Quand Mohammed épouse Marianne

Après le Conseil français du culte musulman, voici son pendant laïc, le CFML. Entretien avec l’un des cofondateurs, Amo Ferhati.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

Trois semaines après l’élection du Conseil français du culte musulman (CFCM), Amo Ferhati, conseiller de la secrétaire d’État au Développement durable, Tokya Saïfi – et son époux dans la vie -, a annoncé la naissance du Conseil français des musulmans laïcs (CFML) au cours d’un « congrès fondateur » qui s’est tenu le 24 mai à Paris. Objectif : séparer le politique du religieux et empêcher le CFCM, dominé par les « fondamentalistes » de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France), comme l’ont confirmé les élections des instances régionales du Conseil, le 15 juin, de présider seul aux destinées d’une communauté jugée majoritairement laïque. Amo Ferhati s’enorgueillit déjà d’avoir rallié à sa cause cinq cents associations et de nombreuses personnalités, dont le mufti de Marseille Soheib Ben Cheikh, l’universitaire Ali Bouamama, ou l’ex-députée européenne Djida Tazdaït.
Mais le fait que cette nouvelle instance ait vu le jour à l’initiative de la secrétaire d’État et de son mari n’est pas du goût de tout le monde. Certains n’hésitent pas à conclure à une manoeuvre de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), le parti de la majorité présidentielle, voire à un « coup » politique du couple Ferhati-Saïfi. Les mêmes estiment que le CFML risque d’être une source de clivage supplémentaire au sein de la communauté musulmane. Les électrons libres dénoncent, quant à eux, une énième tentative de cloisonnement de la communauté : « On ne lutte pas contre le communautarisme en communautarisant », s’insurgent-ils. Autant de critiques auxquelles Amo Ferhati a bien voulu répondre pour J.A.I.
J.A./L’INTELLIGENT : Qu’estce que le CFML ?
AMO FERHATI : C’est un mouvement associatif en cours d’organisation. Nous n’avons pas encore de statut ni de bureau, mais nous allons mettre en place une direction nationale de cent délégués dès le mois de juillet. Notre objectif est d’exprimer le point de vue de la classe moyenne issue de l’immigration, qui ne s’estime pas concernée par les mesures théologiques et qui aspire à vivre au sein d’une communauté nationale laïque. Nous voulons prouver qu’une séparation du religieux et du politique est possible.

J.A.I. : Dans le cadre de l’islam français seulement ?
A.F. : Non. C’est une réponse valable pour l’islam en général. Nous assistons, depuis le 11 septembre, à une tentative de mise sous tutelle du monde arabe, accompagnée d’une campagne de dénigrement dirigée contre l’islam. Or la seule façon de réhabiliter cette religion est de la réconcilier avec la laïcité.

la suite après cette publicité

J.A.I. : Peut-on être à la fois laïc et musulman ?
A.F. : Pourquoi pas ? Ces deux mots désignent une réalité sociale, celle d’une classe moyenne qui se considère de culture musulmane sans forcément se sentir concernée par le culte.

J.A.I. : Peut-on voir dans la création du CFML une réponse à celle du CFCM ?
A.F. : Je porte l’idée de la laïcité depuis quinze ans. L’écrasante majorité des citoyens musulmans n’a pas été consultée au moment de l’élection du CFCM. Or nous ne voulons pas que les imams lancent une OPA sur l’islam de France. Nous avons donc créé son pendant laïc, tout simplement.

J.A.I. : Êtes-vous en contact avec les élus du CFCM ?
A.F. : Je me suis entretenu avec son président, Dalil Boubakeur, et l’un de ses vice-présidents, Mohamed Bechari, qui se disent favorables à notre démarche. Tout le monde comprend que l’organisation de la communauté est une fusée à deux étages : le CFCM et nous. Je précise qu’il ne s’agit pas de s’opposer au CFCM mais de le compléter. Ils interviennent sur le culte privé, nous sur les affaires de la cité.

J.A.I. : Votre initiative fragilise quand même l’institution religieuse
A.F. : C’est faux. Nous soutenons l’institution religieuse et nous nous réjouissons que l’islam soit enfin reconnu dans ce pays. Mais cela ne nous empêche pas de diversifier les courants, je dirais même de nous porter garants du Conseil musulman. D’ailleurs, nous avons l’intention de participer au vote du CFCM dans quatre ans.

la suite après cette publicité

J.A.I. : Le CFML a-t-il un lien avec l’UMP ?
A.F. : Aucun. C’est un mouvement républicain tout à fait indépendant.

J.A.I. : Cela dit, vous n’êtes plus de gauche…
A.F. : C’est vrai, mais nous ne sommes pas programmés génétiquement pour voter systématiquement à gauche. Je dénonce la réalité « raciste » d’une gauche qui nous culpabilise et pour qui tous les Arabes doivent être de son bord. Aujourd’hui, il y a une classe moyenne musulmane qui a les moyens de se déterminer librement. Notre objectif est de travailler pour l’émergence d’une élite politique et associative dans les quartiers, quelle qu’en soit l’obédience.

la suite après cette publicité

J.A.I. : Comment expliquer le cafouillage qui a entouré votre premier congrès en raison du refus du conseil général d’Ile-de-France de vous prêter sa salle ?
A.F. : J’avais obtenu tous les accords pour la salle du conseil général, mais j’ai refusé d’inviter les responsables des partis politiques, dont le socialiste Jean-Paul Huchon, président dudit conseil général. Il a prétendu n’avoir pas été prévenu de notre initiative et s’est vengé en nous retirant la salle. Il a publié son communiqué de presse avant que je puisse publier le mien, et je n’ai pas pu m’exprimer sur ce qui s’est réellement passé. J’ai dû mettre de ma poche 5 000 euros pour louer la maison de la Chimie.

J.A.I. : Le CFML n’est-il pas une façon de cloisonner un peu plus la communauté ?
A.F. : Cinq millions de musulmans laïcs, c’est une réalité tangible. Il s’agit de la nommer et d’en affirmer l’existence. Ce n’est pas communautariser, c’est républicaniser. Pourquoi ne dit-on pas que le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) communautarise les juifs ? Je vois là une forme de ségrégation vis-à-vis de notre communauté à qui on dénie le droit de se désigner comme telle.

J.A.I. : Une obédience de plus peut diviser les musulmans…
A.F. : Au contraire. Celle-ci est de nature à les rendre visibles, à prouver leur dynamisme et leur diversité. Je comprends que cela puisse déranger

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires