Opération Hillary

L’autobiographie de l’ex-First Lady américaine s’est déjà vendue à 600 000 exemplaires. Objectif de cette campagne : la présidentielle de 2008.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

Seuls Jean-Paul II et Ronald Reagan avaient fait (presque) aussi bien : Living History, l’écrasant pavé autobiographique – près de 700 pages ! – qu’Hillary Rodham Clinton vient de publier simultanément aux États-Unis et dans une vingtaine de pays(*) s’annonce comme un best-seller absolu. Simon & Schuster, l’éditeur américain, qui a versé à l’ex-First Lady quelque 8 millions de dollars d’avance, se déclare « très heureux ». On le serait à moins. Un premier tirage d’un million d’exemplaires (pour les seuls États-Unis) devrait être rapidement épuisé. Déjà, on en annonce un deuxième : 300 000 exemplaires. L’incroyable campagne de promotion qui a précédé la sortie du livre n’explique pas tout.
Bien sûr, l’édifiant destin d’une ingrate adolescente du Midwest devenue, en 1992, la femme la plus puissante du monde a de quoi fasciner les lecteurs (et les lectrices !). Bien sûr, cette sage, trop sage évocation de l’Amérique « prébushienne » peut combler d’aise les nostalgiques, mais l’essentiel n’est pas là. Le succès planétaire de Living History a pour ressort essentiel une curiosité concupiscente : tout le monde attendait des révélations croustillantes sur l’affaire Monica Lewinsky. Et tout le monde sera déçu. L’auteur ne consacre à la tragi-comédie qui faillit ruiner la carrière de Bill qu’une vingtaine de pages empreintes de la plus grande retenue. Il s’agit d’imposer l’image d’une grande dame ulcérée par les enfantillages et les mensonges de son inconstant mari, mais qui, surmontant sa douleur et sa déception avec une dignité au-dessus de tout éloge, décide, coûte que coûte, de sauver son mariage.
Malgré tout, la scène des aveux, le 15 août 1998, ne manque pas de piment. Harcelé par le terrible procureur Starr, Bill vient d’abandonner sa ligne de défense, désormais intenable : oui, il a entretenu une « intimité déplacée », quoique « brève et sporadique », avec la plantureuse stagiaire de la Maison Blanche (qui, soit dit en passant, anime aujourd’hui une émission sur Fox News, la chaîne de télévision ultraconservatrice de Rupert Murdoch). Arpentant à grandes enjambées la chambre conjugale, il s’en confesse à son épouse mal réveillée. « Je suis navré, je suis navré », répète le garnement pris en faute. Le sol se dérobe sous les pieds d’Hillary.
« J’en eus le souffle coupé. Je tentai de respirer, me mis à pleurer et hurlai :
– Mais qu’est-ce que tu veux dire ? Pourquoi m’as-tu menti ? »
Quelques jours plus tard, toute la famille se résout à prendre des vacances à Martha’s Vineyard, l’île des milliardaires, en Nouvelle-Angleterre. L’ambiance n’est pas franchement idyllique. Bill et Hillary font chambre à part et ne s’adressent pratiquement pas la parole. Chelsea, la fille, tente d’oublier son chagrin avec des amis de son âge. Seul Buddy, le chien, semble encore trouver plaisir à la compagnie présidentielle. Cédant aux instances amicales de Walter Cronkite, la superstar vieillissante de la télévision américaine, le couple part naviguer dans l’Atlantique. Il y a là Maurice Templesman, le dernier ami de Jackie Kennedy, à qui Hillary se confie, une nuit, « sous un ciel clouté d’étoiles ». Un projet de film a déjà été lancé, avec Sharon Stone dans le rôle principal… Vous imaginez la scène ?
Bien entendu, seule une ménagère de moins de 50 ans affligée d’un penchant immodéré pour le gin peut avaler sans sourciller de telles balivernes. Une photo prise le 25 août 1998 sur le yacht de Cronkite semble bien indiquer que la famille Clinton n’était quand même pas au bord de l’implosion. Ce n’est pas une preuve irréfutable ? Sans doute, mais comment imaginer une seconde que la toute-puissante Hillary, sorte de « vice-présidente bis » ayant la haute main sur la politique sociale du gouvernement, ait pu ignorer la réalité de la situation ? Et que la vigilance de David Kendall, l’habile et insinuant chef de son staff juridique (il est aujourd’hui l’avocat d’une pléiade de grands groupes multinationaux), ait pu être prise en défaut ? D’autant moins concevable que l’ex-First Lady n’avait plus, depuis bien longtemps, la moindre illusion sur la fidélité de son époux.
