elles fournissent près de 30 % des recettes d’exportations totales et plus de 60 % des recettes d’exportations agricoles. Ces pays se sont lancés à corps perdu dans l’or blanc au moment des grandes réformes structurelles des deux dernières décennies. La production des pays de l’Afrique de l’Ouest et centrale est passée de 200 000 à près de 1 million de tonnes. L’ensemble de ces pays africains se classe actuellement au sixième rang mondial pour la production et est le troisième exportateur mondial (15 % du total), derrière les États-Unis et presque à égalité avec l’Ouzbékistan. C’est donc la success story la plus marquante qu’a connue cette région au cours des dix dernières années qui se transforme aujourd’hui en cauchemar et fait sortir de leurs gonds même les ambassadeurs africains à Genève et à Bruxelles.
Présents à Ouagadougou, ces diplomates ont la tâche délicate de défendre les intérêts de la région en poussant les États-Unis et l’Union européenne (UE) à amender leurs pratiques jugées déloyales sur le marché international. « Les Américains et les Européens subventionnent impunément leurs producteurs, alors que nous avons, de notre côté, démantelé nos structures de soutien », a lâché Abderahim Yacoub Ndiaye, l’ambassadeur du Tchad à Bruxelles. L’état des lieux dressé notamment par le Comité consultatif international sur le coton (CCIC) est accablant. Pour Gerald Estur, le représentant de cet organisme intergouvernemental à la réunion de Ouagadougou, « c’est la campagne cotonnière 2001-2002 qui a été la plus noire pour les producteurs africains. Les cours internationaux du coton ont atteint leur niveau le plus bas depuis trente ans, en monnaie courante et en termes réels, depuis l’invention de l’égreneuse en 1793. » Cet effondrement n’était pas le fruit du hasard. Les subventions accordées par le gouvernement américain à ses producteurs se sont chiffrées à 2,3 milliards de dollars (1,9 milliard d’euros).
L’UE octroie de son côté près de 700 millions de dollars par an aux producteurs de coton d’Espagne et de Grèce, à travers un mécanisme de soutien des prix. Les producteurs de ces deux pays ont reçu en 2001-2002 un soutien équivalant à 180 % et à 160 % du cours du marché, contre 60 % pour les producteurs américains, selon les calculs du CCIC. L’UE est donc le champion des subventions par kilo de coton, les États-Unis détenant la palme pour la valeur totale des mesures de soutien. Dans les deux cas, il s’agit d’un encouragement à une production effrénée, qui fait plonger le prix du coton-graine sur le marché international. Une étude récente a évalué à 250 millions de dollars la perte des recettes d’exportation des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale, causée par les subventions durant la seule campagne 2001-2002. Louis Goreux, auteur d’une étude sur les préjudices causés par ces mesures de soutien, l’expose clairement : « Produire le coton en Espagne et en Grèce a coûté trois fois plus cher que de l’importer. » Sans les subventions, une telle anomalie économique serait impossible. Les pays industrialisés ne disposant pas d’un avantage comparatif dans la culture du coton, ils sortiraient du marché. Aux États-Unis, le coût de production par kilo de coton dépasse de 50 % celui des pays africains.
La concurrence déloyale de la part de pays riches, chantres traditionnels du libéralisme, est d’autant moins défendable que la baisse de la rentabilité de l’activité cotonnière qui en résulte est un enjeu de survie pour certaines économies africaines, alors que les subventions des États-Unis et de l’UE ne bénéficient qu’à une poignée de grands producteurs. La moitié de la production américaine provient d’exploitations de plus de 1 000 acres (405 ha). Au Bénin, la taille de l’exploitation moyenne en 2001 et 2002 était de 5,3 ha, dont 2,3 ha plantés en coton, les trois restants étant plantés en cultures vivrières pour la consommation des familles. Et le coton fournit jusqu’à 70 % des revenus ruraux dans le Nord-Bénin.
Les subventions américaines, qui bénéficient à environ 25 000 producteurs, dépassent de 60 % le Produit national brut du Burkina. Un planteur burkinabè du village de Logokourani, interrogé par l’ONG britannique Oxfam en septembre 2002, résumait ainsi l’enjeu : « Le coton ici, c’est tout. Ça sert à construire nos écoles et nos centres de santé. Si les prix sont bas, nous n’avons aucun espoir pour l’avenir ». Les autorités politiques américaines et européennes seront-elles sensibles à cette complainte ? Elles proclament le jour leur engagement auprès des pays démunis et court-circuitent la nuit les efforts de ces économies dans les rares niches où elles sont compétitives. Non loin de la salle de conférences où se concertent experts, ministres et hauts fonctionnaires, les Ouagalais ordinaires, ébranlés par l’incendie du marché central de Rood Wooko le 27 mai, vaquent à leurs occupations. En espérant ne pas continuer à filer un mauvais coton.

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