Séguin, par Séguin

En retrait de la vie politique française, le « grognard du gaullisme » revient sur son par cours.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

Longtemps promis à un brillant avenir, Philippe Séguin n’a pas eu la carrière qu’il méritait et que ses supporteurs espéraient. Une seule fois ministre (entre 1986 et 1988), et président de l’Assemblée nationale pendant quatre ans (de 1993 à la dissolution de 1997), l’ombrageux « grognard du gaullisme » a manqué ses rendez-vous avec l’Histoire. D’échecs militants en déconvenues électorales, il s’est retrouvé marginalisé. En abandonnant ses derniers mandats électifs, au lendemain de la présidentielle de 2002, il a fait mine de prendre définitivement congé de la vie politique. Et c’est au moment où on le pensait « hors course » que Philippe Séguin a choisi de redescendre dans l’arène en signant un pavé de plus de 600 pages. Ce livre de mémoires est plus une manière de faire le point sur son parcours qu’une réponse à ses détracteurs.
Homme de fidélité et de convictions, Philippe Séguin ne regrette rien. Il assume ses choix comme ses défaites. Le gaullisme qui l’habite viscéralement procède chez lui de la piété filiale. En 1943, à la libération de la Tunisie par les alliés, son père Robert s’est engagé dans les Forces françaises libres. Il est tué le 7 septembre 1944 du côté de Besançon. La mémoire de ce père, honnête et patriote, qu’il n’a pratiquement jamais connu, va énormément compter dans son itinéraire.
En 1965, à la veille de la présidentielle de décembre, Philippe Séguin franchit le pas et adhère à l’UNR, l’ancêtre du RPR. Entré à Sciences-Po Aix la même année, après une licence d’histoire et des piges pour le quotidien Le Provençal, il prépare le concours de l’École normale d’administration. Il l’obtient en 1967, et, à sa sortie de l’école, trois ans après, il intègre la Cour des comptes. En 1973, convoqué par le secrétaire général de l’Élysée, Michel Jobert, il est nommé conseiller du président Pompidou, en charge de l’agriculture. Placé sous l’autorité d’Édouard Balladur, le nouveau secrétaire général – Jobert venant d’être appelé au Quai d’Orsay -, Philippe Séguin fait la connaissance du jeune ministre de l’Agriculture de l’époque, un certain Jacques Chirac.
Bien des malentendus et des rancunes tenaces vont, par la suite, séparer les deux hommes. Chirac, le tacticien calculateur et opportuniste, n’a jamais véritablement compris le volubile Séguin, passionné et hanté par la geste gaullienne. Le jugeant trop entier, trop orgueilleux, bref, imprévisible, il n’aura de cesse de s’en méfier. Et, même s’il lui doit beaucoup, notamment l’inspiration de sa campagne victorieuse de la présidentielle de 1995, il ne se privera jamais de lui ménager des chausse-trappes.
Parachuté candidat aux législatives de 1978 dans une circonscription « ingagnable », à Épinal, dans les Vosges, Séguin laboure le terrain, et triomphe à la surprise générale. Il découvre le travail parlementaire, y prend goût. Quand il est appelé au gouvernement, pendant la cohabitation de 1986, ses convictions sont mises à rude épreuve. Le libéralisme tient alors le haut du pavé, et Séguin hérite du portefeuille explosif des Affaires sociales. Il s’en tire avec brio, impulsant des réformes équilibrées, dont la plupart n’ont pas été défaites par les gouvernements qui se sont succédé après 1988.
Le député des Vosges connaît son heure de gloire pendant l’été 1992, quand il bataille contre la ratification du traité de Maastricht. Héraut du « non » aux abandons de souveraineté et donc à la monnaie unique, il est reconnu et adoubé par François Mitterrand en personne, qui l’invite à lui apporter la contradiction dans le cadre d’un débat télévisé.
En mars 1993, la droite triomphe aux législatives, et Séguin accède au « perchoir », la présidence de l’Assemblée nationale, devenant, protocolairement, le quatrième personnage de l’État.
En 1995, il met tout son poids dans la balance pour faire gagner un Chirac qu’il présente comme le champion de la lutte contre la fracture sociale, héraut d’un gaullisme populaire et transcendant les clivages traditionnels. Las. Une fois marquée la différence avec l’autre candidat conservateur, Édouard Balladur, Chirac se ravise, et, avant même le premier tour, infléchit nettement son discours. Et c’est Juppé qui se retrouvera à Matignon, se chargeant de solder à sa façon les belles promesses de la campagne. La suite est connue. La dissolution. L’éclipse de Juppé et la revanche de Séguin, qui enlève la présidence du RPR en juillet 1997.
Instruit par le fâcheux précédent Balladur, convaincu que Séguin se posera en rival à la présidentielle de 2002, Chirac torpille son action à la tête du parti gaulliste. Pour Séguin, c’en est trop. Il rend son tablier le 16 avril 1999, en pleine campagne pour les élections européennes.
Un an plus tard, redevenu « simple militant », il déclare son intérêt pour la mairie de Paris. Ironie de l’histoire, c’est un autre natif de Tunisie, le socialiste Bertrand Delanoë, qui triomphe. Séguin, marqué par son échec, prend du champ, part enseigner la géopolitique à Montréal, au Québec, chez les cousins francophones d’Amérique.
La transformation du RPR en un grand parti de droite, l’UMP, lui donne l’occasion de couper définitivement les ponts avec ses anciens amis. Retourné à la Cour des comptes, nommé chef de la délégation française au Bureau international du travail, à Genève, il savoure son temps retrouvé. Libre de s’exprimer sans avoir de comptes à rendre, il développe et affine ses réflexions. Sur la refonte nécessaire des institutions, le régime présidentiel étant le seul, à ses yeux, capable de réconcilier durablement les Français et la politique. Ou sur la mondialisation. Ses compagnons de route le considèrent comme un homme fini ? Il s’en moque royalement. « Je n’ai plus à perdre mon temps dans de mesquines querelles d’appareil. Mais je reste fidèle à mes idées. Le débat public est tellement peu encombré que j’arrive sans difficulté à continuer à les faire entendre, l’accueil réservé à mon bouquin le prouve amplement… »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires