Qui après Nahnah ?

Le chef du MSP (ex-Hamas) est décédé d’une leucémie le 19 juin. Sa succession suscite bien des inquiétudes.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

Sa dernière apparition publique remonte au 18 mars, lors du VIIIe Congrès du Front de libération nationale (FLN), auquel l’avait invité Ali Benflis, le secrétaire général du parti (et ancien Premier ministre). Installé au côté du syndicaliste Abdelmadjid Sidi Saïd, patron de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), et de l’ancien Premier ministre Réda Malek, aujourd’hui chef de l’Alliance nationale républicaine (ANR), Mahfoud Nahnah, 61 ans, avait donné l’impression d’être très, très fatigué. Amaigri, le geste peu sûr, le chef charismatique du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas) n’était plus que l’ombre de lui-même. Tout le monde s’en était aperçu, mais personne ne soupçonnait la gravité de son mal : leucémie.
Début avril, Nahnah est reçu, à sa demande, par le président Abdelaziz Bouteflika, au palais d’El-Mouradia. A priori, la rencontre n’a rien d’exceptionnel : les deux hommes se voient régulièrement pour confronter leurs points de vue sur les grandes questions politiques de l’heure. Et, de fait, le chef de l’État informe son interlocuteur de son intention de remplacer Benflis à la tête du gouvernement. Nahnah l’assure que le MSP, qui est membre de la coalition gouvernementale, n’y voit pas vraiment d’objection. À la fin de l’entretien, il évoque enfin la vraie raison de sa visite : son état de santé. « Mes jours sont comptés », laisse-t-il entendre au président. Celui-ci est effondré et ses sentiments ne sont pas feints. Il n’a pas oublié le rôle de premier plan joué par le chef du MSP dans la crise qui a secoué le pays pendant les années quatre-vingt-dix. Et dont les conséquences sont encore loin d’être effacées.
Nahnah ne sollicite aucune faveur, mais Boutef s’empresse de mettre un avion à sa disposition en vue de son évacuation d’urgence et l’informe que l’État prendra en charge ses frais d’hospitalisation dans une clinique parisienne. Deux mois plus tard, le 11 juin, le Falcon présidentiel se pose sur le tarmac de l’aéroport militaire de Boufarik. Nahnah sort de l’appareil sur une civière. Ses médecins français en sont apparemment arrivés à la conclusion que son état est sans espoir. Et qu’il n’y a plus grand-chose à faire pour le sauver. La nouvelle fait le tour du pays et le malade est assailli par une foule de visiteurs, parmi lesquels Boutef et Ahmed Ouyahia, son nouveau Premier ministre. Simple geste protocolaire ? Pas sûr. La disparition du chef du MSP aura en effet de sérieuses conséquences sur la scène politique algérienne. D’où cet homme tire-t-il son importance ? De son parcours d’islamiste atypique ? De ses concessions au pouvoir que certains présentent, un peu vite, comme des compromissions ?
Né à Blida en janvier 1942, Mahfoud Nahnah n’avait jamais fait mystère de son opposition aux orientations prises par le régime algérien après l’indépendance. Proche des Frères musulmans, cette association transnationale créée en 1928, en Égypte, par Hassan el-Bana (il finira par en être le représentant en Algérie), il prônait l’islamisation de la société par le bas. À l’inverse des salafistes, favorables à la prise du pouvoir par tous les moyens, y compris insurrectionnels.
Tout en rondeurs, la barbe poivre et sel toujours impeccablement taillée, ce n’était pas un adepte du look islamiste traditionnel. « Si le Prophète Mohammed vivait aujourd’hui, il s’habillerait en alpaga », disait-il volontiers. Son sens de la formule-choc avait largement contribué à sa popularité et avait fini par rendre sinon l’islamisme dans son ensemble, du moins l’obédience qu’il représentait, presque présentable. Au terme de démocratie, il préférait celui de « chouracratie », « choura » signifiant « consultation ». Moins violent, moins intolérant, plus à l’écoute des autres que la plupart de ses « collègues », Nahnah avait eu le courage de rejeter l’appel des sirènes du Front islamique du salut (FIS), qui, en faisant le choix de la lutte armée, a fait sombrer le pays dans le chaos. Sa conviction que l’islamisme ne s’oppose pas nécessairement aux valeurs républicaines lui avait valu le soutien de Washington, l’administration Clinton allant jusqu’à conseiller au pouvoir algérien de l’associer à la gestion des affaires du pays. De fait, depuis décembre 1996, le MSP a toujours été représenté au gouvernement.
Le décès de Nahnah intervient dans une conjoncture rendue délicate par la proximité de l’élection présidentielle (dans dix mois), le retour annoncé d’Abassi Madani et d’Ali Benhadj – les deux grandes figures de l’islamisme radical, qui achèvent de purger une peine de douze ans d’emprisonnement -, et la crise qui secoue actuellement le FLN, tiraillé entre les fidèles de Bouteflika et ceux qui militent pour une candidature de Benflis à la présidentielle. Mais la question la plus urgente est évidemment celle de la succession de Nahnah.
Celui-ci était en effet bien davantage que le président du MSP : il en était l’incarnation. « Il est difficile d’imaginer le Hamas [l’ancien nom du parti, qui a retrouvé les faveurs de nombre de militants] sans le cheikh, confirme Amar Ghoul, ministre des Travaux publics et successeur potentiel. Pour l’instant, la pudeur nous impose d’évacuer la question de son remplacement. » Dans l’immédiat, c’est le vice-président Farid Habbaz qui assure l’intérim. Député d’el-Oued, dans le Grand Sud, cet ancien directeur de cabinet de Nahnah ne dispose pas d’une influence considérable sur la base du parti, mais son long compagnonnage avec le cheikh lui confère un avantage certain sur les autres prétendants, tels Bouguera Soltani, l’ancien ministre de l’Industrie, qui représente l’aile radicale, ou Abderezzak Mokri, le président du groupe parlementaire. Le troisième congrès du MSP devait se tenir au mois de juillet, mais a été reporté à une date ultérieure. C’est lui qui devra trancher la question de la succession. Nul doute que ses travaux seront suivis par le pouvoir avec la plus grande attention.

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