Purge préventive

Le président Museveni a écarté les ministres ouvertement hostiles à la réforme de la Constitution qui lui permettrait de briguer un troisième mandat.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Le docteur Specioza Wandira Kazibwe était l’une des femmes les plus haut placées d’Afrique. Elle redeviendra bientôt simple étudiante. Si l’on en croit ses déclarations au lendemain de sa démission, à la fin mai. C’est en effet pour des raisons personnelles et dans le but d’obtenir un PhD en médecine à l’université Harvard (États-Unis) que la numéro deux ougandaise – qui avait ravi ce poste à feu Samson Kisekka en 1994 – a officiellement quitté la vice-présidence de l’Ouganda.
On laisse cependant entendre à Kampala que la démission de celle que l’on surnomme « Spe » aurait été fortement « suggérée » par le président Museveni. C’est d’autant plus probable que le remaniement ministériel du 23 mai a été l’occasion pour le chef de l’État, au pouvoir depuis seize ans, de se débarrasser des ministres les plus ouvertement opposés à une modification de la Constitution qui lui permettrait de briguer un troisième mandat. Le Premier ministre adjoint et ministre de l’Intérieur Eriya Kategaya (ami d’enfance et compagnon de route de Museveni), les ministres des gouvernements locaux Jaberi Bidandi Ssali (cofondateur en 1980 de l’Uganda Patriotic Movement, premier parti de Museveni) ou de l’Intégrité et de l’Éthique Miria Matembe ont ainsi perdu leur poste.
Cette dernière avait déclaré, le 28 mars à l’intention de Museveni : « Votre Excellence, vous devriez quitter le pouvoir tant que les gens vous aiment encore. Je vous aime et c’est pourquoi je vous le dis. Je ne vous crains pas et je vous dois la vérité. Vous devriez vous retirer en homme d’État. La Constitution ne doit pas être changée. » Beaux joueurs, les ministres écartés ont néanmoins réaffirmé leur loyauté envers le président et certifié qu’ils continueraient de s’opposer au troisième mandat tout en restant actifs au sein du Mouvement. À l’image de Specioza Kazibwe.
Femme de tête, Spe est certainement la personnalité la plus marquante à être écartée des premiers cercles du pouvoir. Sa démission signe la fin d’une vice-présidence haute en couleur. Originaire d’Iganga, mère de quatre enfants, catholique convaincue, Specioza était une habituée des colonnes du New Vision et du Monitor. Chouchou des journalistes, elle n’avait pas sa langue dans sa poche. Ainsi n’a-t-elle pas hésité à dire de ses collègues du Parlement qu’ils « portaient des chaussettes puantes ». Comme elle ne s’est pas gênée pour appeler les Ougandaises à apprendre le taekwondo pour se défendre contre la violence de leurs maris. Son fait d’arme le plus retentissant reste son médiatique divorce en février 2003. Après avoir accusé publiquement son mari Charles Kazibwe de violence et d’adultère, elle a réclamé la garde de ses enfants. Une attitude pour le moins remarquable dans une société très conservatrice.
Formée à la prestigieuse Namagunga Girls Secondary School, diplômée de l’université de Makerere, chirurgienne, Spe s’est d’abord engagée dans les rangs de l’opposition, au sein du Democratic Party. Elle a rejoint le Mouvement de Museveni trois ans après l’accession de ce dernier au pouvoir, en 1986. Et obtenu dès 1991 le portefeuille du Commerce et de l’Industrie, puis celui du Développement communautaire et, enfin, celui de l’Agriculture. Sa nomination au poste de vice-présidente a constitué, selon certains, un moyen pour Yoweri Museveni de s’attirer les bonnes grâces des femmes, des catholiques et de l’est du pays.
Aujourd’hui, elle continue d’affirmer que le Mouvement de Museveni « occupera State House bien après 2006 », car les autres partis « se méprennent et ne prendront pas le pouvoir avant cent ans ». C’est sans doute, au bout du compte, ce que souhaite Museveni. Décidé – quoique réticent – à s’ouvrir au multipartisme, il semble avoir retenu les « leçons » de l’échec de Daniel arap Moi. Et travaille déjà à écarter ceux qui pourraient lui faire de l’ombre dans la perspective de l’élection présidentielle de 2006. Mais d’ici là, Spe aura terminé son PhD à Harvard.

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