Selon Gail Sheehy, auteur en 1999 d’une biographie – non autorisée – de Hillary, celle-ci aurait, avant même son arrivée à la Maison Blanche, en 1992, entrepris de faire rechercher par un détective privé toutes les anciennes conquêtes de Bill. Vaste programme ! Prudente, elle entendait leur faire signer une déclaration sous serment selon laquelle « elles n’avaient jamais eu de relations sexuelles » avec le candidat démocrate. L’enquête, selon Sheehy, débouchera sur une « éruption de bimbos ». Dix-neuf exactement, chiffre qui, selon toute apparence, ne représente que la partie visible de l’iceberg. Parmi ces aimables créatures figuraient Gennifer Flowers et Paula Jones, qui, quelques années plus tard, tenteront d’obtenir devant la justice une rémunération équitable pour leurs complaisances passées. Plus ennuyeux encore, le détective appointé par Hillary, un certain Anthony Pellicano, n’était pas précisément un enfant de choeur. Connu dans le show-biz hollywoodien pour la brutalité de ses méthodes et ses liens supposés avec la mafia, il est aujourd’hui en prison. On est décidément assez loin du ciel « clouté d’étoiles » !
Et puis, sainte Hillary est-elle vraiment au-dessus de tout soupçon ? Sa liaison tumultueuse avec Vincent Forster, l’ancien conseiller du couple retrouvé « suicidé », en 1993, dans un parc de Washington, est un secret de polichinelle. Sans doute peut-on estimer qu’il s’agissait d’une légitime réponse de la bergère au berger, mais de là à se présenter, à longueur de pages, en épouse irréprochable confectionnant des cookies avec les membres de son groupe de prière, il y a quand même une marge !
C’est bien simple, le livre fourmille d’omissions et d’approximations charmantes. La presse américaine en a déjà révélé quelques-unes. L’éditorialiste Steve Brill, pourtant démocrate bon teint, est par exemple parvenu à établir que l’action dont, en tant que sénateur de New York, elle se prévaut au profit des victimes des attentats du 11 septembre est largement le fruit de son imagination. Rencontres, coups de téléphone et lettres de soutien : tout, selon lui, est faux.
L’idée de l’ouvrage vient d’une agence de publicité, ce qui explique sans doute bien des choses. Sa rédaction a été confiée à une équipe de trois « nègres » confortablement rétribués. Il s’agit d’une opération de marketing politico-éditorial calibrée au millimètre. Chacun sait que Hillary Clinton, peu soucieuse d’affronter la tornade néo-conservatrice qui balaie actuellement l’Amérique, a décidé de faire l’impasse sur l’élection présidentielle de 2004, laissant les neuf candidats déclarés à l’investiture démocrate jouer les victimes expiatoires face à George W. Bush. Elle a fait du scrutin de 2008 son objectif unique et, dans cette perspective, a le plus urgent besoin de constituer un trésor de guerre. Bill, désormais son associé davantage que son mari, y contribuera, dans quelques mois, par la publication (chez Knopf) d’un livre pour lequel il touchera 10 millions de dollars – le record sera battu.
Aux États-Unis comme ailleurs, une élection présidentielle se gagne au centre. Quitte à décevoir l’aile gauche de son parti, la future candidate n’a donc pas le choix : il lui faut progressivement « droitiser » son image, par trop sociale-féministe, et, au prix de quelques accommodements avec la vérité, se couler discrètement dans le moule du conservatisme et du chauvinisme ambiants. Voilà toute l’histoire de Mon Histoire.

* L’édition française a paru la 10 juin chez Fayard sous le titre Mon Histoire (675 pp., 25 euros).

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